ITI Lethica - Littératures, éthique & arts - MISHA - Maison Interuniversitaire des Sciences de l'Homme - Alsace - Université de Strasbourg https://www.misha.fr fr ITI Lethica - Littératures, éthique & arts - MISHA - Maison Interuniversitaire des Sciences de l'Homme - Alsace - Université de Strasbourg Thu, 13 Feb 2025 17:45:21 +0100 Thu, 13 Feb 2025 17:45:21 +0100 TYPO3 EXT:news news-17270 Mon, 31 Mar 2025 18:00:00 +0200 Appel à communications : Actualités des récits d’inceste (1986-2025). Enjeux génériques, médiatiques et éthiques https://www.fabula.org/actualites/125093/actualites-des-recits-d-inceste-1986-2025-enjeux-generiques-mediatiques-et-ethiques.html Journée d'études le 10 juin 2025 à Strasbourg Actualités de l'ITI Lethica news-17326 Mon, 31 Mar 2025 17:15:00 +0200 L'inceste, premier et dernier tabou du droit /en/news/piece-of-news/linceste-premier-et-dernier-tabou-du-droit Conférence de Benoît Le Dévédec, invité par Kathia Huynh dans le cadre des rencontres "Regards croisés sur l'inceste"

Benoît Le Dévédec est doctorant en droit pénal (Université Paris-Panthéon-Assas) et ATER (Université de Lille)

 Entrée libre et gratuite dans la limite des places disponibles.

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news-17348 Mon, 17 Mar 2025 17:15:00 +0100 Le silence dans les récits d’incestes : restitution de discours et enquête historique, France, 1940 - 2003 /en/news/piece-of-news/le-silence-dans-les-recits-dincestes-restitution-de-discours-et-enquete-historique-france-1940-2003 Conférence de Zélie Pemerle, invitée par Kathia Huynh dans le cadre des rencontres "Regards croisés sur l'inceste"

Zélie Pemerle est doctorante en histoire contemporaine (Université Paris-Saclay, Centre d’Histoire Culturelle des Sociétés Contemporaines (CHCSC))

 Entrée libre et gratuite dans la limite des places disponibles.

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news-17298 Thu, 13 Mar 2025 18:00:00 +0100 Qu’en est-il de l’éthique dans la littérature de la première modernité ? /en/news/piece-of-news/quen-est-il-de-lethique-dans-la-litterature-de-la-premiere-modernite Conférence d'Ullrich Langer, professeur de littérature française (Université de Wisconsin-Madison, Etats-Unis) Invité en qualité de Scholar du Master Cultures Littéraires Européennes, de l'iti Lethica, et de l'Europe des Lettres.

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news-17279 Tue, 04 Mar 2025 18:00:00 +0100 Rencontre avec Tanguy Viel autour de "La Fille qu'on appelle" (Paris, Minuit, 2021) /en/news/piece-of-news/rencontre-avec-tanguy-viel-autour-de-la-fille-quon-appelle-paris-minuit-2021 Conférence et rencontre avec l'écrivain français En discussion avec Victoire Feuillebois, MCF HDR de la Faculté des Langues / GEO (Université de Strasbourg)

Dans le cadre du colloque « "Elle s’abandonna." Représentations de l’acte de céder dans la littérature du XIXe siècle » (4 et 5 mars 2025)

 Entrée libre sans inscription

 

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news-17274 Tue, 04 Mar 2025 09:00:00 +0100 « Elle s’abandonna. » Représentations de l’acte de céder dans la littérature du XIXe siècle /en/news/piece-of-news/elle-sabandonna-representations-de-lacte-de-ceder-dans-la-litterature-du-xixe-siecle Colloque organisé par Victoire Feuillebois, Bertrand Marquer (Université de Strasbourg), Lucie Nizard (Université de Genève) et Éléonore Reverzy (Université Sorbonne Nouvelle)   Colloque organisé par l'ITI Lethica, avec le soutien du Centre de Recherche sur les Poétiques du XIXe siècle (CRP19), de l'Université de Genève (Département et Décanat de la Faculté des Lettres), et de l'ANR ConSent (Consentement, éthique sexuelle et sensibilités érotiques)

 

 Entrée libre sans inscription

 Strasbourg

04/03 à 9h (colloque) : Petit Amphi de Mathématiques, UFR Math-Info, 7 rue René Descartes

04/03 à 18h (Tanguy Viel) : Amphi 6, Institut Le Bel, 4 rue Blaise Pascal

05/03 à 9h (colloque) : Amphithéâtre 324, Ensemble Saint-Georges, 47 avenue de la Forêt-Noire

 

Appel à communications

Programme

Mardi 4 mars 2025      (Petit Amphi de Mathématiques, UFR Math-Info)

9h00    Accueil  des participants. Introduction générale et remerciements

Session 1    Ce que céder veut dire : la violence cachée ? (Modération : Bertrand Marquer et Lucie Nizard)

9h30 - 10h00    Lucie Nizard (Université de Genève), « À propos des défaillances féminines dans Une page d’amour d’Émile Zola »
10h00 - 10h30    Kathia Huynh (Université de Strasbourg), « “Pourquoi n’aurait-il pas épousé les deux sœurs, si elles y consentaient ?” Raisons de (ne pas) céder à l’inceste dans La Terre (Zola) »
10h30 - 11h15    Discussion   |   Pause (salle C03)
11h15 - 11h45    Loup Belliard (Université Grenoble Alpes), « Céder, c'est se trahir : George Sand, Lélia et la résignation sexuelle »
11h45 - 12h15    Anne Grand d’Esnon (Université de Bourgogne-Franche Comté), « “Elle s’était confusément abandonnée à lui” : compréhensions narratives de l’ellipse dans la réception critique de Tess d’Urberville »
12h15 - 14h00    Discussion   |   Déjeuner

Session 2    Céder au masculin (Modération : Kathia Huynh)

14h00 - 14h30    Elinor Knutsen (Université de Genève), « “Une si douce violence.” Céder à la Femme fatale : le cas de la cession sexuelle masculine dans la littérature fin de siècle »
14h30 - 15h00    Mathilde Bertrand (Université Sorbonne Nouvelle), « Qui s’abandonne à qui ? Le cas des Diaboliques de Barbey d’Aurevilly »
15h00 - 15h30    Discussion   |   Pause (salle C03)

Session 3    S'abandonner, se donner ? (Modération : Enrica Zanin)

15h30 - 16h00    Céline Duverne (Université de Champagne-Ardennes), « Se donner, se reprendre : comédie de l’amour, guerre des sexes et lutte sociale dans Le Rouge et le Noir de Stendhal »
16h00 - 16h30    Romain Enriquez (Sorbonne Université), « À quoi cèdent les jeunes filles. Esquisse d’un libertinage au féminin dans les romans de Félicité de Choiseul-Meuse »
16h30 - 17h00    Carole Bourlé (Université de Rouen), « La grisette romantique, une fille trop facile ? »
17h00    Discussion   |   Déplacement vers l’Institut Le Bel

18h00 - 19h30    Amphi 6, Institut Le Bel. Rencontre avec Tanguy Viel autour de La Fille qu'on appelle (Paris, Minuit, 2021)

 

Mercredi 5 mars 2025      (Amphi 324, Ensemble Saint-Georges)

Session 4    Cessions en question (Modération : Niklas Bender)

9h30 - 10h00    Jérôme David (Université de Genève), « Le premier degré de l’abandon dans Madame Bovary »
10h00 - 10h30    Victoire Feuillebois (Université de Strasbourg), « Pourquoi pleure-t-elle ? Énigmes de la cession dans Anna Karénine »
10h30 - 11h15    Discussion   |   Pause (cafétéria)
11h15 - 11h45    Boris Lyon-Caen (Sorbonne Université), « “Dinah fait des façons” : Balzac et le non des femmes »
11h45 - 12h15    Bertrand Marquer (Université de Strasbourg) : « Les états seconds dans la littérature fin-de-siècle : un laboratoire du consentement ? »
12h15 - 14h15    Discussion   |   Déjeuner

Session 5    Politique de la cession (Modération : Victoire Feuillebois)

14h15 - 14h45    Laurent Angard (Université de Caen), « “Je porte le deuil de votre honneur.” Le viol au croisement de la politique, de la morale et du roman théâtral dans La Comtesse de Salisbury (1839) d’Alexandre Dumas »
14h45 - 15h15    Salomé Pastor (Université de Strasbourg), « “Qu’on l’avoue donc : il n’y a pas de viol !” Cessions et violences sexuelles dans la littérature anarchiste : un enjeu politico-idéologique »
15h15 - 15h45    Sarah Didier (Université de Lorraine), « Implications éthiques de l’analyse sartrienne de la cession dans les romans du XIXe siècle »
15h45    Discussion et clôture du colloque
 

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news-17272 Thu, 27 Feb 2025 09:00:00 +0100 Beaumarchais penseur des Lumières, en sa correspondance /en/news/piece-of-news/beaumarchais-penseur-des-lumieres-en-sa-correspondance-1 Journées d’études organisées par Linda Gil (Université Paul-Valéry Montpellier 3) et Emmanuelle Sempère (Université de Strasbourg)   Journées d’étude organisées par l’Institut de recherche sur la Renaissance, l’âge Classique et les Lumières (IRCL, UMR 5186 du CNRS, Université Paul-Valéry Montpellier et Ministère de la Culture), en partenariat avec l'ITI Lethica, Institut Thématique Interdisciplinaire labellisé par l'Université de Strasbourg, le CNRS et l'Inserm, dans le cadre du programme ITI 2021-2028, avec le soutien de l'ANR : Projet @rchibeau (Archives numériques de la correspondance et des papiers manuscrits de Beaumarchais)

  Amphithéâtre Alain Beretz, Présidence de l’Unistra
20A rue René Descartes, 67000 Strasbourg

 Entrée libre sans inscription
Pour suivre les conférences en direct : les liens seront disponibles sur cette page.

Programme

Jeudi 27 février 2025

9h00    Accueil et mot de bienvenue par Anthony Mangeon (Université de Strasbourg / Lethica)
Claude Klein (Université de Strasbourg) : Les recherches sur le dix-huitième siècle à Strasbourg : une brève histoire intellectuelle
Emmanuelle Sempère et Linda Gil : Introduction & actualité du projet @rchibeau & des recherches dans les archives alsaciennes et allemandes

Session 1. Présidence : Sarah Benharrech (University of Maryland)

10h00    Jean Goldzink (ENS Paris), « Réflexions sur l'autoreprésentation épistolaire d’un homme des Lumières »
10h30    Bénédicte Obitz (Le Mans Université), « Lettre ouverte et opinion publique : l'engagement épistolaire de Beaumarchais » (visioconférence)
11h00    Emmanuelle Sempère (Université de Strasbourg), « L'éloquence de l'adresse au public chez Beaumarchais (scène théâtrale, scène épistolaire, scène judiciaire) »
11h30    Discussion


15h00    Visite des Archives municipales : présentation des fonds dix-huitiémistes et des documents relatifs à Beaumarchais et à ses activités dans la région alsacienne, par le conservateur Gilles Le Berre.
 

Vendredi 28 février 2025

Session 2. Présidence : Gilles Montègre (Université Grenoble-Alpes)

9h00    Éric Francalanza (Université de Bretagne Occidentale), « Beaumarchais et le pouvoir : leçons provisoires d'un état de la correspondance »
9h30    Franck Salaün (Université Paul-Valéry Montpellier), « Éthique conquérante et esprit du libéralisme : à l'assaut des privilèges »
10h00    Claude Klein (Université de Strasbourg), « Les leçons de l'exil : Beaumarchais à Hambourg. Premier inventaire des lettres d'Allemagne »
10h30    Discussion
11h00    Pause
11h30    Frédéric Calas (Université Paul-Valéry Montpellier), « Sur la Liberté : des affaires d'Amérique au Mariage de Figaro »
12h00    Amirpasha Tavakkoli (Sciences Po Paris), « Beaumarchais et la Guerre d'Indépendance Américaine : correspondance avec Chevalier d’Eon et Arthur Lee »
12h30    Discussion

Session 3. Présidence : Isabelle Laboulais (Université de Strasbourg)

14h00    Guillaume Nicoud (Archivio del Moderno, Università della Svizzera italiana, Accademia di architettura), « Beaumarchais face à Turenne et au patrimoine d'Ancien Régime » (visioconférence)
14h30    Flavio Borda D'Aguà (Bibliothèque de Genève, Institut et Musée Voltaire), « Voltaire, Beaumarchais et l'émergence des droits d'auteur : prolégomènes d'une révolution intellectuelle »
15h00    Linda Gil (Université Paul-Valéry Montpellier), « Politique du livre chez Beaumarchais : l'archive épistolaire de Kehl »
15h30    Discussion
16h00    Pause
16h15    Séminaire d'équipe ouvert aux participants : prospections et inventaire de la correspondance. Perspectives de collaboration.

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news-17367 Wed, 05 Feb 2025 12:01:23 +0100 Serge Pey (1950-) /en/news/piece-of-news/serge-pey-1950

Né en 1950 à Toulouse, Serge Pey est une figure centrale de la poésie contemporaine et en particulier de ce qu’il nomme la « poésie-action », pratique qui croise l’écriture engagée et le dépassement de l’écrit par la performance du poème, ou par des actions ou dispositifs scéniques qui accompagnent le texte.

Lauréat, entre autres, du Prix national de poésie de la Société des Gens de Lettres, ou encore du Prix Apollinaire, Serge Pey travaille à réduire l’opposition entre écriture et oralité, entre livre et performance, entre pensée philosophique et création littéraire. À la centaine d’ouvrages de sa bibliographie, il faut ajouter toute une série de dispositifs pour porter la poésie au-delà de l’écrit à travers des performances, des installations, des spectacles de flamenco, ou de simples bâtons qui jalonnent l’espace et sur lesquels sont inscrits les poèmes, devenant ainsi à la fois le support et la métaphore de la poésie. Les textes ont donc vocation à être déclamés lors de performances, avant d’être souvent retranscrits dans ses livres, notamment dans Dieu est un chien dans les arbres (Jean-Michel Place, 1993), articulant fortement littérature et orature.

Deux sommes importantes de son travail sont parues en 2018 : Mathématique générale de l’infini (Poésie / Gallimard) et Poésie-Action. Manifeste provisoire pour un temps intranquille (Le Castor Astral). Auteur d’une thèse intitulée La Langue arrachée ou la poésie orale d’action soutenue à Toulouse en 1995, Serge Pey est à la fois poète et « philosophe du poème » : la séparation entre travaux critiques sur la poésie et textes poétiques ne peut être faite dans son œuvre, où travaux universitaires, lettres, manifestes, nouvelles, poèmes, essais se font écho, se répondent, se consolident les uns les autres.

La poétique de Serge Pey est par ailleurs traversée de figures et d’objets en provenance du monde concret : elle peut prendre la forme d’un bestiaire (le chien, l'oiseau, divers insectes) ou d’une boîte à outils (bâtons, couteaux, clefs). Elle a autant recours à l’histoire qu’à la philosophie, à l'anthropologie qu’aux mathématiques. Elle se définit comme « une langue qui entend[1] » et s’inscrit dans l’héritage d’écritures aussi hétéroclites que celles d’Artaud, Antonio Machado, Ghérasim Lucas, ou encore les pratiques poétiques avant-gardistes, anarchistes, ou de l’agit-prop.

Son œuvre comporte de fortes interrogations éthiques en affirmant l’inséparabilité entre la vie et l’écriture. « Nous ne récitons pas des poésies » écrit-il, « nous appelons à la “poé-vie[2]”. » Ainsi, né d’un père réfugié politique de la guerre civile espagnole, il consacre plusieurs ouvrages à cet héritage : ses livres de nouvelles Le Trésor de la guerre d’Espagne (prix Boccace de la nouvelle, Zulma, 2021) et La Boîte aux lettres du cimetière (Zulma, 2014, accompagné d’un pèlerinage à pied jusqu’à la tombe d’Antonio Machado) tissent un lien fort entre violence, résistance et écritures expérimentales[3]. Les origines de Serge Pey se reflètent dans la tonalité de ses performances, qui s’apparentent à des actes sacrificiels, ainsi que le souligne André Velter : « Chamane de complexion inédite, à la fibre à fois hispanique, occitane, cathare et gitane, Pey ritualise l’espace de la parole[4] ». Cette diversité d’origines explique aussi la multiplicité de ses engagements politiques, dont sa poésie se fait le creuset : il a, par exemple, consacré plus d’une centaine d’actions dans plusieurs villes dans le monde à la lutte des zapatistes mexicains[5], un mouvement social et un pays dont il est très proche.

