Ce livre offre d’abord une étude du théâtre Fin de Siècle à partir du point de vue du spectateur. Au-delà de cet objectif, il vise à comprendre certains des dispositifs qui produisent des changements de sensibilité. Se penchant sur les trente dernières années du XIXe siècle, l’auteur décrit un processus de désymbolisation semblable à celui de notre époque, caractérisé par l’affaiblissement des liens sociaux, l'hostilité entre les classes, et le développement de sciences et de techniques qui ébranlèrent les deux piliers traditionnels de la société, l'Église et l'État.
Face à ce tableau, un symbolisme nouveau s’est alors fait jour dans le théâtre bourgeois et populaire, autant sinon davantage que dans les avant-gardes. À cette époque, le théâtre est, en effet, un art si omniprésent qu'on a pu parler de dramatocratie. À partir de trois œuvres qui ont marqué profondément la Fin de Siècle, L'Arlésienne d'Alphonse Daudet, Ubu Roi d'Alfred Jarry et Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand, l’auteur dégage un dispositif trinitaire, d’inspiration chrétienne, qui a permis aux spectateurs d’assimiler l'affaiblissement de la structure patriarcale autoritaire.
L’ouvrage rapproche ce rôle important qu’a pu jouer le théâtre de l'émergence d'une nouvelle esthétique fondée sur l'introduction de l'électricité, l'invention de la mise en scène, la transformation du jeu des comédiens et de l'écriture dramatique. Ce nouveau mode de représentation, à l’opposé du théâtre frontal de la période précédente, a créé un théâtre hypnotique, qui mettait les spectateurs magnétisés dans un état permettant une réception à la fois individuelle et collective du spectacle sur scène et de nouvelles associations psychiques.
L’auteur met en lumière par cet essai une théorie de la réception théâtrale qui s'écarte des sentiers battus. Se fondant à la fois sur l'analyse littéraire, l'anthropologie et les neuro-sciences, il montre que le théâtre a été – et continue d’être – le lieu d'une remise en marche des processus de symbolisation. Il montre en particulier, en rapprochant le théâtre des recherches sur le chamanisme, que les spectateurs ne reçoivent jamais un spectacle unique mais plutôt, comme sous hypnose, une collection de fragments qu'ils recomposent. Il plaide ainsi efficacement pour une nouvelle approche du théâtre Fin de Siècle. Comme toujours, Jean-Marie Apostolidès présente ses analyses d'une façon claire, dans une langue accessible au public général aussi bien qu’au public universitaire, réunissant autour de son sujet les faits historiques les plus pertinents en même temps que les plus pittoresques.