Galina Rymbou (1990-)

Galina Rymbou est une poétesse, activiste féministe, écologiste et anarchiste, née à Omsk en Sibérie, en 1990. Elle est co-fondatrice de F-Pismo (2017), une plateforme sur laquelle sont publiés des textes problématisant la logique d’écriture féministe et queer. Le projet réunit un grand nombre de poétesses et d’écrivaines et se situe entre pratique d’écriture littéraire et activisme. À ce titre, son travail s’articule à la révolution morale et esthétique qui lie art, perspectives féministes et engagement politique.

La poétesse elle-même pense son travail comme une « phénoménologie de la perception du politique » (Rymbou 6). En 2020, elle écrit le poème « Mon vagin » (« Moja vagina » /« Моя вагина ») , qui se présente comme un manifeste poétique, politique et féministe : « Faire la révolution avec son vagin. Agir pour la liberté avec son corps » (Rymbou 132). « Mon vagin » a été écrit en soutien de l'artiste et militante Ioulia Tsvetkova[1], accusée de diffuser des contenus pornographiques après avoir publié une série de dessins proposant des représentations schématiques d'organes génitaux féminins. Le poème fait événement qui va au-delà de l'espace poétique, devenant une action poétique à part entière et suscitant l'apparition d'un grand nombre de poèmes en réponse sur les réseaux sociaux.

En 2018, Galina Rymbou quitte la Russie pour l’Ukraine. Cet exil lui permet non seulement de renouer avec ses racines – sa mère venait d’une famille ukrainienne, déportée en Sibérie à l’époque de Staline – mais aussi de repenser et tisser de nouveaux liens avec la langue et sa propre écriture. En 2020, elle publie le recueil de poèmes Tu es l’avenir (Ty – buduščee / « Ты – будущее »), paru en français en 2023 aux Éditions Vanloo, traduit, préfacé et composé par la poétesse et traductrice, Marina Skalova. Comme le remarque à juste titre Marina Skalova, Tu es l’avenir est « un ensemble de poèmes à la tonalité plus apaisée, ancrés dans la communauté de vie formée par l’autrice, où humains et animaux sont placés sur un pied d’égalité » (Rymbou 7). Ce recueil est également marqué par une vision singulière de la corporalité où celle-ci s’exprime à voix haute à travers d'expériences diverses personnelles : amoureuse, maternelle, familiale. Le cycle de poèmes « Été. Portails du corps » (« Leto. Vorota tela » / « Лето. Ворота тела ») en témoigne, en nous plongeant dans la poétique intime du corps féminin qui s’entrelace avec la mémoire de plusieurs générations de femmes (Rymbou 8) : « ton corps est la corde d’un arc. le mien, confiture de grand-mère et limon […] ton corps est la porte grand ouverte d’une ville ancienne, il m’accueille. mon corps est une file d’attente dans le passé, qui avance lentement » (Rymbou 141-145). Cependant, l’intime et le corps sont encore et toujours sociaux, pour reprendre la fameuse phrase d’Annie Ernaux[2]. Le poème se termine par une interrogation qui peut être perçue comme une forme de manifeste féministe : « depuis longtemps, le gouvernement n’est plus le corps d’un citoyen à plusieurs têtes, mais plutôt une rue un lendemain d’émeute, les ruines des vitrines. ça te plaît ? tu veux revenir ? » (Rymbou 145-146).

Tu es l’avenir est aussi un recueil poétique tourné non seulement vers le passé familial, comme dans le cycle de poèmes « Été. Portails du corps » où la poétesse retrace le corps de sa grand-mère, mais aussi vers le passé enfantin, dépourvu de soucis et de remords. Le retour dans le passé est empreint de souvenirs à la fois nostalgiques et traumatisants. Ces souvenirs sont désormais ancrés dans le présent, ils l’habitent, ils le hantent (Rymbou 151):

j’ai trente ans et je dors avec un panda en peluche dans mes bras.

je suis sûre que beaucoup d’adultes font ça

quand il fait nuit ils serrent leurs

peluches préférées

[...]

puisque certaines gardent toujours trace d’une enfance perdue,

[...]

et quand je la serre dans mes bras,

je ressens simplement un apaisement

L'édition française de Tu es l’avenir devait initialement débuter par le poème « Tu es l’avenir » - comme le signale Marina Skalova dans la préface du livre - un poème très intime qui constitue une déclaration d'amour d'une mère à son fils. À travers ce poème, Galina Rymbou aborde le thème de la maternité. Cependant, à la suite de la guerre d’invasion par la Russie contre l’Ukraine déclenchée en février 2022, l’ouverture du recueil est finalement un cycle poétique inédit, intitulé « traces », écrit à Lviv en 2022– où la poétesse réside actuellement avec son mari et son fils – au cœur de la guerre qui ravage l’Ukraine depuis le 24 février 2022. Ce cycle de poèmes met en question la capacité de la langue poétique à être, à exister face aux atrocités de la guerre (Rymbou 32) :

combien de mois de guerre déjà ?

je ne sais pas. je ne ressens pas le temps.

aujourd’hui notre chat est mort.

il a crié… et s’est comme figé

comment en parler ? on nous dira :

“quelle chance,

vous n’avez perdu qu’un chat"

Comment nommer, comment exprimer le sentiment d’une abîme lorsque celle est déjà présente ? Cette question métaphysique traverse ce cycle poétique (Rymbou 19) :

mon fils a comme cessé d’être un enfant

maintenant il veut tuer

les soldats russes –

pour rire et pas pour rire,

pour de faux et pour de vrai

« traces » témoigne de la guerre en Ukraine directement et indirectement en questionnant la fracture, « la déchirure de la langue » (Rymbou 8) qui devient tantôt « lalangue » (jazyk/ йазык) – selon le terme lacanien, « une langue intime, affective, antérieure à la langue sociale » (Rymbou 10) –, tantôt « l’alangue », né de la perception de la traductrice, Marina Skalova, « voyant dans l’agression russe une négation même de la possibilité de la ”langue” russe » (Rymbou 10).

À travers « traces », nous retrouvons les aspirations poético-phénoménologiques de Galina Rymbou au sujet des possibilités de la langue – sa langue maternelle – surtout lorsqu'elle devient la langue des ennemis, la langue « défigurée, occupée » (Rymbou 19). La réponse, ou au moins la possibilité de celle-ci, se trouve dans le poème lui-même (Rymbou 39) :

… seulement décrire des choses, qui ne sont pas là
tenter d’accepter à nouveau le futur

comme un breuvage indispensable,

Kateryna Tarasiuk - Université de Strasbourg

 

Bibliographie

  • Galina Rymbou (traduction Marina Skalova), Tu es l’avenir, Aix-en-Provence, Éditions Vanloo, 2023.

[1] Ioulia Tsvetkova a été entièrement acquittée et a quitté la Russie en novembre 2022.

[2] « L’intime est encore et toujours social ». Voir Annie Ernaux, L'Écriture comme un couteau : Entretien avec Frédéric-Yves Jeannet, [2011] Paris : Gallimard (Coll. Folio), p. 139.