La poésie-action de Serge Pey cherche in fine à créer « un nouveau rapport entre la vie et littérature » en passant par le rituel. En témoigne sa performance, Le Poulet rôti, créée il y a plus de 25 ans et présentée à Strasbourg en 2024 lors de l’Académie des écrivain.es pour les droits humains. Réalisée avec la performeuse Chiara Mulas (1972-), elle attire l’attention sur deux formes de torture par électrocution pratiquées par le passé en Tunisie et en Turquie et touchant en particulier les femmes. Durant la performance, très solennelle, le poète scande la diction de ses vers en tapant des pieds, tandis que la figure féminine se voit attacher un poulet plumé sur le corps par des câbles électriques qui sont ensuite distribués au public, effaçant la distance entre la scène et la salle. La performance s’achève par une scène où l’artiste fouette le poulet avec un bouquet de roses, en un geste de rébellion. La performance est restée célèbre pour avoir contribué à l’arrêt de cette pratique dans le monde.

Elias Levi Toledo

 

[1] Serge PEY, « Poésie et vérité » dans Mathématique générale de l’infini. Gallimard, coll. « Poésie / Gallimard », 2018. p. 301.

[2] Serge PEY, Poésie-Action. Manifeste provisoire pour un temps intranquille. Castor Astral, 2018. p. 23.

[3] Voir aussi La Sardane d’Argelès (Dernier Télégramme, 2014) qui évoque l’enfermement des républicains espagnols dans des camps français.

[4] André VELTER, « Des talons à la tête », préface à Mathématique générale de l’infini. Op. cit.

[5] Mouvement héritier de la Révolution Mexicaine (1910-1917) autour de la figure d’Emiliano Zapata, dont la devise était « la terre appartient à celui qui la laboure ».

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- Lethictionnaire - Faire cas / Prendre soin
news-17365 Wed, 05 Feb 2025 11:28:11 +0100 Hawad (1950-) /en/news/piece-of-news/hawad-1950 Né en 1950 dans l’Aïr, massif montagneux du Niger, Hawad est un poète, romancier et peintre touareg. Révolté par la négation de l’autre, en particulier des Touaregs et plus généralement des Amazighs, l’auteur utilise sa langue, la tamajaght, pour libérer les êtres asservis et déshumanisés par les États qui les oppriment. Les titres de ses livres illustrent à la fois la situation funeste des Touaregs - Testament nomade (Sillages, 1987), Visions atomiques (Paris-Méditerranée, 2003), Dans la nasse (Non lieu, 2014), Fiel de cuivre (la rumeur libre, 2024) - et le dépassement de cette tragédie : Caravane de la soif (Édisud, 1985), Froissevent (Noël Blandin, 1991), Notre horizon de gamelles pour une gamelle d’horizons (Paris-Méditerranée, 2001). En refusant toute rhétorique de la plainte, Hawad construit une poétique du dépassement : vers le néant, la liberté et l’absolu.

Selon l’auteur, la seule possibilité pour l’individu de se libérer du joug des puissances étatiques est de s’amoindrir davantage, de pratiquer l’autodérision, et d’échapper alors au regard que le dominant pose sur le dominé. Son dernier livre paru en France, Fiel de cuivre, est construit sur ce modèle avec les trois parties : « Fiel de cuivre nous t’avons bu », « Fiel de cuivre tu nous as enivrés » et « Fiel de cuivre nous te vomirons ».

S’il est engagé, Hawad est aussi mystique. Il puise ses visions dans le soufisme touareg, chez les poètes soufis Hallaj, Rumi, Djami, ainsi que dans l’ésotérisme juif. Dans son œuvre, l’anéantissement est l’étape métaphysique indispensable pour atteindre l’absolu. Si cette dimension spirituelle est particulièrement sensible dans Caravane de la soif, elle est moins évidente pour le non-initié dans les autres textes. Car telle est la force de la poésie de Hawad : les niveaux de lecture se multiplient, les mots sont chargés de plusieurs sens et empruntent  plusieurs directions, jusqu’à l’éclatement de la camisole qu’une lecture unilatérale voudrait leur imposer.

La Furigraphie, titre de l’anthologie parue dans la collection Poésie /Gallimard en 2017, est un concept forgé par l’auteur lui-même pour désigner l’ensemble de son œuvre. À l’origine, il s’agit du mot touareg zardazgheneb qui est intraduisible ; pour contourner cet écueil, Hawad allie dans un néologisme la furie et la graphie. La furie, pour « fureur », désigne chez l’auteur ce qui est volcanique, ce qui déborde sans joug, ce qui détruit toute restriction de parole et donc toute règle linguistique ; ainsi les vers du poète sont parfois abrupts, sans prépositions ou articles, dépouillés de la syntaxe classique. Les mots s’entrechoquent jusqu’à produire des sons et des sens inédits, un rythme effréné, un « halètement ». Quant à la conception du mot fureur à la Renaissance, liée à la subjectivité créatrice, Hawad en prend le contre-pied : la fureur est ce par quoi le poète terrorise le poème. L’éclair de l’inspiration qui le frappe, il le saisit, le transforme et le renvoie dans la poésie avec fracas, toujours avec l’idée d’aller contre. Non pour s’enfermer dans un pure opposition, mais pour se libérer de tout schéma et créer ainsi une nouvelle voix, la sienne. Cette fureur, il l’associe au mot « graphie » puisqu’elle est incarnée dans l’alphabet touareg et se manifeste dans ses calligraphies et ses toiles.

Les furigraphies sont écrites en tifinagh, l’alphabet amazigh préservé par les Touaregs depuis 3000 ans. Hawad est d’abord un érudit des mots, un véritable linguiste : il a fait évoluer la tamajaght en dehors de l’effort de préservation scientifique ou de toute habitude de langage qui signeraient la mort de cette langue. Par sa poésie, il fait vivre la tamajaght, il la met en mouvement. Cet effort de création linguistique se perçoit aussi dans la traduction française qu’il réalise avec l’aide de son épouse Hélène Claudot-Hawad, anthropologue et linguiste spécialiste du monde touareg.

Si l’écriture est le moyen pour l’auteur de dévoiler une vision de l’absolu, elle lui permet également d’échapper aux pouvoirs politiques. D’apparence inoffensive, la poésie semble bien dérisoire au regard des puissances militaires. Pourtant l’œuvre de Hawad est d’une violence singulière. Ses « gémissements », c’est le rythme des chèvres empoisonnées qui extériorisent le mal, « l’halètement », c’est la respiration des chauves-souris exilées que sont les Touaregs dans le désert, « l’insecterie », c’est tout peuple asservi, si nombreux, et si petit. Hawad se métamorphose, il est un vivant qui s’inspire des bêtes et de la nature pour trouver le rythme qui permet une émancipation totale de la mélancolie et de l’oppression. Ce rythme, cette poésie, il les nomme « le son du moustique face aux drones, aux tirailleurs, à la radioactivité, à la conquête, à l’écartèlement de Tamazgha ». Les poètes touaregs deviennent des aiguiseurs de sons de moustique, des « fourmis » qui inventent une insecterie révolutionnaire.

Cette disproportion entre l’apparente insignifiance de l’écriture et la violence exercée par les États sur les Touaregs met en évidence l’impuissance des dominés ainsi que la catastrophe humaine et écologique au Sahara. Elle pose aussi la question suivante : quand est-ce que ces petits sons renverseront la logique destructrice des puissances mondiales ? Une question qui non seulement reste sans réponse, mais à laquelle Hawad n’accorde pas d’importance : il lapide le silence du monde jusqu’à ne plus avoir de souffle, et des centaines de manuscrits dorment chez lui, non traduits. L’auteur n’est plus dans la résistance, mais dans l’endurance, car sa révolte dure depuis les essais atomiques perpétrés par la France au Sahara, entre 1960 et 1967 avec l’accord de l’Algérie indépendante, essais auxquels il assistait quand il était enfant, protégé par une casserole trouée pour voir l’explosion et ressortir avec une vision irradiée pour toujours.

Samir Moinet, Master LFGC

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- Lethictionnaire - Faire cas / Prendre soin
news-17290 Tue, 04 Feb 2025 18:30:00 +0100 Rencontre autour du livre 'La fiction face au viol', avec les autrices Véronique Lochert, Zoé Schweitzer et Enrica Zanin https://www.bnu.fr/fr/evenements-culturels/agenda-culturel/la-fiction-face-au-viol Agenda de l'ITI Lethica news-17359 Tue, 04 Feb 2025 11:00:00 +0100 L'Afrique au futur. Tome 2 : Utopies, de la terre à l'espace /en/news/piece-of-news/lafrique-au-futur-tome-2-utopies-de-la-terre-a-lespace Anthony Mangeon, Hermann, 2025 Chacun peut citer le nom d’un astronaute, d’un cosmonaute de la première heure  : rares sont ceux qui connaissent, en revanche, l’existence des afronautes. Il faut dire que ces explorateurs spatiaux venus d’Afrique appartiennent surtout au domaine de la fiction et des beaux-arts. Ils n’en sont pas moins au cœur de riches expérimentations sociales et politiques. En suivant leur trace et en revenant sur certaines thématiques récurrentes de la science-fiction, telles que l’arrivée des extraterrestres sur Terre, les voyages intergalactiques, ou l’installation de l’humanité sur d’autres planètes, ce deuxième tome de L’Afrique au futur rassemble des auteurs africains, afrodescendants, américains et européens. Il explore leurs diverses manières de décentrer nos conceptions de l’utopie, et propose ce faisant une généalogie inédite des liens tissés entre le colonialisme, la science-fiction et le continent africain.

Site de l'éditeur

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Actualités de l'ITI Lethica
news-17344 Thu, 30 Jan 2025 16:00:22 +0100 Azélie Fayolle, Des femmes et du style : pour un feminist gaze /en/news/piece-of-news/azelie-fayolle-des-femmes-et-du-style-pour-un-feminist-gaze Paris, Divergences, 2023, 212 p. Après le male gaze, une technique avant tout cinématographique théorisée par Laura Mulvey en 1975 et qui consiste à montrer les femmes comme des corps saturés de sexualité, et le female gaze, qu’Iris Brey définit comme « un regard qui adopte le point de vue d’un personnage féminin pour épouser son expérience » (Brey citée par Fayolle, p. 131), voilà le feminist gaze. Dans Des femmes et du style, Azélie Fayolle explique vouloir « examiner comment les femmes (et quelques hommes) écrivent avec une conscience féministe » (p. 12). Ce faisant, elle entend montrer ce que peut être un style féministe, lequel trouve son pendant cinématographique dans le feminist gaze et suppose « un regard féministe conscient de l’oppression spécifique des femmes » (p. 35). Si ce parallèle entre regard, gaze et style, ou cinéma et littérature, mériterait davantage d’approfondissement, l’essayiste ne s’y attarde pas. Se concentrant avant tout sur la littérature, elle propose un ouvrage qui, tout en gardant une dimension scientifique, se veut pour le moins engagé. Ce mélange de subjectivité, d’engagement et d’analyses scientifiques est assumé par l’autrice, qui explique que « [m]ilitantisme et recherche scientifique ne s’excluent pas aussi nettement qu’on aimerait le croire » (p. 19). Aussi est-ce la voie que prend Azélie Fayolle pour faire voir « une autre façon de penser et d’appréhender les savoirs » (p. 14). Dès lors, il semble que cela soit à une révolution morale, et non pas seulement artistique et épistémologique, qu’appelle Des femmes et du style.

Jamais vraiment absentes de la sphère littéraire, les autrices ont toutefois été mises au ban de la culture, enclavées dans l’intime, et souvent stigmatisées du fait de leur sexe, l’ « odor di femina » s’imprégnant dans le livre selon Jules Barbey d’Aurevilly (1878, p. XXII). Considérant pleinement la fonction heuristique de l’art, Azélie Fayolle explique que la production artistique des femmes et des féministes permettrait d’accéder à des points de vue jusqu’alors inexploités. L’exploration d’un style féministe semble par conséquent nécessaire pour appréhender le monde. Nécessaire ou exclusif ? Si la critique « espère que ce regard apparaîtra comme un regard ouvert » (p. 37), d’aucun·es lui reprocheront peut-être de vouloir faire de ces yeux les seuls acceptables.

« Nous sommes du sexe de la peur, de l’humiliation, le sexe étranger », écrit Virginie Despentes dans King Kong Théorie. Citée par Azélie Fayolle au début de la deuxième partie de l’ouvrage, cette constatation marque le point de départ du parcours de la vie d’une femme, vie faite de peur et d’un silence « parlant : il s’agit de l’écouter » (p. 46). Entre dit et non-dit, l’art féministe peut traduire l’inquiétude et le doute des femmes quant à leur condition, à leur situation, à leur capacité, à leurs possibilités de vie, d’évolution et d’épanouissement, à leur (in)sécurité et à leurs droits. Si les femmes sont parfois incertaines, le regard dominant, lui, a longtemps défendu l’affirmation suivante : « toute la femme se résume à son utérus » (p. 49). Le style féministe va alors chercher à se réapproprier le corps, comme le fait Hélène Cixous, à montrer l’aliénation qu’il subit, ou encore tenter « d’approcher l’horreur pour l’apprivoiser » (p. 56). Cette horreur comprend notamment le viol. C’est à bras-le-corps qu’Azélie Fayolle prend ce crime et explique qu’il « n’y a pas de recette pour (d)écrire un viol de manière féministe, mais des écueils à éviter, reposant sur des questions éthiques et esthétiques, comme le refus de l’érotisation ou d’une utilisation ornementale des violences sexuelles » (p. 59). La mise en fiction, ou du moins la conscience des violences sexistes et sexuelles, peut en outre donner lieu à « la badasserie du rape and revenge » (p. 43), soit à une reprise de contrôle de la part de la victime qui, dans sa vengeance, peut aller jusqu’à esquisser « la possibilité de voir la peur s’inverser, au moins dans les pages d’un roman » (p. 73). Azélie Fayolle revient ainsi sur le « dirty care », défini comme « l’attention qui est requise de la part des dominé·es, et qui consiste à se projeter en permanence sur les intentions de l’autre, à anticiper ses volontés et désirs, à se fondre dans ses représentations à des fins d’autodéfense, produit de la connaissance, une connaissance des plus poussées, documentées, sur les groupes dominants » (Dorlin, 2017, p. 176). L’essayiste montre alors la « dimension collective » (p. 74) de cette notion qui permet « la vérification, toute empirique, de ce simple état de fait : je ne suis pas folle, je ne suis pas seule » (p. 74).

Des femmes et du style aborde également les « principales stratégies de résistance à l’ordre patriarcal représentées en littérature » (p. 76). Azélie Fayolle interroge ainsi le registre du merveilleux, selon elle propice à produire une pensée sur le genre. Lieu où s’imposent « la magie et les métamorphoses » (p. 79), le merveilleux permet de remodeler la réalité, si ce n’est d’en sortir et d’inventer autre chose. Comme le merveilleux, le spiritisme travaille avec l’imaginaire et ouvre le champ des possibles. En ce sens, il a également intéressé les femmes (Edelman, 1995), qui « ont milité en s’appuyant sur leurs visions pour une nouvelle société » (p. 79). À partir de ces considérations, Azélie Fayolle explique comment certains courants féministes (l’écoféminisme en particulier) ont réussi à détourner la « science dominante ». Avec la militante américaine Starhawk, la magie devient « une réflexion sur le langage et les métaphores » (p. 80). La notion d’obscur à laquelle ouvre ces théories et que l’on peut « ramene[r] à des mythes et à des forces primitives à apprivoiser » (p. 81) fait alors pleinement ressortir la dimension collective sur laquelle entend appuyer l’essayiste. Autre acte du collectif : le manifeste, qui est l’une des « formes textuelles phares des groupes politiques » (p. 84) et que les féministes ont su mobiliser, comme avec SCUM Manifesto par exemple. On peut aussi relever le rire, cet éclat « qui voudrait se prolonger en se répercutant de proche en proche » (Bergson, 1940, p. 4). Il est vrai que les féministes ne sont pas connu·es pour leur rire, et les femmes ont longtemps été exclues du rire, lorsqu’elles n’en furent pas la cible principale. « Alors, y aurait-il une couille dans le potache ? » (p. 103), se demande Azélie Fayolle. En revenant sur l’origine de cet humour avant tout masculin, elle montre que les féministes ont su l’investir, politisant la blague.

