Recherche-création

La recherche-création

Conformément à son troisième axe de recherche, l'ITI Lethica entend promouvoir une recherche sur l'éthique nourrie par la recherche-création, que cette dernière soit comprise comme une recherche issue de pratiques artistiques (Bruneau, Villeneuve et Burns, 2007 ; Gosselin et Le Coguiec, 2006 ; Manning & Massumi, 2015), une création présentée sous forme de recherches (Chapman et Sawchuk, 2012), une nouvelle perspective pédagogique ou une forme innovante d'intersection entre arts et sciences (Fourmentraux, 2012 ; Peilloux, 2019). Cette page recense les différents projets menés dans ce sens par les membres de l'ITI.

Punis !  par Kenza Jernite (postdoctorat à l'iti Lethica, MCF à l'Université Sorbonne Nouvelle)

Projet de recherche-création, Punis ! se conçoit comme une mise en voix et en scène des archives à partir desquelles l’historienne Mathilde Rossigneux-Méheust a écrit son plus récent ouvrage, Vieillesses irrégulières (publié en 2022 aux Éditions La Découverte), sur la vieillesse en institutions. Ce travail veut donner une visibilité à ce qui de la recherche n’est d’ordinaire pas présenté, et en particulier les archives. Il s’agit d’explorer, au plateau, en quoi l’aspect carcéral de ces archives - constituées en grande partie de rapports disciplinaires et de listes de punitions infligées aux résidents de ces institutions - résonne avec les problématiques actuels de relégation des personnes âgées.

L’ouvrage de Mathilde Rossigneux-Méheust porte sur les archives disciplinaires d’une maison de retraite installée dans le château de Villers-Cotterêts, dans l’Aisne. Le château, qui de l’après-guerre à sa fermeture en 2014, a accueilli des personnes âgées au titre de l’aide sociale, c’est-à-dire des « vieux pauvres », a mis en place tout un arsenal disciplinaire pour « gérer la vie » de ses pensionnaires (parfois appelés des hospitalisés), dont nous sont restés les répertoires de punitions, les carnets où les surveillants rapportent de manière très détaillée les incidents de la journée, ainsi qu’une liasse de fiches désignant, parmi cette population, les « indésirables » à ne jamais reprendre. À partir de ces sources qui témoignent de l’administration des personnes âgées au XXe siècle mais également de ses dérives, l’historienne dresse une galerie de portraits et de trajectoires individuelles, d’hommes et de femmes pauvres et âgés dont on ne sait plus quoi faire.

Or, en axant sa recherche sur ceux qu’on appelait alors les « indésirables », Mathilde Rossigneux-Méheust fait non seulement surgir l’intime au sein de l’institution, mais montre également ce qui dans la vieillesse - et dans n’importe quelle forme de vieillesse - résiste, voire parfois déraille. Dans les rapports d’incidents, mais également dans les lettres que les pensionnaires adressent au Directeur, voire au Préfet de la Seine et jusqu’au « Ministre » se dessinent des micro-poches de résistance aux instruments de cette société disciplinaire dont parle Michel Foucault.

Au moment où j’ai découvert cet ouvrage, mes propres recherches sur la représentation du grand âge sur les scènes contemporaines m’avaient amenée à voir de nombreux spectacles qui mettaient en représentation la vieillesse, dont certains prenaient comme cadre, précisément, des institutions (Ehpad, centre d’hébergement, ...). Nourris aux techniques du théâtre documentaire, ces spectacles avaient tendance à reproduire de ces institutions ce qu’ils avaient pu en observer, lors d’ateliers ou de séjours de recherche que l’équipe artistique y avait menés. Si parfois se devinent, sur les plateaux, ces manquements à l’ordre ou à la discipline qui font l’étoffe des carnets de punition de Villers-Cotterêts, ils sont toujours donnés comme observés de l’extérieur, et s’apparentent alors plutôt, dans le contexte de la représentation, à des moments de « comic relief », que comme ce qui organise la vie de l’institution. Or, comme l’a bien montré Michel Foucault, ces micro-phénomènes de résistance au règlement apparaissent plutôt comme une réaction aux « ruses » de la discipline qui finissent par s’infiltrer dans n’importe quel rapport humain, au sein d’une société donnée.

Avec ces différentes questions et remarques à l’esprit, j’ai alors proposé à Mathilde Rossigneux-Méheust que l’on travaille ensemble à faire entendre à nouveau les voix à la fois de ces résidents et de l’institution, de manière à comprendre comment les deux s’imbriquent et se répondent. La force de ces vies et de ces voix désormais classées en archives, mais également la teneur théâtrale à la fois des rapports des surveillants et des méfaits décrits me paraissaient particulièrement propices à une adaptation à la scène. Mathilde Rossigneux-Méheust m’a alors proposé de retourner avec elle dans les archives du Centre d’Action Sociale de la Ville de Paris (qui se situent dans un Ehpad du XXe arrondissement), pour nous replonger ensemble dans les dossiers de la maison de retraite de Villers-Cotterêt et retracer ainsi certains itinéraires particulièrement exemplaires de ces soixante années (1949-2005) d’une institution pour personnages âgées en France.

Une représentation de ce spectacle a eu lieu lors de l'école d'automne 2023 de Lethica : lire le compte-rendu

Le Carnet de recherche en ligne « Enquête et éthique »

Dans le cadre du séminaire libre du D.U. Lethica 2022-2023, consacré à « l'enquête et l'éthique » du réalisme du XIXe siècle à la littérature contemporaine, les réflexions menées autour de l'invisibilité sociale et des enjeux éthiques que posent les enquêtes littéraires ont été exposées sur un blog académique hébergé par la plateforme hypotheses.org. Ce carnet de recherche regroupe des articles théoriques, des recensions d'ouvrages de fiction et des productions de recherche-création en rapport avec les thèmes abordés.

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