Journées d'études "Ecopoétique des siècles anciens" Recension par Louis-Patrick Bergot

Les journées "Écopoétique des siècles anciens" se sont tenues les 19 et 20 septembre 2023 à la Misha à Strasbourg.

Ces journées font suite à trois conférences préparatoires :

  • 30 novembre 2022 : « Catastrophes naturelles, culpabilité et eschatologie : vers une lecture écopoétique », par Louis-Patrick Bergot ;
  • 19 janvier 2023 : « Peut-on concevoir une écopoétique pour la littérature antérieure au XIXᵉ siècle ? », par Louis-Patrick Bergot ;
  • 18 septembre 2023 : « Romantisme et écologie », par Michel Collot.

Ces trois conférences ont montré la nécessité d’élargir l’empan chronologique de cette nouvelle discipline, qui se développe depuis une quinzaine d’années (l’écopoétique), afin qu’elle ne soit pas réservée exclusivement à l’étude de la littérature des XXe et XXIe siècles. Bien que le concept d’écologie soit apparu dans un contexte de crise écologique, on sait aujourd’hui que cette crise a des racines lointaines, qu’elle est liée à des circonstances culturelles, religieuses et économiques qui ne datent pas du dernier siècle. En cela, les journées ont tâché de répondre aux enjeux abordés dans l’Institut thématique interdisciplinaire Lethica.

La révolution écologique, en effet, est avant tout une « révolution morale », qu’il convient toutefois d’appréhender sur le temps long. Une éthique du vivant existait déjà à des époques reculées : l’être humain percevait le vivant et réfléchissait sur son habitat par la philosophie, la littérature et l’imaginaire. Étudier la littérature des siècles anciens, ce n’est pas se pencher seulement sur le témoignage d’une époque. C’est comprendre en réalité les racines de notre époque. La littérature des siècles anciens a donc toute sa place, et même une place essentielle, dans cette réflexion sur les origines, sur le devenir et même sur les issues possibles de la crise écologique. Cette crise est également une crise d’ordre éthique, qui suppose de réfléchir à l’influence des actions et des pratiques humaines sur l’environnement et le vivant. À une époque où il est parfois difficile de trouver un consensus sur les solutions permettant de résoudre les problèmes, aborder les enjeux écologiques par le prisme des siècles anciens, c’est prendre du recul pour penser autrement, avec plus de justesse peut-être, cette crise que nous traversons. C’est réfléchir aussi aux moyens de prendre soin, de « faire cas », du vivant.

En analysant des textes de Goethe, Wordsworth, Shelley et Sand, Michel Collot a mis au jour l’existence d’une conscience écologique au XIXe siècle. Les journées des 19 et 20 septembre ont confirmé la présence de cette sensibilité morale au-delà du romantisme, entre le XIIe et le XVIIIe siècle. La conférence inaugurale de Pauline Goul, sur la notion de soutenabilité chez Rabelais, Léry et Montaigne, a prouvé que le détour par les siècles anciens permettait de jeter une lumière nouvelle sur les enjeux écologiques contemporains. L’examen des termes employés par ces trois écrivains (soustenir, mesnager, etc.) rend compte d’une appréhension singulière du rapport de l’humain à son environnement. Déjà au XVIe siècle, les écrivains « font cas » de la nature et prennent soin de penser la vulnérabilité environnementale.

L’ambition de ces journées était donc bien de nourrir notre réflexion sur les enjeux éthiques de la réflexion écologique par l’étude d’une littérature qui a joué un rôle déterminant dans l’émergence d’une conscience environnementale. Au cours de ces deux journées, nous avons eu l’opportunité d’entendre une vingtaine d’interventions, réparties en six sessions, à la fois indépendantes et complémentaires, le but étant de couvrir les différents aspects du problème.


La première session (« Vers une écopoétique diachronique ») fit la part belle à une approche diachronique, afin de montrer que les représentations écologiques ont constamment évolué, d’Homère à Nodier (Apolline Pernet), de Virgile à Peletier du Mans (Olivier Halévy), ou de Shakespeare à Yourcenar (Juliette Peillon). La sensibilité écologique se transmet aussi par le biais de l’intertextualité.

Lors de la deuxième session (« Découvrir le monde »), nous avons quitté le continent européen pour aller à la rencontre de territoires inconnus et « faire cas » de cultures étrangères aux yeux des Européens. Nous avons abordé non seulement la question du climat (au XVIe avec Dorine Rouiller, puis au XVIIIe siècle avec Mathias Soubise), mais aussi plus globalement celle de l’ailleurs et de l’altérité, notamment au théâtre (avec Tiphaine Karsenti et Sara Harvey).

Dans la troisième session (« Zoopoétique des siècles anciens »), c’est à une autre forme d’altérité que nous nous sommes confrontés. On ne pouvait concevoir une écopoétique des siècles anciens sans proposer conjointement une zoopoétique des siècles anciens. Les animaux possèdent un savoir sur le monde végétal (Yoan Boudes) : ils trient les plantes qui leur sont bénéfiques. Ils disposent aussi d’un langage qui leur est spécifique (Nicolas Corréard) ; les plus petits d’entre eux – puce, ciron et autres parasites –, dont il importe aussi de « faire cas », permettent de symboliser la rhétorique des esprits forts au début du XVIIe siècle (Adrien Mangili).

La journée du 20 septembre s’est ouverte par une quatrième session (« L’imaginaire pastoral ») autour de l’imaginaire champêtre et bucolique, dont l’influence a été déterminante au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime. De la pastorale (Charlotte Guiot) à la Clélie de Scudéry (Pauline Philipps), la littérature n’a cessé de cultiver le fantasme d’un état de nature. La perte de cet âge d’or pastoral a été vécu comme une révolution morale, compte tenu de l’emprise croissante de la société humaine sur la nature.

Cette nature, pourtant, a fait l’objet d’une investigation de plus en plus poussée de la part des scientifiques, comme nous avons pu le constater avec la cinquième session (« Un objet de science »). On peut ainsi s’interroger sur la véritable nature de cette science naturelle et proposer une « écopoétique du discours savant » (Julien Gominet-Brun). L’étude des textes de Guy Lefèvre de La Boderie (Thomas Murphy) permet de prendre la mesure de cette imbrication entre science et poésie. Les scientifiques cherchent à percer les secrets de la nature, à les restituer en toute transparence, mais ils le font par le biais d’une poésie qui se démarque parfois par son hermétisme ou son encyclopédisme.

Enfin, la sixième et dernière session (« Poétique du règne végétal ») était consacrée aux phénomènes d’hybridité végétale au Moyen Âge (Viviane Griveau-Genest) ou de greffe à la Renaissance (Claire Varin d’Ainvelle). L’étude d’un poème de Perrault (Aude Volpilhac) et de plusieurs Rêveries de Rousseau, croisées avec la philosophie esthétique kantienne (Chad Córdova), a confirmé l’intérêt des écrivains anciens pour la botanique et le vivant.

La conférence de clôture, proposée par Jean-Luc Guichet, était dédiée au XVIIIe siècle, qui apparaît comme un véritable tournant, une révolution, dans l’histoire des sensibilités à l’égard de l’environnement. L’évolution des philosophies du vivant entre 1650 et 1800 (mécanisme, vitalisme, etc.) s’est effectuée en parallèle de l’émergence d’un sujet, voire d’une conscience, en mesure de comprendre les spécificités du vivant et de prendre soin de sa pérennité.

 

Louis-Patrick Bergot - Configurations littéraires