              Résister, d’un point de vue féministe, c’est aussi faire face au temps, à une (H)istoire qui n’inclut pas les femmes, aux « silences de l’Histoire » (Perrot, 1998, 2020) : « la formule notre temps nous même pourrait résumer cette lutte, qui se réalise aussi en littérature » (p. 117). La langue devient dès lors l’objet d’un travail de transformation, qui peut aller de l’écriture inclusive à une suppression du genre en passant par une féminisation totale, ainsi que le fait Typhaine D. De la langue, Azélie Fayolle en vient au sexe. « Le féminisme est-il anti-sexe ? » (p. 127), demande-t-elle avant d’expliquer qu’il ne s’agit pas de nier le sexe, mais de le représenter autrement. Reprenant la logique du female gaze et celle du « tender gaze », soit un regard tendre qui « humanise la personne désirée et respecte sa pudeur » (Nizard, 2024, p. 129, à partir de M. Cormican et J. William), l’autrice indique que le feminist gaze tient de « l’empathie et [de] la mise en relation » (p. 131). Elle ajoute qu’il refuse la « non-mixité dégradante. Il prolonge l’éthique sexuelle en une éthique textuelle » (p. 133). Le texte ne cherche pas à détourner ou à masquer le (non)consentement, de la même manière qu’il ne grime pas les femmes, car ce « qui saute avec le verrou de la sexualité : c’est cette impossibilité de (se) connaître » (p. 133). On se souvient alors évidemment des Guérillères de Monique Wittig, qu’Azélie Fayolle mentionne à bon escient :

Elles n’utilisent pas pour parler de leurs sexes des hyperboles, des métaphores, elles ne procèdent pas par accumulations ou par gradations. […] Elles disent que toutes ces formes désignent un langage suranné. Elles disent qu’il faut tout recommencer.

Entre ces langues et ces corps se trouvent en outre des narrations « où des femmes prennent la parole pour raconter, que le récit soit fictif ou factuel » (p. 151). Doit-on voir là une forme de narcissisme ? Selon Azélie Fayolle, ces témoignages ne sont pas le résultat d’une autocomplaisance. « La place des locutrices y est instable justement parce qu’ils montrent comment le “je” du témoignage individuel se construit comme une subjectivité, qui reste clivée en contexte patriarcal » (p. 153). Les femmes de la littérature féministe seraient-elles alors condamnées à n’être que vulnérabilité, quand les hommes garderaient leur puissance habituelle ? D’après la chercheuse, il est possible de « [r]emettre le Héros à sa place », c’est-à-dire de « laisser le virilisme de côté, et parier, plus que sur l’Héroïne, sur les femmes » (p. 159). On comprend alors que la littérature relevant d’un style féministe tient en partie de la rupture. Décalée, subversive, silencieuse et bruyante à la fois, elle propose un regard désaxé qui la situe dans l’utopie, ce monde qui peut traduire et produire du désordre (Cohen, Turbiau et al., 2022), cet univers qui n’est pas mais que les féministes esquissent en s’appuyant « d’abord sur le constat d’une réalité qui ne va pas comme elle est dite : en dire et en dénoncer l’injustice, c’est déjà rêver et construire un monde meilleur » (p. 181).

Pour rédiger Des femmes et du style, Azélie Fayolle a très certainement mené un travail de recherche de longue haleine. Effort de vulgarisation, un exercice que l’autrice met aussi en pratique sur les réseaux sociaux, cet ouvrage témoigne également des riches connaissances de l’universitaire qu’est Azélie Fayolle. On ressent en effet l’influence d’éminentes chercheuses telles que Michelle Perrot, Christine Delphy, Colette Guillaumin ou encore Patricia Hill Collins. Cependant, si ces théories ont très bien été comprises, elles sont intégrées à un essai écrit par une plume parfois railleuse. Ce ton affirmé peut bien sûr être plaisant, voire faire naître le sentiment d’appartenance à un groupe. Toutefois, il peut aussi déranger certain·es dans leur lecture. Enfin, on regrette de ne pas trouver plus d’analyses d’œuvres signées par des écrivains (hommes) dits marginaux ou féministes d’avant-gardes. Malgré ces quelques réserves, nous ne pouvons que reconnaître la richesse de l’ouvrage. En se confrontant à des questions éthiques, esthétiques et politiques, elle parvient à faire dialoguer l’Histoire et l’actualité, tout en balayant un vaste pan de la littérature, de Christine de Pizan à Alice Zeniter en passant par les saint-simoniennes, Renée Vivien, Virginia Woolf, Annie Ernaux, Léonora Miano ou encore Mariana Enriquez. La chercheuse prend en outre soin de mettre à l’honneur des femmes invisibilisées et qu’il est temps de redécouvrir : Olympe Audouard, Claire Démar, Madeleine Pelletier… Grâce à cette étendue d’exemples et ses observations, Azélie Fayolle est parvenue à faire émerger les nuances et possibilités d’un style féministe. Nous ne pouvons alors qu’espérer que cette recherche continue de s’étendre, car elle promet de nous faire écouter « des voix minorées (et pas seulement féminines, ni féministes) et faire entendre celles qui n’ont jamais pu parler » (p. 185).

Salomé Pastor - Doctorante en littérature française - Configurations littéraires

 

Bibliographie :

  • Jules Barbey d'Aurevilly, Les Bas-bleus, Paris/Bruxelles, Victor Palmé/Lebrocquy, 1878.
  • Henri Bergson, Le Rire. Essai sur la signification du comique, Paris, PUF/Quadrige, 1940.

  • Iris Brey, Le Regard féminin : une révolution à l’écran, Paris, Éditions de l’Olivier, 2020.

  • Judith Cohen, Samy Lagrande, Aurore Turbiau (dir.), Esthétiques du désordre : vers une autre pensée de l’utopie, Paris, Convergences, 2022.

  • Virginie Despentes, King-Kong Théorie, Paris, Grasset, 2006.

  • Elsa Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, Paris, La Découverte, 2017.

  • Nicole Edelman, Voyantes, guérisseuses et visionnaires en France, 1785-1914, Paris, Albin Michel, 1995.

  • Nicole Edelman, Histoire de la voyance et du paranormal. Du XVIIIe siècle à nos jours, Paris, Seuil, 2006.

  • Anne-Claire Marpeau, « La réparation du female gaze ? », Revue critique de fixxion française contemporaine, vol. 24, 2022.
  • Anne-Claire Marpeau, « Le regard masculin, ou male gaze : le roman réaliste français du XIXe siècle à l’épreuve d’un outil d’analyse féministe », Romantisme, vol. 1, N°201, 2023, pp. 139-154.
  • Laura Mulvey, « Visual Pleasure and Narrative Cinema », Screen, vol. 16, N°3, automne 1975, pp. 6-18.
  • Lucie Nizard, Poétique du désir féminin dans le roman de mœurs français du second XIXe siècle (1857-1914), thèse de littérature, Université Sorbonne nouvelle – Paris III, 2021.
  • Michelle Perrot, Les Femmes ou Les silences de l’histoire, (1998), Paris, Flammarion, 2020.

  • Monique Wittig, Les Guérillères, Paris, Les éditions de Minuit, coll. « Minuit double », 1969.

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- Lethictionnaire - Révolutions morales Recension
news-17343 Thu, 30 Jan 2025 15:16:45 +0100 L’« affaire » Chénier /en/news/piece-of-news/l-affaire-chenier L’« affaire » Chénier est une controverse qui a agité le champ universitaire littéraire français à la suite d’une lettre ouverte adressée au jury de l’agrégation de lettres modernes et publiée par des agrégatif·ves de lettres modernes en novembre 2017 sur le site de l’association féministe de l’ENS Lyon. Le contenu de cette lettre interrogeait le jury sur la pertinence de l’emploi du mot « viol » quand il s’agit de commenter littérairement un texte, en l’occurrence le poème « L’Oaristys » d’André Chénier, dans lequel un viol est représenté. Les auteur·ices de la lettre y argumentaient en faveur de l’emploi de ce terme. S’en est suivi un débat vif, voire virulent, à l’initiative d’Hélène Merlin-Kajman, entre ces jeunes chercheur·es et futur·es enseignant·es et des membres du séminaire Transitions de l’Université Paris III autour de la pertinence d’employer le terme de « viol » pour analyser un texte littéraire. Par la suite, des articles de presse d’un côté et des écrits universitaires de l’autre ont été publiés au sujet de la représentation des violences sexuelles dans les œuvres littéraires et des mots qu’on emploie pour les décrire et les commenter[1].

Outre le débat terminologique (dire le viol) se joue aussi un conflit d’interprétation (voir le viol), et au-delà d’une lutte de positionnements pour la légitimité entre divers·es acteur·ices du champ littéraire, l’affaire soulève des questionnements épistémologiques et éthiques. Comment intègre-t-on dans la recherche et l’enseignement les réceptions contextuelles et générationnelles ? Comment fait-on une place aux nouvelles épistémologies qui revendiquent la légitimité des savoirs situés, en lien avec la reconnaissance des groupes sociaux dominés et/ou minorés ? Comment aborde-t-on littérairement les problématiques éthiques et affectives que suscite la littérature, dans la recherche et en situation d’enseignement ?

Le texte

Pour aborder l’affaire Chénier, sans doute faut-il présenter brièvement le poème. « L’Oaristys » d’André Chénier est une réécriture de l’idylle 27 de Théocrite, idylle dont on sait aujourd’hui qu’elle est apocryphe. Dans la tradition de l’idylle et de la pastourelle, le poème est composé d’un dialogue versifié (en alexandrins ici) entre un berger, Daphnis, et une bergère, Naïs. Le texte est structuré par l’alternance entre l’insistance de Daphnis qui cherche à obtenir une relation sexuelle avec Naïs et le refus de cette dernière. À la fin du poème, Daphnis force Naïs à avoir une relation sexuelle malgré son refus. En termes contemporains, on dirait donc qu’il la harcèle, puis la viole.

Le poème d’André Chénier s’inscrit dans une tradition intertextuelle foisonnante et n’est en réalité pas la première, ni la dernière réécriture en langue française de l’idylle 27. Il en est une des versions, puisque le texte du pseudo-Théocrite a fait l’objet de nombreuses adaptations au XVIe et XVIIe siècles, ainsi que le montre Guillaume Peureux (Peureux, 2023). Estienne Forcadel, Jean-Antoine de Baïf, Antoine de Cotel, Claude Gauchet, Vauquelin de la Fresnaye et Jean de La Fontaine ont repris le texte et ses motifs (ibid.). Il est également intéressant de souligner qu’après Chénier, Balzac a réécrit le texte dans un chapitre des Paysans, sous le titre « L’Oaristys, XXVIIe églogue de Théocrite, peu goûtée en cour d’assises ». Il y raconte la tentative de viol d’une jeune paysanne de treize ans par un paysan et sa sœur.

Ces réécritures de l’idylle 27 en proposent des variations mais toutes mettent en scène l’agressivité sexuelle du personnage masculin, plus ou moins explicite selon les textes, face à un personnage féminin qui refuse toujours dans un premier temps la relation sexuelle, ce qui fait dire à Guillaume Peureux que les poèmes qu’il étudie apparaissent comme le lieu d’une interrogation sur une « situation sociale problématique » (ibid., p. 100[2]). Cette représentation littéraire répétée de la même situation traduirait l’observation d’un fait social qui dérange ou fascine, mais qui toujours interroge, ce que chaque écrivain représente avec les outils poétiques et littéraires de son temps. Le texte balzacien « réaliste », qui oscille entre dénonciation de la violence et sexualisation du personnage féminin, semble confirmer cette hypothèse.

Le débat contemporain au sein de l’université sur l’interprétation du texte de Chénier manifeste d’ailleurs lui aussi la persistance d’un questionnement sur les représentations littéraires des rôles de genre dans la scène de « séduction » et sur la violence inhérente à ce qu’on pourrait appeler le « script » (Gagnon, p. 73-79) hétérosexuel de cette scène.

Le débat : lignes de tensions

Résumons les grandes lignes de tension qui structurent ces échanges.

Une partie des arguments de la controverse porte tout d’abord sur une question de représentation littéraire. Deux positions se manifestent dans ce débat : d’un côté, l’idée que la scène de « séduction » présente dans « L’Oaristys » repose sur une série de codes et de topoï, construisant ainsi un jeu de rôles dans lequel le personnage féminin mime le refus. Il s’agirait pour le poète, d’une part, de répondre aux exigences de bienséance attendue du sexe féminin en matière de sexualité et, d’autre part, d’augmenter le plaisir érotique de la scène, dont l’attente mimerait et provoquerait l’exacerbation du désir du lecteur ou de la lectrice ; mais d’un autre côté, l’idée que la scène reprend en effet une représentation codifiée fictive qui figure une violence masculine et un rapport de genre dans lequel les femmes sont présentées comme passives et dominées, dans lequel leur « non » signifie « oui », fait le fond de ce qu’on appelle la « culture du viol ». En d’autres termes, la controverse permettrait d’interroger les rapports de la littérature et du réel, en particulier de la littérature et du monde social. Derrière l’affaire Chénier se joue la question de la figuration et de la modélisation des rapports sociaux. Typique et codifiée, cette scène dit-elle tout de même quelque chose des rapports de genre réels dans une société donnée ? Et a-t-elle une valeur d’exemple voire d’injonction ? Rappelons à ce titre que la controverse est née dans le contexte d’un concours d’enseignement, qui implique non seulement des questionnements très pragmatiques sur les attentes et modalités d’évaluation d’un concours qui détermine la carrière de celles et ceux qui le passent, mais aussi des questions sur ce que la littérature transmet et sur la façon dont on transmet la littérature.

Par extension, la controverse soulève donc des interrogations sur les liens entre littérature et éthique. Ce n’est alors pas seulement la portée éthique de la scène mais celle de son interprétation qui est mise en cause. Voir ou non, dire ou non le viol repose sur la validation ou l’invalidation de conduites dans le monde que certain·es des membres des camps opposés associent à une urgence éthique : défendre l’indépendance de la littérature face au militantisme et aux sirènes de l’idéologie, défendre les lecteurs et lectrices de la violence que la littérature perpétue. À ce titre, l’affaire Chénier est sans doute une manifestation de la révolution morale qui rend désormais les violences sexistes et sexuelles à la fois plus visibles et moins acceptables.

Plus encore, la controverse révèle le point de vue situé des interprètes et peut être analysée à l’aune des épistémologies du standpoint (Zenetti, 2021) et des approches en réception. À travers l’interprétation du texte, ce sont celles et ceux qui le lisent, les modes de lectures adoptés et les communautés interprétatives qui se rencontrent. Les différents acteurices du débat ont des positionnements sociaux divers (âge, sexe, légitimité au sein de l’université, etc.), adoptent des pratiques de lecture historicisantes ou actualisantes[3], ont recours à des traditions critiques différentes. Les études de genre par exemple, connues des signataires de la lettre, se sont diffusées depuis longtemps dans l’université anglo-américaine, et la pastourelle y a été lue comme une manifestation de la violence patriarcale, ce qui n’avait pas été le cas jusqu’alors au sein de l’université française. L’affaire Chénier peut ainsi être perçue comme un exemple de débat entre communautés interprétatives (Fish, 2007), en particulier en ce qui concerne la diffusion de voix féminines et de thèses féministes que soutiennent les signataires de la lettre, à laquelle s’opposent des interprètes moins sensibilisé·es au repérage des manifestations de la culture du viol dans les œuvres.

Le plus délicat dans l’affaire Chénier est alors peut-être ce que la lecture du texte suscite et éveille en matière d’affects et qui appartient à ce que j’appellerais une « phénoménologie de la réception ». La lecture de ce texte qui porte sur une expérience de « séduction » selon les un·es, de violence sexuelle selon d’autres, mobilise sans doute chez ses lecteurs et lectrices des expériences physiques et vécues. Elle engage des expériences du corps, de la sexualité et du pouvoir. Voir ou ne pas voir, dire ou ne pas dire que la violence masculine fait partie des représentations littéraires et artistiques de l’hétérosexualité peut donc renvoyer à d’autres expériences hors texte, certaines peut-être traumatiques, certaines peut-être inenvisageables, certaines peut-être insupportables, et on comprend alors le nécessité qu’il y a pu avoir à rendre dicible ou indicible le viol dans « L’Oaristys ».

Anne-Claire Marpeau - Configurations Littéraires

 

[1] La plupart des textes de la controverse sont disponibles sur le carnet d’Hypothèses Malaises dans la lecture.

[2] On doit d’ailleurs à Vauquelin de la Freysnaye ce qui semble être la première occurrence en langue française du terme « harceler » dans son acception sexuelle. 

[3] La question de l’anachronisme et la défense de l’anachronisme contrôlé (Nicole Loraux) a été souvent soulevée.

 

Bibliographie :

  • Stanley E. Fish, Quand lire c’est faire. L’autorité des communautés interprétatives, trad. de l’américain par E. Dobenesque, Paris, Éd. Les Prairies ordinaires, 2007.
  • John Gagnon, « Les usages explicites et implicites de la perspective des scripts dans les recherches sur la sexualité », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 128, juin 1999, p.73-79.
  • Guillaume Peureux, « “Jamais un brave chien n’abandonne son os”. Remarques sur L’Oaristys entre 1548 et 1674 », dans Armel Dubois-Nayt et Réjane Hamus-Vallée (dir.), Écrire l’histoire du harcèlement sexuel. Les mots pour le dire, Actes du webminaire AVISA Historiciser le harcèlement sexuel, Gif-sur-Yvettes, MSH Paris-Saclay Éditions, 2023, p. 95-108.
  • Marie-Jeanne Zenetti, « Théorie, réflexivité et savoirs situés : la question de la scientificité en études littéraires », dans Fabula-LhT, n° 26, 2021.
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- Lethictionnaire - Révolutions morales
news-17342 Thu, 30 Jan 2025 15:04:29 +0100 Clotilde Leguil, Céder n’est pas consentir : une approche clinique et politique du consentement /en/news/piece-of-news/clotilde-leguil-ceder-nest-pas-consentir-une-approche-clinique-et-politique-du-consentement Paris, PUF, coll. « hors collection », 2021, 224 pages. « Si la révolte du “Nous les femmes” énonce un “non”, l’écriture du “Je” explore l’ambiguïté d’un “oui” » (p. 10). Avec Céder n’est pas consentir, Clotilde Leguil, philosophe, essayiste et psychanalyste, propose d’interroger la frontière entre le consentement et la cession, ces « affaires de corps et de paroles […], d’inconscient et de pulsion » (p. 22). Alors que Mai 68 a entraîné une libération des corps, un processus dont la face négative a longtemps été « cachée » (Malka Marcovich, L’Autre héritage de 68, 2018) : injonction à la jouissance, normalisation des abus par exemple, les années #MeToo ont libéré la parole des femmes, leur offrant la possibilité de dire et écrire ce qui leur est arrivé. On assiste ainsi à la naissance d’un espace d’échange et de partage d’expériences qui, cependant, suscite des débats. En plus de renforcer le clivage séparant les hommes des femmes, ce « nous » nouvellement entendu « n’ouvre pas sur une reconnaissance singulière du traumatisme de chacune » (p. 13). C’est ici que l’intérêt de la littérature se fait pleinement ressentir, car elle permet d’interroger la parole du « je » et invite à « trouver une langue singulière pour dire ce qui m’est arrivé » (p. 14). C’est ce qu’a fait Vanessa Springora avec Le Consentement (2020). Née à une époque marquée par la libération sexuelle, l’autrice de ce témoignage est non seulement la victime d’un homme mais aussi celle d’une ère où « “céder” avait voulu dire “consentir” au profit de quelques-uns cherchant à jouir sans s’inquiéter du désir de l’Autre » (p. 19). Pourtant, « ce à quoi elle a consenti n’a aucun rapport avec ce à quoi elle a dû céder » (p. 20). À partir de ces premières constatations, Clotilde Leguil décide de partir à la découverte de « ce monde intime et mystérieux du consentement » (p. 11), et cela en mêlant psychanalyse, art et politique.

 « Qui ne dit mot consent » ? : mystère, voix muette et corps parlant

Depuis quelques années, le système médical a mis en pratique le « consentement éclairé ». Née de la méfiance des patient·es envers les médecins, et inversement, cette sorte de pacte « fait croire à un fondement rationnel du consentement » (p. 31), alors même que le cum sentire se fonde sur le sentir. Le consentement est un « pari » (p. 33) que je fais sans savoir : j’accepte de vivre l’« expérience d’un dénuement » (p. 28), de me confier à l’autre, sans pour autant être sûr·e de ce qui m’arrivera vraiment. Cette « ouverture à l’autre » (p. 27) n’est cependant pas un don total, une idée que Clotilde Leguil analyse à travers La Prisonnière (1923) de Marcel Proust. Consentant à donner son amour, Albertine reste toutefois un personnage opaque aux yeux du narrateur. « Il perçoit bien que son consentement ne dit pas tout d’elle. Elle n’est pas “toute” à lui pour autant » (p. 28-29). On ressent dès à présent les registres freudien et lacanien qui inspirent la psychanalyste, le « toute » rappelant le « pas toute phallique » de Lacan. À la suite de ses prédécesseurs, Clotilde Leguil se tourne vers le féminin et se demande si le consentement ne révèlerait pas « quelque chose de la féminité comme expérience corporelle de jouissance » (p. 35), voire s’il ne serait pas une mise en forme de l’expérience du « devenir femme », laquelle ne tiendrait « d’aucun programme naturel ou social, d’aucune obligation, mais plutôt d’un consentement fondé sur la rencontre » (p. 35).

Quelque énigme que puisse receler le consentement, il ne relève pas du traumatisme. A contrario, la cession tient d’une « angoisse qui provient de ne pas savoir, quelquefois, jusqu’où il faut aller pour obtenir une reconnaissance de l’autre » (p. 43). Par cette définition, Clotilde Leguil entend montrer que l’action de céder peut venir d’une « sur-obéissance » (p. 44, elle reprend Frédéric Gros, Désobéir, 2017) qui, cependant, n’est pas forcément visible de l’extérieur : « Qui peut affirmer s’il y a eu consentement ou pas, entre deux êtres ? Seule la parole du sujet concerné peut permettre de révéler cette frontière » (p. 46). Que faire alors lorsque le sujet ne sait plus ? Lorsqu’il s’est tu ? Lorsqu’il se tait ? « Qui ne dit mot consent », dit le dicton. S’il est vrai que le consentement peut se faire silencieusement, le silence n’est toutefois pas nécessairement un consentement. Parfois, « “Qui ne dit mot” a perdu la parole », explique la psychanalyste. « “Qui ne dit mot” est condamné au silence car l’effraction à laquelle il a eu affaire dans le corps ne se laisse pas dire » (p. 49). En somme : « qui ne dit mot » n’a pas forcément consenti, pas toujours, quelquefois pas du tout, et c’est précisément cette absence de consentement que la personne ne parvient pas à dire, voire dont elle ne saura jamais parler. Mais lorsque « je » ne dit pas, le corps, lui, parle. Il sait, marqué qu’il est « par l’expérience d’une rencontre qui a laissé en lui des hiéroglyphes illisibles et douloureux, traces de l’événement traumatique » (p. 47).

Passif politique et passivité : consentir ou « se laisser faire »

Pour parvenir à comprendre en profondeur la notion de consentement, Clotilde Leguil se tourne vers le domaine politique et rappelle que le terme acquiert une importance particulière à partir du XVIIIe siècle, avec la pensée du contrat social. Ce dernier, qui suppose de « ne se soumettre qu’à l’autorité que l’on reconnaît » (p. 54), aurait été implicitement signé par « des sujets libres et égaux en droit » (p. 57) et remettrait en question l’autorité éternelle du père. En effet, celle-ci ne devrait durer que le temps de l’enfance, après quoi les enfants, devenus sujets, consentent ou non au paternalisme. Ces interprétations peuvent être étayées par d’autres travaux. Dans The Sexual Contract (1988), Carole Pateman revient elle aussi sur le contrat social et montre qu’il implique un contrat sexuel fait entre hommes. Le consentement des femmes serait donc toujours déjà impensé, ou du moins détourné, dans le contrat originel. On rejoint alors ici, mais de biais, l’hypothèse de Clotilde Leguil qui, en s’appuyant notamment sur 1984 de George Orwell (1949), et L’Homme révolté d’Albert Camus (1951), explique que le consentement peut être instrumentalisé. Ce faisant, la chercheuse montre que la littérature peut restituer des dispositifs psychologiques qui, de façon immédiate, sont parfois voilés. En somme, il semble que la littérature soit apte à questionner les notions de transparence et de secret en ce qu’elle est un média capable de visibiliser, de dévoiler ce qui n’est pas toujours conscientisé par un sujet.

Mais pourquoi me suis-je laissé·e faire ? Possible « point de bascule » (p. 65) entre « céder » et « consentir », le fait de « se laisser faire » peut se décliner selon plusieurs modalités. Il existe tout d’abord un « se laisser faire » consenti et qui relève du désir. Passion Simple (1992) d’Annie Ernaux sert ici d’exemple à Clotilde Leguil pour illustrer son propos. « Se laisser faire » peut aussi recouvrir une dimension plus angoissante et traduisant mon ignorance quant à « ce que l’autre veut de moi » (p. 69). Enfin, l’essayiste s’intéresse à une troisième modalité. Cette fois, l’idée de « se laisser faire » est perçue comme un « moment trouble et obscur où le sujet n’est plus en mesure de consentir ou pas » (p. 77). Alors que les exemples ne manquent pas, – on ne compte malheureusement plus le nombre de victimes qui, des années après un acte pédocriminel, se souviennent et prennent la parole –, c’est sur le cas d’une patiente de Freud, Emma Eckstein, que s’arrête l'autrice. Le récit d’un cas clinique est attendu dans l’ouvrage d’un·e psychanalyste. Cependant, pourquoi s’appuyer sur un cas si ancien ? À la lecture de l’essai, il apparaît en effet que cet exemple ne fait qu’instaurer une excessive distance entre les lecteur·ices et le sujet du livre, ce qui empêche, non pas d’en comprendre l’importance, mais de s’y confronter, d’y faire face, ici et maintenant. Que disent les femmes d’aujourd’hui lorsqu’elles se font psychanalyser ? Ont-elles la même réaction qu’Emma, cette femme décédée il y a près d’un siècle, soit bien avant Mai 68 et #MeToo ? Si Clotilde Leguil ne donne pas de réponses directes à ces questions, par l’analyse d’une étude de cas plus récente, elle revient en revanche sur les tenants et conséquences de la cession, un acte qui recouvre différentes formes.

Céder sur et à

L’expression « céder sur », qui signifie abandonner son désir, le mettre de côté, a été mise en évidence par Lacan. Pour lui, l’éthique consiste non seulement à ne « pas céder sur son désir » mais également, et ceci découle de cela, à « ne pas céder à la pulsion [de mort] » (p. 93), ce qui ne veut toutefois pas dire qu’il faille « opérer un forçage sur l’Autre. Ne pas céder sur son désir, c’est prendre garde à sa propre jouissance » (p. 104). Antigone se révèle alors être un personnage exemplaire, car elle « ne consent pas et ne cède pas. […] La jeune fille préfère aller à la mort, être enterrée vivante, plutôt que de renoncer à son désir » (p. 106). Si, à la lecture de ces mots, l’on pourrait penser qu’Antigone se laisse aller à la pulsion de mort, là n’est pas l’analyse de l'autrice. En effet, Clotilde Leguil explique que l’héroïne « ne renonce pas à son désir et fait de ce désir une valeur plus grande que sa vie même » (p. 106). D’aucun·es peuvent certes reprocher à cette interprétation d’être quelque peu forcée. Malgré tout, on ne saurait nier la lutte qu’a menée Antigone pour ne pas se trahir, pour ne pas se sentir coupable d’avoir cédé sur « son désir de ne pas céder » (p. 106).

« Céder à » a un tout autre sens. Liée au traumatisme, cette expression porte à interroger le « sujet dans son rapport au corps, à son corps » (p. 110). Selon la psychanalyste, en cas de situation traumatique le sujet cède à la situation même, et il se fige, incapable de dire quelque angoisse. Ce « figement » est donc lié à de l’« inarticulable », que Clotilde Leguil perçoit selon plusieurs dimensions. Elle montre ainsi qu’à la pudeur s’ajoute l’idée d’aveu, laquelle implique « de dire quelque chose de ce qui a été éprouvé sans le consentement du sujet […]. Cet aveu peut alors fragiliser celle ou celui qui ne parvient pas à faire reconnaître ce qui s’est produit en son corps » (p. 115).

Parler et croire : (re)trouver sa langue

« L’histoire du traumatisme sexuel est toujours l’histoire d’un silence » (p. 126). Telle est l’idée que Clotilde Leguil tire de l’un de ses rêves et du mythe de Philomèle. Violée par Térée, la jeune femme est ensuite mutilée par l’homme, qui lui coupe la langue. Si l’« image de langue coupée dit métaphoriquement le morceau de corps arraché par le traumatisme sexuel » (p. 133), l’histoire de Philomèle nous apprend aussi que « [c]e dont on ne peut plus parler, il ne faut pourtant pas le taire. […] Il faut inventer une autre langue » (p. 134), ici par la broderie.

Dora, patiente de Freud, a cherché cette langue. Elle a tenté de parler, mais son père ne l’a pas crue. Alors sa langue fut le mutisme, car se retrouver face à une personne qui ne croit pas « réédite le caractère inarticulable du trauma » (p. 120). Pour livrer quelque parole, il faut se trouver face à quelqu’un·e « qui sache en faire résonner aussi la dimension de silence » (p. 143), cette zone du « mi-dire » lacanien et qui traduit un trauma qu’on ne dit pas clairement mais que « les mots peuvent faire résonner à travers ce qu’ils disent » (p. 144). Autrement, comment faire entendre ce contre quoi « je » n’a peut-être pas dit mot ? Ce face à quoi le mutisme est la réponse ? « Comment dire avec des mots ce qui ne relève plus des mots mais qui a percuté le corps ? » (p. 144), demande encore Clotilde Leguil.

L’Autre et moi : collectif, féminité et concession

Comment faire lorsque mon expérience côtoie celle d’une collectivité ? Lorsque tout fonctionne « [c]omme si le “Nous” imposait silence au “Je” » (p. 148) ? Pour analyser ces situations, la psychanalyste revient notamment sur les traumatismes de guerre et explique que la question du consentement et de la cession s’entend aussi en temps de guerre, lequel ouvre à la notion de « non-préparation » (p. 154) et d’effroi. Un ouvrage comme Le Lambeau (2018), de Philippe Lançon, lui permet par ailleurs de souligner l’intérêt de l’écriture, qui « peut devenir le lieu où se dit cet indicible du trauma » (p. 161). Retraçant les attentats du 7 janvier 2015, l’auteur a « recousu quelque chose qui s’était ouvert à vif » (p. 163). Certes, son ressenti et son vécu ne seront jamais ceux de l’ensemble des victimes. Néanmoins, « entendre, lire la solution d’un seul, sa réponse au réel, transmet à chacun une direction » (p. 166).

Il est une expérience, cependant, « qui n’est pas représentée dans le groupe, dans l’universel de l’ensemble des êtres qui appartiennent à la même espèce, dans le langage même » (p. 172) : c’est celle de la féminité, au sens où l’entend Lacan. Selon lui, « La femme n’existe pas », c’est-à-dire qu’il n’y a pas un modèle « Femme ». Par ailleurs, Lacan met en évidence une jouissance dite « féminine », soit une jouissance qui n’est pas toute phallique mais qui est un peu ailleurs. Clotilde Leguil montre ainsi que le consentement entretient un lien particulier avec la féminité, ce « dédoublement » que met en scène David Lynch dans Mulholland Drive (2001). Dans ce film onirique, le cinéaste expose une femme persuadée que « La » femme existe. Cette croyance crée chez Diane, l’héroïne, une fascination pour une autre femme, en qui elle dépose « l’éclat d’une féminité qui lui semble inaccessible » (p. 173). Ce faisant, Diane rejette l’expérience de la féminité, c’est-à-dire qu’elle refuse de consentir à cette « région de soi-même, marquée d’une opacité et qui peut se réveiller telle une part méconnue de ce que l’on ne savait pas de nous » (p. 175). Et l’essayiste d’écrire :

Si le consentement est dessaisissement, la féminité aussi, si le consentement est “déprise” de soi, la féminité aussi, si le consentement est une façon de se jeter dans une aventure dont on ne connaît pas les tenants et les aboutissants mais qui nous fait nous sentir plus vivants, la féminité aussi, si le consentement est affaire de choix intime et de vibration corporelle, la féminité aussi (p. 168).

Intense, cette « rencontre avec une jouissance qui traverse le corps » ne doit pas se confondre avec « une jouissance imposée par l’autre, qui provoque […] un séisme auquel le corps ne consent pas » (p. 185). En se focalisant sur le sujet féminin, Clotilde Leguil explique que l’amour, qui est « une condition de la jouissance », peut parfois donner lieu aux « plus grandes concessions » (p. 189). Frontière entre « consentir » et « céder », la concession revient à « renoncer au désir pour faire de la jouissance supposée de l’Autre le signe hypothétique de l’amour, déjà perdu » (p. 196).

114 000. C’est le nombre de victimes de violences sexuelles enregistrées en 2023 (7 mars 2024). Combien d’autres gardent encore le silence ? Au nom de quoi ? En 2021, Camille Kouchner expliquait avoir « consenti au silence » (p. 201) au nom de sa « grande famille » (La Familia grande, 2021). D’autres le font au nom de « l’indivision d’un amour imaginaire, [de] l’indivision d’une communauté » (p. 201), ou encore au nom du père. Si le « au nom de » amène à « la démission de soi-même » (p. 201), il peut aussi pousser à « désobéir à la soumission » (p. 201), à se révolter. « Se révolter, lorsque le consentement conduit au traumatisme, c’est se retrouver » (p. 203). Loin de lancer un appel implicitement injonctif aux victimes silencieuses, Clotilde Leguil ne se leurre pas. Elle sait que cette révolte peut coûter : « Le prix à payer pour l’accès à son propre “Je” est alors un autre consentement, un consentement à prendre le risque de perdre finalement un monde dans lequel on a cru » (p. 202). Cette conscience est l’une des plus grandes qualités de Céder n’est pas consentir, un essai par ailleurs rédigé par une plume attentive au style et à la formule. Il est vrai que certains passages sont complexes, surtout pour un public ne s’étant jamais confronté au discours lacanien et aux théories freudiennes. Cependant, les propos les plus importants de Clotilde Leguil ne se trouvent pas dans les idées parfois cryptiques de ses prédécesseurs. Ils sont dans ce qu’elle en ressort, dans ses analyses littéraires et cinématographiques (Proust, Ernaux, Woolf, Duras, Lynch, Cukor, Lançon, Cimino, Hitchcock, par exemple), dans les questions qu’elle pose et qui invitent à écouter la parole de l’Autre, même – surtout ! –  si c’est un silence. « Je » n’a pas dit non. « Je » n’a rien dit. « Je » a peut-être même joui. Qu’importe. Écoutez bien, car « céder n’est pas consentir ».

Salomé Pastor - Doctorante en littérature française - Configurations Littéraires

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- Lethictionnaire - Révolutions morales Recension
news-17341 Thu, 30 Jan 2025 14:47:45 +0100 Male gaze / female gaze / feminist gaze /en/news/piece-of-news/male-gaze-female-gaze-feminist-gaze L’analyse du point de vue genré suscite depuis plusieurs années d’importants débats dans le domaine des études littéraires françaises et francophones. La discussion que suscite la prise en compte des marques de genre dans les descriptions focalisées, bien ancrée dans le contexte anglo-saxon, semble avoir tardé à franchir l’Atlantique : dès les années 1980, la chercheuse américaine Susan S. Lanser appelait à une « narratologie féministe », « une réécriture de la narratologie qui prenne en compte les contributions des femmes comme productrices et comme interprètes des textes[1]. »

En 1975, dans son article fondateur intitulé « Visual Pleasure in Narrative Cinema », Laura Mulvey avait déjà élaboré un concept pour étudier le genre du point de vue au cinéma : le « male gaze ». Le terme de « gaze » désigne en anglais un regard long et intense[2] ; on pourrait donc traduire grossièrement par « regard fixe du mâle ». Mais il ne suffit pas que l’instance focalisatrice soit de sexe masculin pour qu’il y ait « male gaze ». Mulvey définit plusieurs critères : le « male gaze » est celui qui impose « [l]a femme comme image, l’homme comme porteur du regard » (Mulvey, p. 40). Il morcelle le corps féminin, restreignant le regard du spectateur à des zones du corps fortement érotisées ; il réifie, contraignant le corps regardé au statut d’objet du désir. Dans la définition que Mulvey établit du « male gaze », le masculin est synonyme d’actif, tandis que le féminin est toujours déjà passif, restreint à sa « vocation à être regardé[3] ». Le personnage féminin est ainsi voué à l’exhibition, sur le modèle de la pin-up ou de la strip-teaseuse. L’article de Mulvey revendique un ancrage psychanalytique, usant notamment de la notion freudienne de « pulsion scopique », ce plaisir pris à regarder un tiers comme objet érotique qui serait au fondement du « male gaze ». La conclusion de l’article soutient que « la femme en tant que représentation peut signifier la castration et déclencher les mécanismes voyeuristes et fétichistes nécessaires pour contourner la menace qu’elle incarne. »  (Mulvey, p. 49)

L’article de Mulvey, traduit en français en 2017, a eu un retentissement aussi important que tardif. Tout en prenant le plus souvent leurs distances avec l’angle psychanalytique affiché par Mulvey, les spécialistes de littérature ont récupéré la notion, en tentant de l’adapter à l’analyse textuelle. Que devient le « gaze » lorsque disparaissent caméra et cadrage ? Plusieurs propositions ont émergé récemment. La question se pose dès lors en termes de focalisation littéraire ; elle interroge les techniques de la description en focalisation masculine, à la recherche des signes textuels de point de vue. Anne-Claire Marpeau a ainsi proposé une lecture nuancée du regard masculin dans le roman réaliste du XIXe siècle :

Les récits réalistes produisent donc des effets paradoxaux, puisqu’ils orchestrent la codification des normes du corps féminin selon les attentes du male gaze et font de la violence de ce regard une conséquence du désir suscité par ce corps, mais ils offrent, dans le même temps, la possibilité de s’identifier à certains protagonistes féminins et de faire, par la fiction, l’expérience d’une destinée féminine, ce dont la réception des textes peut parfois témoigne (Marpeau, 2023).

Cette restitution de l’« expérience d’une destinée féminine », Iris Brey l’a analysée en 2020 dans son ouvrage Le Regard féminin. Une révolution à l’écran. Comme Mulvey, Brey affine le concept de « gaze » à partir du cinéma. Elle choisit une approche phénoménologique, qui permet de définir le « female gaze » comme « un regard porteur d’une expérience spécifique – celle de ressentir une expérience vécue féminine – dont la subjectivité repose sur une construction historique et sociale. » (Brey, p. 49). Le « female gaze » serait un regard non plus voyeur ou fétichiste mais empathique vis-à-vis du personnage féminin : « nous ne la regardons pas faire, nous faisons avec elle. » (Brey, p. 40)

Azélie Fayolle pointe trois ans plus tard, dans son ouvrage Des femmes et du style. Pour un feminist gaze, la menace d’essentialisme portée par le couple male / female gaze. Son feminist gaze permet d’éviter la dichotomie genrée, et d’interroger plus directement l’ampleur politique d’un regard qui rejette le point de vue des dominants. Azélie Fayolle ouvre la question du gaze à celle du style littéraire : « Ce sont des styles et des esthétiques élaborés contre la domination masculine, représentant l’expérience sociale de l’appartenance à la classe des femmes, qui font le feminist gaze – et le style féministe. » (Fayolle, p. 33). L’autrice a organisé avec Clément Dessy un colloque de grande ampleur intitulé « Male gaze, female gaze, feminist gaze, queer gaze… quels styles pour les études de genre ? XVIIIe-XXIe siècles », dont les actes permettront d’éclairer ces notions encore en construction et de préciser leurs modalités d’application aux champs littéraires.

Le concept de gaze prouve sa richesse et sa plasticité par les nombreux usages qui en sont faits. Pauline Noblecourt l’emploie avec profit pour questionner l’éclairage sur les scènes de théâtre au xixe siècle (Noblecourt, 2020) ; Muriel Cormican et Jennifer Marston William proposent la notion de « tender gaze » (Cormican, 2021), qui défend la dimension éthique d’un regard humanisant ; d’autres « gazes » émergent (queer, colonial, adult, validist…). Ils permettent tous d’interroger des regards dominants, et cherchent à déplacer le point de vue – littéralement et dans tous les sens.

Lucie Nizard - Université de Genève (Unige)

 

[1] Nous traduisons de l’anglais (U. S.) le passage suivant : « a rewriting of narratology that takes into account the contributions of women as both producers and interpreters of texts. » Lanser, Susan S., « Toward a Feminist Narratology », Style, vol. 20, n° 3, 1986, p. 341‑363, p. 343.

[2] D’après le Merriam-Webster Dictionary, “to gaze” signifie “to fix the eyes in a steady intent look often with eagerness or studious attention”, ce que nous traduirions par « fixer avec un regard fixe et déterminé, souvent avec insistance ou une attention studieuse ».

[3] Mulvey parle de « to-be-looked-at-ness ».

 

 

Bibliographie :

  • Iris Brey, Le regard féminin: une révolution à l’écran, Paris, Editions de l’Olivier, 2020.
  • Muriel Cormican et Jennifer William, The Tender Gaze: compassionate encounters on the German screen, page, and stage, Rochester, New York, Camden House, coll. Women and gender in German studies, 2021
  • Susan S. Lanser, « Toward a Feminist Narratology », Style, vol. 20, n° 3, 1986, p. 341‑363.
  • Anne-Claire Marpeau, « Le regard masculin, ou male gaze : le roman réaliste français du XIXe siècle à l’épreuve d’un outil d’analyse féministe », Romantisme, vol. 201, n° 3, 2023, p. 139‑154.
  • Laura Mulvey, Au-delà du plaisir visuel: féminisme, énigmes, cinéphilie, n. 1, Milan / Paris, Éditions Mimésis, coll. Formes filmiques, 2017.
  • Pauline Noblecourt, « Techniques du regard masculin sur les scènes parisiennes, 1850-1880 », in Frédérique Desbuissons, Marie-Ange Fougère et Érika Wicky (dir.), L’œil du XIXe siècle, Actes du Congrès de la SERD, Société des Études romantiques et dix-neuviémistes, 2020.
  • Jennifer Tamas, Au Non des femmes. Libérer nos classiques du regard masculin, Paris, Seuil, « La couleur des idées », 2023.

 

 

 

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- Lethictionnaire - Révolutions morales Transparence et secret Faire cas / Prendre soin
news-17340 Thu, 30 Jan 2025 14:16:36 +0100 #MeToo /en/news/piece-of-news/metoo En 2006, la militante américaine Tarana Burke donne à son association contre les violences sexuelles le nom de « Me Too ». Le 15 octobre 2017, alors qu'éclate dans les médias l’affaire Weinstein, producteur de cinéma américain accusé de multiples agressions et viols, l’actrice et productrice étatsunienne Alyssa Milano écrit les mots suivants sur le réseau social Twitter : « If you’ve been sexually harassed or assaulted write “me too” as a reply to this tweet. » [Si vous avez été harcelé ou agressé sexuellement, écrivez « moi aussi » en réponse à ce tweet]. Avec près de 800 000 tweets en 24 heures, l’expression devient virale. Transformée en hashtag, elle est depuis lors un slogan de ralliement pour les victimes de violences sexistes et sexuelles (VSS). Deux jours plus tôt en 2017, la journaliste française Sandra Muller avait lancé sur les réseaux les mots de ralliement : #BalanceTonPorc, également en réponse aux discussions autour de Weinstein et de l’accusation du patron de la chaîne française Equidia. La formule utilisée sur les réseaux sociaux français fait néanmoins polémique : le « porc » désigne l’abuseur et le violeur, mais suscite des accusations de « stigmatisation de la gent masculine assimilant tous ses représentants à d’ignobles bêtes » (Froidevaux-Metterie, 2020), et #MeToo reste aujourd’hui majoritairement utilisé comme mot de ralliement. Les témoignages sont très nombreux et inondent le discours sur les réseaux sociaux, devenant rapidement un sujet médiatique incontournable ; les accusés sont rarement nommés, mais les faits sont détaillés, confirmés par d’autres, dans tous les milieux professionnels et sociaux, montrant le caractère systémique et global des VSS.

Un mouvement féministe

#MeToo est d'abord un enjeu de transparence et de secret : la prise de parole publique par une poignée de personnes encourage la parole de nombreuses autres. Une spirale vertueuse s’enclenche : l'augmentation du nombre de témoignages renforce alors de nouvelles prises de parole. Des rapports de force s'établissent entre la parole des unes et l'omerta de la société. La fin du tabou de la condition de victime se traduit par l’un des mots d’ordre du mouvement : « la honte change de camp », retournée vers les agresseurs (la pratique militante du shaming - l’humiliation - consiste à nommer publiquement l’agresseur). Les dénonciations publiques veulent rendre visible la fréquence de ces violences qui interviennent dans tous les milieux, protéger les autres victimes potentielles et encourager leur prise de parole, afin d’éventuellement lancer une procédure judiciaire et / ou obtenir un soutien de la part des pairs voire une réparation morale. La dénonciation des VSS dans les milieux professionnels, culturels, politiques et associatifs met au jour les relations hiérarchiques qui favorisent la dissimulation de la violence : l’agresseur Weinstein a été protégé par le milieu du cinéma hollywoodien car il était à la tête d’un studio de production puissant et ses victimes étaient de jeunes femmes au début de leur carrière. #MeToo a également mis en lumière la fréquence des VSS dans les milieux familiaux et amicaux : les féminicides sont régulièrement relevés par les associations, la prise de conscience de la réalité du viol conjugal augmente, l’inceste et les violences faites aux enfants prennent une place grandissante dans le discours, avec notamment la médiatisation des rapports de la Civiise en France, les plans de lutte lancés par le gouvernement (avec une efficacité très relative), et le soutien d’une partie du corps politique aux engagements de Lyes Louffok pour la protection de l’enfance.

De ce fait, #MeToo engendre une révolution morale en raison de l’extrême rapidité du changement de regard sur ce qu’on ne qualifiait pas toujours de violences auparavant, mais de mœurs qui feraient partie de la sphère privée (le principe du « devoir conjugal », l’idée que la chambre à coucher ne concerne personne d’autre) ou d’actions qui relèveraient d’une « nature masculine » (les hommes auraient des besoins primaires contre lesquels ils ne pourraient lutter). L’idéologie patriarcale, jusqu’ici dominante, crée, nourrit et enrichit une culture du viol, c’est-à-dire les comportements qui minimisent, banalisent ou encouragent les violences sexuelles (Valérie Rey-Robert, 2020). Elle laisse son agresseur profiter d’une impunité totale et rend la victime responsable de son agression, ce qui se traduit dans les champs littéraires et artistiques par certains discours, procédés et représentations qui convergent pour ignorer ou excuser les VSS (dans la littérature : euphémisation ou ironie, récit construit autour du point de vue de l’agresseur, plan cadré déshumanisant la victime, etc. ; au cinéma : violence montrée du point de vue de l’agresseur qui provoque une empathie avec lui mais ignore l’expérience de la victime, déformation du point de vue de la victime, scènes qui visent à excuser ou justifier une agression). Les conséquences de #MeToo ont donc été majeures, puisque le mouvement a autant permis de pointer du doigt une discrimination sexiste que de réinterroger la notion de consentement, et partant de montrer les violences et abus normalisés en contexte patriarcal. #MeToo a donc incité la société à se focaliser sur la deuxième participante de la relation et son consentement.

Si cette révolution morale a rapidement pris de l’ampleur, c’est aussi parce que le terrain a été préparé depuis les années 1970 par les mouvements féministes de l’époque, qui ont formulé et théorisé ces questions de la sexualité, de la violence, du travail et du pouvoir. L'analyse féministe des VSS montre que ces violences sont issues de la structure des rapports sociaux de sexe, et non le fait de comportements individuels. #MeToo soutient une prise de conscience générale des VSS et de leur fonctionnement, la volonté d’une meilleure éducation et d’une prise de responsabilité générale, et la nécessité de réformes ou lois pour une meilleure prise en charge. En France, quelques résultats législatifs sont déjà apparus, par exemple la promulgation d’une loi en 2018 visant à allonger le délai de prescription des violences sexuelles, ou d’une loi en 2021 visant à mieux protéger les mineurs des crimes sexuels et de l’inceste, à la suite du mouvement #MeTooInceste. Début 2025, une proposition de loi est déposée pour inscrire le non-consentement dans le Code pénal, nécessité débattue par les féministes sur le plan philosophique, juridique et militant.

L’anthropologue et psychiatre Claire Mestre et la psychiatre Marie Rose Moro notent que le langage n’est pas toujours la première réaction ; sur le continent africain entre autres, des femmes choisissent de partir : « Elles disent #MeToo avec leurs pieds, elles forment les bataillons des migrations contemporaines, sûres de ne pouvoir être défendues et entendues dans leurs contrées et gonflées d’espoir d’être protégées en Europe » (2018).

#MeToo est bien un mouvement féministe, un jalon intellectuel et culturel qui contribue à visibiliser et structurer les féminismes contemporains, et provoque un changement d’idées dans les domaines théoriques, politiques et culturels. Il contribue à une prise de conscience des enjeux linguistiques, artistiques, littéraires des VSS et touche, entre autres, à la littérature et aux arts. Il fonctionne également comme un mouvement féministe en raison du retour de bâton qu’il a immédiatement subi : le backlash, théorisé par la journaliste et militante Susan Faludi en 1981 dans l’essai éponyme, désigne le discours antiféministe mis en place pour freiner toute révolution morale et empêcher la conservation des acquis sociaux et moraux. S. Faludi relève un effet systématique, commun aux États-Unis dans les années 1980, à l’Angleterre du début du XXe siècle (où les revendications pour le droit de vote des femmes mènent à un virulent combat médiatique et à un retour des idées conservatrices), ou encore à l’Argentine sous Javier Milei à partir de 2023. En France, dans les années 2020, le discours conservateur anti-MeToo est porté par une idéologie antiféministe, et se retrouve surtout dans les milieux politiques de droite et d’extrême droite (la classe politique n’a pas pris acte de ce changement dans son ensemble, comme le montre le soutien du président de la République envers Gérard Depardieu ou Gérald Darmanin ; d’autre part se lève une vague éditoriale de textes antiféministes comme les ouvrages de la polémiste Caroline Fourest), et il devient un argument rassembleur autour de la régression des droits. Le backlash se révèle aussi dans les sphères culturelles, de manière plus insidieuse : cinéma, musique, littérature, mode, publicité, soutiennent en partie le même agenda politique en diffusant des réactions conservatrices pour diminuer l’impact de la révolution morale et empêcher la continuation du progrès et des droits acquis.

#MeToo dans la littérature et les arts

Dans la littérature, les débats éthiques sont fréquents quant au contenu des livres et notamment à la représentation des VSS (l’émergence du métier de sensitivity reader ou démineur littéraire étant un signe fort de cette nouvelle attention). Certaines œuvres anciennes ou récentes peuvent être retirées de la vente, on interroge la possibilité d’une séparation ou dissociation entre l’œuvre et l’artiste, ou ce que fait #MeToo à la littérature (M.-J. Zenetti, 2022). Mettre des mots sur des réalités auparavant non reconnues (reconnaissance du viol, par exemple), donc de nouveaux objets et enjeux, nécessite de nouvelles pratiques de lecture et de critique, et de nouveaux modèles interprétatifs. Cela incite la critique littéraire à s’enrichir et dépasser l’opposition théorique intenable entre deux pôles fictifs d’une lecture littéraire (purement esthétique) et une lecture référentielle (refusant de distinguer la morale de l’œuvre), comme le formule Marie-Jeanne Zenetti dans l’article cité plus haut.

Au cinéma, le coordinateur d’intimité, là aussi nouveau métier, signale une prise de conscience de la vulnérabilité de la position des acteurices dans leur métier face aux exigences des réalisateurs et producteurs. Cependant l’affaire Weinstein n’a pas fondamentalement renversé le fonctionnement de ce milieu international : des réalisateurs et acteurs accusés et condamnés continuent leur carrière (R. Polanski, J. Depp). Une tribune de personnalités du cinéma français revendique en 2018 la « liberté d’importuner » des hommes, où les accusations portées sur les agresseurs semblent plus choquantes que les viols subis par les victimes. La prise de parole d’Adèle Haenel s’est suivie de son retrait du cinéma français pour se tourner vers le théâtre, en raison du manque de soutien des membres de sa communauté artistique d’origine. Des polémiques régulières ont lieu dans des institutions culturelles telles que la Cinémathèque française, dont les choix de projection font débat (notamment critiqués par l’actrice et réalisatrice Judith Godrèche, elle-même ayant dénoncé les violences qu’elle a subies) ; mais d’autres structures comme le Forum des Images choisissent de mettre en valeur d'autres approches du cinéma. Plus récemment, le livre de Geneviève Sellier Le Culte de l’auteur a été violemment reçu par la critique cinéphile française, livre qui suit pourtant trente années de publications scientifiques, et de contributions régulières sur les sites Le genre et l’écran et Les mots sont importants par cette spécialiste de l'étude des représentations des rapports sociaux de sexe au cinéma.

Au théâtre, les prises de parole françaises ont été rassemblées dans l’ouvrage #MeTooThéâtre (Libertalia, 2022) qui annonce en quatrième de couverture : « Nous sommes légion à subir et à vouloir dénoncer la sexualisation constante de nos corps, l’écrasante dominance de la présence des hommes aux commandes et en possession des moyens de production, l’entretien de cette chimère qu’est la zone grise [...] ». Dans le milieu de l’art contemporain, l’affaire Claude Lévêque (artiste plasticien accusé de pédocriminalité) a immédiatement donné lieu à une tribune en sa défense, mettant en cause la parole des victimes. Le compte Instagram @metoo.artcontemporain publie quotidiennement des récits de violences sexistes, sexuelles et racistes, montrant que rien n’a fondamentalement changé. Le milieu de la photographie a été secoué par les accusations portées envers David Hamilton, ouvrant un nouveau regard sur sa pratique artistique, sulfureuse pour les uns, abjecte pour les autres.

Plus généralement, les victimes, témoins et soutiens s’organisent en annonçant publiquement les lieux et conditions de travail favorisant les agresseurs. Si les initiatives législatives, disciplinaires et morales semblent augmenter, il semble aussi qu’il soit encore tôt pour évaluer la portée du mouvement et remarquer des changements structurels profonds et positifs, en France comme ailleurs, notamment en raison des backlashs sur des affaires ponctuelles et d’un certain discours de contre-réalité des VSS, discours qui tend à les masquer ou les minimiser (N. Trovato, “La tentative de construction d’une contre-réalité des violences sexuelles en France : l’échec discursif du mouvement #MeToo ?”, 2022), ainsi que de l’absence de politique nationale efficace de lutte contre les VSS. Comme le remarque Noémie Trovato, le discours #MeToo est un discours partiellement agissant, qui a engendré une prise de conscience, mais les VSS ne sont pas encore réellement examinées en tant que problème systémique ni contrées par des actions efficaces. Le décalage entre le discours et les pratiques est encore bien réel ; la révolution morale a eu lieu dans les conceptions morales, mais pas les mœurs. #MeToo est un vecteur de clivage, car tout le monde reconnaît le changement, mais il n’est pas appliqué (la parole des victimes est remise en question, on les accuse d’être elles aussi coupables, on trouve des excuses aux agresseurs) : la révolution est donc toujours en mouvement.

#MeToo, ses variations et ses « angles morts »

Si #MeToo n’est que partiellement agissant, l’universalité des VSS a en revanche rapidement rendu le mouvement planétaire, et cela alors même que, note l’anthropologue française Véronique Nahoum-Grappe, il serait né « dans le monde social des femmes éduquées, urbanisées et qui évoluent dans des sphères sociales “brillantes” » (Nahoum-Grappe, 2018). La prise de parole a en effet tendance à se diffuser. Bien que les médias relèvent principalement les témoignages de femmes célèbres, bourgeoises et blanches, #MeToo a en réalité brisé les frontières géographiques en tirant parti du mode de communication international des réseaux sociaux, et il se traduit en parallèle localement et sous différentes formes. En 2018, le Japon voit ainsi apparaître #WeTooJapan. Depuis 2021, au Venezuela, #YoSiTeCreo (Je te crois) se développe, et les témoignages s’accumulent. On peut encore relever le #EnaZeda (Moi aussi) des Tunisiennes, le #QuellaVoltaChe (Cette fois où) italien, le #SeAcabó (C’est fini) espagnol, ainsi que les hashtags français #SciencesPorcs, qui reprend #BalanceTonPorc et permet aux étudiantes des IEP de témoigner, #BalanceTonProf, #BalanceTonGyneco, #ChurchToo, #MeTooMedia, #MeTooHopital, ou encore #MeTooGay, #MeTooLesbien et #MeTooTrans. Le mouvement n’est ainsi pas réservé seulement aux femmes hétérosexuelles cisgenres, prouvant s’il fallait encore le faire que les VSS sont subies par une majeure partie de la population, des groupes sociaux infériorisés. 

Le mouvement connaît bien sûr des limites, car toutes les victimes ne témoignent pas, et leurs raisons sont multiples : le tabou de la sexualité, le continuum qui existe dans certaines cultures entre sexualité et violence qui empêche de mettre des mots sur les faits, la crainte de se lancer dans des procédures judiciaires, les pressions familiales et professionnelles ou les menaces qui pourraient en résulter, le réveil potentiel d'un traumatisme par la parole, l'amnésie, la peur de ne pas être crue ou la honte de n'avoir pu se défendre. De plus, les priorités féministes s’expriment de manière variable en fonction des différents pays. Claire Mestre, qui se trouvait au Tchad au moment de la naissance de #MeToo, remarque que « [l]es priorités des unes ne sont pas celles des autres » (2018). La chercheuse et militante québécoise Kharoll-Ann Souffrant parle quant à elle du Privilège de dénoncer (Remue-ménage, 2022) pour signifier que les femmes afrodescendantes sont absentes du débat public sur les VSS, et que leur parole est invisibilisée à la fois par le patriarcat et par le féminisme bourgeois libéral blanc. Souffrant mentionne ainsi les « angles morts » (2023) qui heurtent les femmes racisées, et elle rappelle qu’avant les actrices hollywoodiennes, des femmes noires avaient parlé, parmi lesquelles Anita Hill (juriste américaine qui accuse de harcèlement sexuel un juge de la Cour Suprême étatsunienne) et Nafissatou Diallo (femme de chambre qui accuse de viol un homme politique français). C’est alors la question de la légitimité du témoignage qui semble se poser. Sur ce point, Gisèle Pélicot a joué un rôle de taille, puisqu’elle a fait résonner la parole des femmes d’âge mûr, elles aussi touchées par les « angles morts » de #MeToo.

Conclusion : faire cas et prendre soin

Depuis 2017, #MeToo a sans aucun doute permis une évolution. Avec le recul, l’impact du mouvement peut être salué, en ce qu’il ouvre la parole, permet une dynamique féministe renouvelée, un meilleur soin de l’autre, et a une influence claire dans la vie sociale, la littérature et les arts. Cela se traduit par de nouveaux sujets construits à partir de cas particuliers trouvant de nombreux échos voire faisant système, de nouveaux points de vue qui participent de la richesse des représentations et renouvellent les imaginaires, menant à de nouveaux sujets et de nouvelles manières de faire de la recherche. Contribuant à la mise en évidence des violences systémiques de la société patriarcale, le mouvement a donné naissance à une parole collective, de plus en plus entendue mais cependant pas toujours prise en compte : « Qui nous écoute vraiment ? », ont justement demandé plus de cent personnalités dans une tribune publiée en 2024 et exigeant une loi intégrale et ambitieuse contre les VSS en France. 

#MeToo interroge ainsi notre capacité à prendre soin de l’Autre et rejoint des questions posées par l’éthique du care, ou plus simplement d’humanité. Il renouvelle notre écoute et notre attention pour la parole des victimes comme pour le fonctionnement systémique du patriarcat. Notre responsabilité en tant que société est remobilisée ; elle interroge les capacités du système judiciaire à rendre justice au pénal ou via d’autres modalités comme la justice restaurative. Or, il s’avère que les cas classés sans suite ou déboutés restent majoritaires et que les procédures sont entravées par le manque criant de moyens de la justice. En dépit de multiples plaintes, des cinéastes ont toujours le droit de tourner, des acteurs de jouer, des prêtres de prêcher, des professeurs d’enseigner… 

Suzel Meyer, docteure en littérature comparée
Salomé Pastor, doctorante en littérature française
Configurations Littéraires
 

Bibliographie

Ouvrages :

  • Camille Froidevaux-Metterie, « #MeToo, libérer la parole, rappeler le désir », Samuel Lequette, Delphine Los Vergos (dir.), Cours petite fille ! #MeToo #TimesUp #NoShameFist, Paris, Éditions des femmes, 2020, p. 173-180.
  • Séphora Haymann et Louise Brzezowska-Dudek (coord.), #MeToo Théâtre, Montreuil, Libertalia, 2022.
  • Elsa Deck Marsault, Faire justice. Moralisme progressiste et pratiques punitives dans la lutte contre les violences sexistes, Paris, La Fabrique, 2023.
  • Hélène Merlin-Kajman, La littérature à l’ère de MeToo, Paris, Ithaque, 2020.
  • Valérie Rey-Robert, Une culture du viol à la française, Montreuil, Libertalia, 2020.
  • Gisèle Sapiro, Peut-on dissocier l'œuvre de l'auteur ?, Paris, Seuil, 2020 et 2024.
  • Kharoll-Ann Souffrant, Le Privilège de dénoncer, Remue-ménage, 2022. 
  • Marine Turchi, Faute de preuves. Enquête sur la justice face aux révélations #MeToo, Paris, Seuil, 2021.

Articles :

Thèses et mémoires :

Presse :

Sitographie :

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- Lethictionnaire - Révolutions morales Transparence et secret Faire cas / Prendre soin
news-17345 Thu, 30 Jan 2025 10:17:00 +0100 Christian Gachet, Vie privée /en/news/piece-of-news/christian-gachet-vie-privee éditions Le Noyer et éditions La Valette (2023). Selon un sondage Ipsos de 2023, l’inceste est à 77% commis par un homme de la famille, contre en moyenne 16% par une femme ; parmi ces derniers cas 6% concernent les mères (les 7% restants n’ont pas souhaité répondre). L’inceste mère-fils révélé par Christian Gachet (1959-) dans Vie privée (2023) correspond donc à un cas peu représenté, ou du moins peu avoué et porté sur la place publique, ce qui a sans doute joué dans sa décision de mettre en mots son histoire, comme il le dit lui-même vers la fin du livre :

— Du reste, si je parle d’écrire un livre, c’est aussi parce que l’époque s’y prête. Ou plutôt, que c’est le moment pour moi. Ou les deux. Notre histoire, les Wagner, La Ciotat, et, au-delà, le personnage de notre mère, méritent d’être racontés. Pas comme un témoignage de plus de ce qu’est la maltraitance, l’enfance en péril, que sais-je, mais comme une exploration de ce qu’est un inceste mère-fils et des conditions qui l’ont favorisé. (p. 203-204)

Le projet du livre est là condensé, même s’il faudrait relativiser la référence à l’actualité, présente seulement à l’horizon. Vie privée part en effet de l’enfance alsacienne de Christian Gachet et de sa sœur aînée Mireille, placés chez des « parents nourriciers » (p. 14), dont le père, apprend-on plus tard (p. 53-54), viole pendant des années la fillette. Après avoir vécu dans diverses structures familiales défaillantes, voire maltraitantes (chez sa tante maternelle à La Ciotat, avec son père et sa belle-mère Claudia en Alsace à nouveau), Christian Gachet, séparé de sa sœur à l’issue de son séjour dans le Sud, s’installe à Strasbourg avec son père tout juste divorcé. Il a environ 16 ans lorsque commence l’inceste avec une mère alors quasi inconnue à son fils, pour n’avoir été qu’entrevue durant son enfance lors de brèves rencontres, qui laisseront à l’enfant un souvenir brutal, à l’instar de l’épisode où, à cause d’un bout de papier peint arraché, il s’est vu traiter de « nazi » (p. 48). Dans le contexte de permissivité des années 1970-1980, s’installe une relation qu’il faudrait dire d’emprise avec une mère dépeinte en militante communiste aux convictions bruyamment exposées, quoique fragiles sur le plan intellectuel. Se déclarant « totalement libérale » (p. 99), « libre » (p. 104) et « amorale » (p. 105) et se réclamant d’un esprit soixante-huitard qui n’a rien à envier aux Sanaryens de La Familia Grande de Camille Kouchner (2021), elle initie la relation sexuelle (p. 103-104), brouille les frontières générationnelles (« Je jouais au grand garçon et au fils, en même temps », p. 116), court-circuite les circuits érotico-familiaux (« Et quand tes petits copains te demandent si c’est “ta nana” qui te téléphone, répond leur [sic] : oui, avec un sourire extasié », p. 121) et se livre à un chantage affectif que la retranscription de ses lettres conservées par Gachet permet de suivre. De ses 16 à ses 21 ans, alors qu’il entame des études de médecine, l’auteur est pris dans une relation incestueuse dont il apprend rétrospectivement qu’il n’est pas la seule victime : sa mère a eu des relations sexuelles avec l’aîné, Bernard, jusque dans l’âge adulte, et a voulu abuser de sa fille Mireille (« […] tenter des caresses indécentes », p. 195), rapatriée chez elle après que sa grand-mère a découvert l’existence d’un journal intime, où l’adolescente consignait « sa relation amoureuse, magnifiée, avec Bernard » (p. 194). Christian Gachet réalise que l’inceste qui l’a « souillé, poissé » (p. 176) à titre individuel est également au cœur d’une violence intrafamiliale systémique, même s’il ne le formule pas en ces termes : « dans ma famille, c’est une succession d’abandons, de viols, d’incestes » (p. 176) ; « L’inceste avait proliféré. Il était partout » (p. 195). C’est donc chargé en quelque sorte d’une mission, qui double une ambition littéraire affichée, que Christian Gachet, après une carrière de médecin et de chercheur à Strasbourg et dans la région Grand Est, sort d’« ignoration » (p. 9) (ou « volonté d’ignorer »), et prend la plume :

Les confidences de Mireille avaient renforcé mon désir d’écrire ce livre. Elles ajoutaient ce qu’il fallait de folie répétitive pour en dégager un principe, une vérité à découvrir. Il fallait que je l’écrive, pour moi comme pour elle. Elle m’avait, en quelque sorte, délégué un pouvoir. (p. 195)

Mais « quelle vérité ? » (p. 10), se demande d’entrée de jeu l’auteur, qui interroge par là ce qui advient par et au terme de son geste d’écriture. Et en effet, à quelle vérité sur l’inceste peut prétendre une histoire d’inceste ? Statuer sur la portée heuristique de tels récits, a fortiori dans le cas d’un témoignage, qui possède la valeur liée à son statut, n’a rien d’évident. Il est en revanche possible d’examiner des choix narratifs, des postulats théoriques et des outils méthodologiques, ce que l’on souhaiterait faire dans le cadre de cette recension critique. Les remarques qui vont suivre n’ont vocation à remettre en cause ni la vérité des faits, ni la validité de l’expérience, ni la légitimité de la démarche, qu’elle soit littéraire ou thérapeutique. Elles chercheront plutôt, dans une optique de décentrement et de mise en perspective des discours et des savoirs, à importer des grilles de lecture venues de textes et de disciplines extérieures, en vue de produire un contraste, une intelligibilité autre, afin de discuter le cadre posé par Vie privée.

Dans cette perspective, trois points seront évoqués : la représentation du plaisir ; l’interprétation pathologique ; le problème de la domination.

 

Dans Le Voyage dans l’Est (2021), lors d’une interview où « la question du plaisir » lui est posée, Christine Angot se montre catégorique :

— Est-ce qu’on demande à un enfant battu s’il a eu mal ? Pourquoi demande-t-on à un enfant violé s’il a eu du plaisir ? Un enfant battu est humilié sous les coups, un enfant violé par les caresses. Ce sont des stratégies d’humiliation dans les deux cas. L’inceste est un déni de filiation, qui passe par l’asservissement de l’enfant à la satisfaction sexuelle du père. Ou d’un personnage puissant de la famille. Savoir qu’il est asservi, humilié, déclassé, que sa vie est foutue, et son avenir en danger, quel plaisir un enfant peut éprouver à ça ? (Le Voyage dans l’Est, 2021, p. 189)

Selon elle, amener les victimes d’inceste à parler de plaisir relève de l’« obscène » (Le Voyage dans l’Est, p. 190). Tel n’est pas le parti-pris de Vie privée, qui livre plusieurs descriptions crues, voire graphiques, des relations sexuelles avec la mère, où l’accent au contraire est mis sur le plaisir physique : « Je bande intensément […]. Impossible de ne pas vouloir parvenir au terme de cette excitation. Je suis tout entier tendu dans cette main qui va et vient jusqu’à ce que j’atteigne un orgasme comme je n’en avais jamais éprouvé. » (p. 104) ; « […] je l’ai pénétrée et j’ai cueilli ce plaisir d’aller et venir, sans retenue, dans une félicité liquide, jusqu’à l’éblouissement. » (p. 111). Dans un texte intitulé « À quoi ai-je consenti ? », écrit en juin 2024 et paru en traduction allemande au Frankfurter Allgemeine Zeitung en septembre 2024, l’auteur confie que le sentiment d’être « dans une relation dont [il] éprouvai[t] qu’elle [lui] faisait du bien » a brouillé son consentement et alimenté par la suite sa culpabilité. Parce qu’il semble être le lieu d’une ambiguïté avec laquelle Christian Gachet se débat, le plaisir est le prisme à travers lequel sont systématiquement racontées les scènes de sexe, y compris de viol :

Elle détache la ceinture de mon pantalon, ouvre la fermeture éclair, dégage ma verge et la prend dans sa bouche. C’est la première fois qu’elle me fait ça. Je me laisse faire, étonné, curieux, sans y être. Je bande, mais je ne sens rien. Anorgasmie, ai-je appris depuis. Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Ma mère m’interroge du regard, je ferme les yeux. Je ne sens rien, je laisse faire. J’ai hâte que cela finisse. Je voudrais que ces gestes n’aient pas lieu. Mon corps se refuse. Finalement, je l’interromps. (p. 158)

À la lecture de Vie privée, où le plaisir est omniprésent, on voit se profiler un débat éthique, qui met aux prises expérience intime et expérience collective dans leur désir de se raconter et de se faire entendre de la façon la plus juste, c’est-à-dire avec justesse, mais aussi justice : peut-on témoigner du plaisir ressenti, au risque de ramener l’inceste à une question dont les victimes, comme Christine Angot, montrent le caractère inapproprié et veulent se défaire, parce qu’elle produit potentiellement de la violence (dans l’échange avec l’incesté) et de l’opacité (dans la compréhension de l’inceste) ? La comparaison avec Vanessa Springora, dont Christian Gachet se réclame par ailleurs, est capitale, car Le Consentement pose et déboute simultanément le plaisir pris dans le cadre d’une relation certes non incestueuse, mais abusive et asymétrique, non en niant son existence, mais en questionnant ses fondements, minés par l’emprise, l’abus de faiblesse et d’autorité : l’adolescente séduite « se donne pour mission de rassurer G. sur tout le plaisir qu’il lui donne, de sorte qu’en cas de descente de police, son consentement ne fasse aucun doute » ; mais que signifie jouir « de la part de jeunes filles arrivées vierges dans le lit de G., sans le moindre point de comparaison » (p. 92) ? L’ironie de la narratrice, rétrospectivement à même de porter un autre regard sur son expérience d’adolescente, pointe du doigt le rapport bancal, faussé, entre plaisir et consentement. Pour sortir de la difficulté éthique posée par cette question-piège, l’une des solutions serait alors d’inventer des cadrages énonciatifs et narratifs à même de subvertir en interne la problématique représentation du plaisir, qu’il ne s’agit pas de proscrire, mais de mettre en perspective et de contextualiser.  

Vie privée est ensuite aimanté par la volonté de comprendre l’inceste, pourquoi il est arrivé, et comment il aurait pu être, comme l’indique une réflexion faite à propos de Christine Angot : « si le père de Christine Angot n’avait pas été le goujat qu’elle décrit, s’il n’avait pas installé cette différence de classe qu’elle met en scène, bref, s’il avait été gentil avec elle, aurait-elle vécu un inceste heureux ? » (p. 204). À cette interrogation, dont on peut critiquer l’emploi d’euphémismes (« goujat ») et de clichés (« inceste heureux ») contestés dans bon nombre de récits d’incestes (Triste Tigre de Neige Sinno, Le Voyage dans l’Est de Christine Angot, La Fabrique des pervers de Sophie Chauveau), ainsi que la démarche, qui consiste à faire de la domination de classe une donnée externe à la logique de l’inceste (on y reviendra) et que l’on pourrait par conséquent extraire, il finit par trancher par la négative, en faisant de la folie la clef de voûte de l’inceste : « [le passage à l’acte] n’a été possible que du fait de la personnalité pathologique de notre mère » (p. 205). Au fil du texte, cette interprétation est réitérée, à travers des expressions comme « folie répétitive » (p. 195) ou « type de complexion » (p. 205). Peu après avoir fait entendre le diagnostic du petit frère, Jean-Jacques, lui aussi médecin (« elle est atteinte de la paranoïa de Kretschmer », p. 224), le texte s’achève sur un dialogue entre la mère, âgée et malade, et le narrateur adulte, qui repose définitivement le prisme de la folie : « “Crois-tu que je devienne folle ? — Non, tu deviens musicienne !” » (p. 233) (entendre par là : elle ne devient pas folle, puisqu’elle l’est déjà).

Il ne nous revient évidemment pas de décider si la mère dépeinte dans Vie privée est ou non folle, ce qui dépasse à la fois nos compétences et le cadre de ce compte rendu. En revanche, dans la perspective de faire dialoguer les savoirs et de confronter les positions, on peut s’interroger sur le choix de faire de la piste pathologique l’unique grille de lecture de l’inceste. Les travaux de l’anthropologue Dorothée Dussy, autrice du Berceau des dominations. Anthropologie de l’inceste (2013), proposent par exemple une critique de l’approche psychomédicale à partir d’une perspective féministe. Après avoir résumé les positions de Louise Armstrong (Kiss Daddy Good Night : A Speak Out on Inceste, 1978), elle écrit ainsi :

En faisant de l’inceste une pathologie, c’est-à-dire une question relevant du champ de compétences médical, on esquive la question politique : il ne s’agit plus de travailler à la transformation sociale ou de réfléchir sur les moyens d’éliminer les abus sexuels intrafamiliaux, ce qui passerait par la reconnaissance des positions précises de chacun (dominants/dominés) dans cette affaire. […] poser l’inceste comme une pathologie détourne l’attention sur les dégâts psychologiques que provoquent les abus sexuels incestueux. Il n’y a plus lieu de s’intéresser à l’agression ou de la nommer comme telle, ni de décrypter ses mécanismes, au centre desquels figure la question de genre, selon Louise Armstrong, puisque, d’un côté, il y a la souffrance des femmes et des enfants, qu’il faut guérir et traiter […], et de l’autre, il y a des déviants, qu’il faut aussi traiter. Or […] la plupart des agresseurs incestueux, garçons ou hommes adultes, ne sont pas déviants ; il y a parmi eux des pédophiles cinglés, mais la grande majorité n’agressent que leurs enfants […], en dehors de quoi, ils sont très bien insérés dans la société […]. (p. 96-97)

Sans entrer dans le détail de ce paragraphe, deux choses peuvent être retenues. D’une part, surinvestir la pathologie, c’est courir le risque de désinvestir l’analyse sociologique et politique de l’inceste, dont Le Berceau des dominations montre que la pratique ne relève pas tant de la tare individuelle qu’elle ne s’inscrit dans un système social, dont participent activement les incesteurs, en cela parfaitement insérés et fonctionnels. Autrement dit, dans les affaires d’inceste, la pathologie déresponsabilise indûment à la fois les individus et la société. D’autre part, une telle mobilisation de la pathologie dans Vie privée semble symptomatique d’une difficulté, voire d’une résistance, à penser l’inceste mère-fils à la lumière des mécanismes de domination, en grande partie parce qu’il échappe à la domination de genre. On touche donc ici à notre troisième point.

Dans le texte donné au Frankfurter Allgemeine Zeitung, Christian Gachet constate que sa « configuration ne correspond pas au schéma d’analyse de la domination masculine et du patriarcat ». Or des travaux récents, en sociologie et en philosophie notamment, ont invité à lire l’inceste à la lumière d’un faisceau de dominations croisées, qui excède la seule domination masculine. Au critère certes central du genre, il faut ajouter ce que Tal Piterbraut-Merx appelle « la domination oubliée » (La Domination oubliée. Politiser les rapports adulte-enfant, 2024), qui passe par l’âge : adultes et enfants occupent les places de dominants et de dominés au sein de la structure familiale, où l’âge induit une hiérarchisation complémentaire et/ou supplémentaire, qui s’entremêle, se superpose ou fait concurrence à la logique du genre. C’est cette domination par l’âge qui explique, comme le fait remarquer Juliet Drouar (La Culture de l’inceste, 2022), que les femmes, même si elles restent minoritaires, sont néanmoins davantage représentées dans les chiffres concernant spécifiquement l’inceste par rapport aux statistiques des violences sexuelles :

Il ne doit donc rien au hasard que le nombre d’incestes pratiqués par les mères soit bien supérieur au nombre de viols commis par des femmes et représente une part conséquente des incestes (un quart environ) car elles profitent et assoient une position de domination par l’âge, en tant que première propriétaire des enfants. (p. 57)

Si Vie privée ne s’écrit pas vraiment depuis la question de la domination, un certain nombre de passages illustrent malgré tout l’idée que l’inceste correspond à un « système particulier d’économie de la domination et d’agencement de celle-ci » (ibid.), par-delà le genre. En effet, après des années de séparation et d’absence, la mère de Christian Gachet, avec qui elle a 24 ans d’écart (« Elle a quarante ans, j’en ai seize », p. 94) et qu’elle surnomme « petit Œdipe » (p. 97), avec un hypocoristique chargé d’entériner l’asymétrie de positions, est animée du désir de rassembler ses enfants autour d’elle : « mon rêve est de vous avoir tous les cinq avec moi ne fût-ce que 24 heures. » (p. 91). De près ou de loin, à travers sa correspondance, elle exerce sur la famille artificiellement recomposée une domination jouant contre l’autorité du père, qu’elle ne cesse de dévaluer, et à l’encontre des enfants, le narrateur, mais aussi Mireille et Bernard. L’inceste généralisé participe d’une appropriation des enfants par une figure toute-puissante, qui s’assure de leur soumission et de sa mainmise par la mise en place, en ce qui concerne le narrateur (qui se décrit, et ce n’est pas un hasard, comme « son chevalier servant », p. 121), d’une tyrannie affective et d’une infantilisation intellectuelle permanentes. Le traitement réservé à Mireille, aussi touchée par l’inceste, est significatif en ce sens. Lorsque la mère prend connaissance de la relation incestueuse entre Bernard et sa sœur, ainsi que des viols perpétrés par le père Wagner, elle s’attelle à une double logique de néantisation et de subordination : en ignorant les viols (« Elle n’a jamais tenu compte de ça. C’était pour moi le plus grave ; ce déni était comme un deuxième viol, dans un registre symbolique, que les actes du père Wagner », p. 216) et en faisant de l’inceste avec Bernard le lieu d’un rapport de forces hiérarchique (« Elle avait eu la délicatesse de préciser combien il la préférait, elle, sa mère, à Mireille, sa sœur », p. 195 ; « “Ton frère m’a dit qu’il avait aimé une demi-fois avec toi et une fois entière avec moi” », p. 201), la mère impose une structure intrafamiliale et interpersonnelle fondée sur la domination, et au sein de laquelle elle écrase sa fille, réduite au rang de non-personne et de sous-personne. On voit ainsi qu’évacuer la question de la domination sans autre forme de procès et sans interroger plus avant ses autres modalités de manifestation, sous prétexte que l’inceste mère-fils inverse les relations de genres traditionnelles, c’est se priver d’une grille de lecture pourtant productrice de lisibilité, qui viendrait s’ajouter à l’effort de compréhension croisée de l’inceste.

Pour en revenir à la question de l’actualité évoquée plus tôt et laissée jusqu’ici en suspens, Vie privée de Christian Gachet est un livre qui semble écrit à la fois avant et après #MeToo. Après, parce qu’il s’inscrit dans une nébuleuse de récits qui, depuis la fin du XXe siècle et depuis les années 2020 surtout, font de l’inceste un objet et une forme-sens d’ampleur inédite. En cela, l’intuition selon laquelle il y aurait un « nouveau genre littéraire », le « roman d’inceste » (p. 204) – ou plutôt le récit d’inceste, pour ne pas réduire le champ à la seule fiction romanesque –, nous semble très juste, et sera d’ailleurs creusée lors de la journée d’études « Actualités des récits d’inceste (1986-2025). Enjeux génériques, médiatiques et éthiques », organisée par Lethica le 10 juin 2025. Avant, parce que Vie privée ne semble pas influencé par l’importante bibliographie scientifique et littéraire publiée ou rééditée dans les années 2010-2020, qui traite de la question de l’inceste, et plus largement des violences sexuelles. Tout du moins, le livre n’en porte pas ouvertement la trace, contrairement à d’autres récits contemporains publiés sur le même sujet, qui se situent par rapport à l’actualité et aux savoirs, et affichent volontiers leurs sources et leurs lectures, dans un geste proche de l’autotheory (Fournier, 2022), à cheval entre littérature et théorie. En mobilisant avant tout des références récentes, la mise en perspective proposée dans ce compte rendu aura ainsi cherché à confronter le texte de Christian Gachet, publié en 2023, au discours ultracontemporain sur l’inceste, dans l’idée d’initier un dialogue que l’on espère nuancé et constructif.

Kathia Huynh, Configurations Littéraires

 

Bibliographie :

  • Christine Angot, Le Voyage dans l’Est, Paris, Flammarion, 2021.

  • Iris Brey et Juliet Drouar (dir.), La Culture de l’inceste [2022], Paris, Points, 2024.

  • Dorothée Dussy, Le Berceau des dominations. Anthropologie de l’inceste [2013], Paris, Pocket, 2021.

  • Lauren Fournier, Autotheory as Feminist Practice in art, Writing and Criticism, Cambridge, MIT Press, 2022.

  • Tal Piterbraut-Merx, La Domination oubliée. Politiser les rapports adulte-enfant, Paris, Blast, 2024.

  • Vanessa Springora, Le Consentement, Paris, Grasset, 2021.

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news-17302 Fri, 24 Jan 2025 12:20:25 +0100 Tanguy Viel, La Fille qu'on appelle /en/news/piece-of-news/tanguy-viel-la-fille-quon-appelle Paris, Minuit, 2021 La Fille qu’on appelle ou, dans l’original, call girl : on retrouve dans ce jeu de mot initial l’américanophilie de l’écrivain Tanguy Viel, célèbre pour ses romans marqués par le genre du polar comme par les films noirs hollywoodiens, de L’Absolue perfection du crime (2001) à La Disparition de Jim Sullivan (2013). Pourtant, ce texte de 2021 constitue à de nombreux égards une nouvelle veine dans l’œuvre de celui qui apparaissait jusque-là comme un parfait « auteur de Minuit », du nom de la maison d’édition qui le publie depuis ses débuts et qui est célèbre pour favoriser l’expérimentation littéraire, l’humour et la réflexivité.

Dans La Fille qu’on appelle, l’habituel narrateur plus ou moins facétieux des récits de Viel s’estompe : il s’agit d’un de ses rares textes racontés à la troisième personne, ce qui permet de se concentrer sur deux héros cabossés, Max Le Corre et sa fille Laura. Tous deux sont des personnages sur le retour : Max a été une gloire de la boxe, avant de se reconvertir en chauffeur du maire d’une petite ville bretonne bien sous tous rapports, avec sa plage et son casino. Laura a entamé une carrière de mannequin et réalisé notamment une publicité dénudée, dont certains murs de la ville portent encore la trace : revenue chez elle, elle cherche un logement et un coup de pouce. Max Le Corre se tourne tout naturellement vers son patron, qui dirige la petite ville avec autorité et paternalisme, pour lui demander de l’aide. Mais le maire a d’autres projets pour Laura : il fait d’elle une « fille qu’on appelle », sans jamais lui rendre les services dont elle a besoin, avant de rompre quand lui-même est appelé à Paris par une charge de ministre. Prolongeant l’exploration de l’abus de confiance déjà entamée dans Article 353 du Code pénal (2017), le roman raconte la mise en place de l’implacable machine qui permet à un homme d’imposer son pouvoir à deux autres êtres, de les assujettir à sa volonté et à ses désirs, et de toujours pouvoir s’échapper sans être poursuivi lui-même.

L’histoire est, dit Tanguy Viel, inspirée par une double actualité, celle de la multiplication des témoignages tragiques de victimes d’emprises qui opacifient la compréhension ordinaire de la notion de consentement et celle des frasques d’hommes puissants qui parviennent à se maintenir au pouvoir parce que leurs victimes ne sont jamais de « bonnes victimes ». Cette atmosphère littéraire et médiatique pèse sur le récit, qui prend un tour apparemment très sociologique, ancré dans une réalité géographique précise et confrontant les faibles et les forts, les générations et les sexes. Mais elle pose aussi la question de la pertinence éthique du geste littéraire effectué par l’auteur : certains pourraient se demander si, au sein de ce lourd contexte, il reste vraiment une place pour la fiction, et en particulier une fiction écrite par un homme, qui plus est par un écrivain qui semblait jusque là peu préoccupé de décrire le champ social et les débats contemporains.

Politique, La Fille qu’on appelle ne l’est pas, et ne veut pas l’être. Le romancier a récemment contribué à repenser les rapports entre littérature, réflexion et action politiques dans un volume collectif d’auteurs qui défaisaient l’apparente naturalité de ces liens : au-delà de cette naturalité, c’est l’ancillarité de la littérature par rapport au politique que critique Viel dans son essai de Contre la littérature politique, comme si la fiction et le style trouvaient leur légitimité uniquement par la vertu de ce qu’ils permettent de dénoncer. Dans son roman, cette contestation prend la forme d’une mise en scène du pouvoir restaurateur du récit, susceptible de combler les failles de la justice ou les insuffisances du jugement moral, non par ce qu’il raconte, mais grâce à la manière dont il le fait. Le récit n’entretient jamais l’espoir que va s’inverser le rapport de force effectif qui entrelace le destin des personnages – la réparation qu’obtient Laura peut apparaître bien maigre, puisqu’il n’y a que son père pour considérer que c’est grave et aller casser la figure à son « protecteur ». En revanche, s’il ne peut pas défaire l’histoire, le récit de Viel travaille à infléchir le regard, à provoquer une attention. L’inhabituel effacement du narrateur de Viel et le passage au récit à la troisième personne se font au profit de ces figures qui sont en tous points des subalternes dans la vie de l’édile prédateur et manipulateur. Loin de tomber dans l’exercice formel, le style permet ici de s’arrêter sur eux et d’incarner leurs espoirs et leurs déceptions à travers des images concrètes et parfois mythologiques : il donne ainsi corps à des personnages (les Le Corre) pour lesquels la messe semble être dite depuis longtemps, de même que l’intrigue de nature sexuelle matérialisait dans l’interaction des corps le lien de sujétion.

La littérature n’existe pas ici pour délivrer un message politique, pour contribuer à une action concrète, ou ne serait-ce pour s’indigner de la faible prise en charge des victimes ou de la rapidité de leur condamnation par le qu’en-dira-t-on : elle met le lecteur en situation d’écoute, semblable à celle du juge d’Article 353 du code pénal, qui entendait toute la nuit un prévenu confessant le meurtre d’un puissant qui lui avait tout pris, pour mieux le libérer au matin au nom de l’« intime conviction ».Le drame que raconte Viel n’est pas seulement celui d’une jeune fille abusée : c’est celui d’une parole qui n’est pas entendue, celle de la déposition inutile que Laura effectue auprès des policiers de la ville, ceux-là mêmes qui répondent à l’autorité du maire. Viel livre le récit appuyé de cette déposition pour rien, qui lance le récit sur une fausse piste, celle d’une intrigue judiciaire : c’est son propre récit qui suppléera à l’absence de la justice des hommes, en lui substituant une justice des mots – et au premier chef en donnant un prénom et une existence intérieure à « la fille qu’on appelle ».  

Victoire Feuillebois - GEO

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news-17301 Fri, 24 Jan 2025 11:32:20 +0100 Tanguy Viel (1973-) /en/news/piece-of-news/tanguy-viel-1973 Losers pas si magnifiques mais qui n’ont pas dit leur dernier mot, méchants pour qui tous les moyens sont bons pour exercer leur pouvoir sur l’autre, femmes et enfants victimes de manipulations auxquels ils ne sont pas en mesure de résister : les derniers textes de Tanguy Viel peuvent sembler marqués par une forme de réalisme social, qui incite le lecteur à se scandaliser plutôt qu’à se délecter des jeux d’écriture. S’agit-il d’un tournant dans l’œuvre d’un auteur jusqu’ici réputé pour le caractère expérimental de son œuvre ? Tanguy Viel est-il devenu un romancier social ?

Né à Brest en 1973, l’écrivain et scénariste de cinéma est depuis son premier roman, Le Black Note, paru en 1988, aux Éditions de Minuit. Son œuvre est marquée par le travail sur les genres dits « populaires », comme le polar (La Disparition de Jim Sullivan, 2013), auquel il emprunte un certain nombre de personnages et de situations typiques, mis à distance par la présence d’un narrateur souvent aussi interventionniste qu’ironique. On connaît aussi Tanguy Viel comme un écrivain influencé par l’univers du film, ce dont témoignent les titres de Cinéma (1999) ou Travelling (2019, avec Christian Garcin) : récemment, il a également cosigné le scénario du film de Louis Garrel L’Innocent, ce qui lui a valu le César du meilleur scénario en 2022.

Humour, dialogue entre les arts, jeux intertextuels ou intericoniques, plus proches de l’imaginaire des films noirs que des frères Dardenne : tout semble opposer l’univers de Tanguy Viel aux romans dits « sociaux » ou « politiques ». Lui-même s’est récemment associé à un collectif d’écrivains, composé notamment de Nathalie Quintane, Leslie Kaplan ou Antoine Volodine, s’élevant « contre la littérature politique » (Contre la littérature politique, textes de Pierre Alferi, Leslie Kaplan, Nathalie Quintane, Tanguy Viel, Antoine Volodine, Louisa Yousfi, La Fabrique, 2024). Au milieu de ces artistes souvent très engagés, qui se rassemblent autour de ce titre en forme de provocation, Tanguy Viel intervient pour interroger sur ce qu’on appelle un texte politique : s’agit-il simplement d’œuvres qui abordent des thématiques sociales ou morales ? Quelle place reste-t-il dans ce cas à la part propre de la littérature, l’écriture ?

Précisément, deux des romans récents de Tanguy Viel invitent à réfléchir au regard et à l’action de la littérature sur le réel : il s’agit d’Article 353 du code pénal (2017) et de La Fille qu’on appelle (2021). Dans les deux cas, le récit se penche sur une extorsion, de fonds ou de consentement, et sur des histoires où la justice cède devant le pouvoir. Qu’il s’agisse du flamboyant promoteur immobilier d’Article 353 du code pénal ou du maire aux dents longues de La Fille qu’on appelle, les prédateurs des deux récits ne seront pas poursuivis : ils ont réussi à exploiter non seulement les autres, mais aussi les failles de la loi ouvertes par le vertige du « Ponzi scheme » ou par les ambivalences de la cession sexuelle et de l’emprise. On retrouve à la fois le goût du fait divers vaguement croquignolet, typique des amateurs de polars, et la thématique de l’aliénation explorée dans beaucoup de textes de Viel avec leurs héros qui n’en peuvent mais. Mais ici, « l’absolue perfection du crime » n’est pas un jeu littéraire à somme nulle : elle résonne bien comme un scandale, d’autant plus qu’elle reste irrésolue au niveau de la fabula elle-même – les héros semblent bien avoir tout perdu face à leurs antagonistes, sans espoir de retour ou de compensation. Le récit s’arrête sur ces histoires de manière très concrète : de façon significative, il s’agit de deux histoires bretonnes, qui combinent un ancrage géographique de type réaliste à une dimension symbolique forte – l’immeuble « avec vue sur mer » finit par tenter le protagoniste d’Article 353 du code pénal et il est prêt, pour y avoir un appartement, à confier tout son argent à ce promoteur véreux qui n’a jamais eu l’intention de le construire ; le casino sur la plage est dans La Fille qu’on appelle un lieu de parade pour les riches et de perdition pour les plus faibles, cristallisant les rapports sociaux brutaux explorés par le roman. Et, in fine, les hommes de pouvoir sont insaisissables comme la marée qui se retire.

Tout est donc perdu ? Pas forcément, car il reste le récit. En effet, celui-ci offre une issue à l’engrenage tragique de l’emprise et de l’aliénation, pour éviter que les personnages n’aient plus que leurs yeux pour pleurer. Dans Article 353 du code pénal, le protagoniste fait le récit détaillé à son juge des malheurs qu’il a subis et la puissance de son récit lui vaut d’être libéré le lendemain matin au nom de l’« intime conviction » : le dispositif rappelle ici clairement les grandes fictions encadrées du type des Mille et une nuits, ou le récit possède une dimension thérapeutique ou émancipatrice. Dans La Fille qu’on appelle, le père de la jeune fille agressée se relève bien pour un dernier combat, là où Laura n’avait pas pu faire entendre son récit aux policiers auprès de qui elle voulait déposer plainte ; mais la consolation n’est pas de cet ordre : c’est bien le récit lui-même qui, en ne la considérant pas comme un personnage secondaire de l’histoire d’un homme destiné à conquérir les sommets du monde politique, lui donne la possibilité d’être autre chose que « la fille qu’on appelle ». C’est sans doute là que se révèle le mieux le positionnement particulier de l’écrivain par rapport au domaine du « politique » : il ne s’agit pas pour lui d’injecter des thématiques sociales ou morales dans le récit, mais de faire de ce dernier une zone où la violence des rapports humains peut être un instant suspendue.  

Victoire Feuillebois - GEO

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news-17291 Wed, 22 Jan 2025 09:56:47 +0100 Fiction et vérité. L'éthique du récit de Boccace à Madame de Lafayette /en/news/piece-of-news/fiction-et-verite-lethique-du-recit-de-boccace-a-madame-de-lafayette Enrica Zanin, Droz, 2025 Lire peut-il changer ma vie ? Cette question est déjà cruciale au moment de l’essor du genre de la nouvelle, quand des auteurs comme Boccace, Chaucer, Marguerite de Navarre, Bandello, et plus tard Cervantès, Mme de Lafayette et Aphra Behn cherchent à comprendre quelle part de vérité contiennent les histoires profanes et les fictions. Dans la première modernité, en effet, ce que nous appelons « littérature » appartient au domaine de l’éthique. Alors qu’au XIVe siècle les nouvelles semblent procurer du bonheur et conduire vers une meilleure compréhension de soi et du monde, elles se trouvent censurées, moralisées et réécrites au XVIIe siècle. Du Decameron à l’essor du roman, on assiste à une profonde transformation des relations entre éthique et littérature. C’est l’histoire de cette mutation que retrace ce livre : il analyse l’évolution des poétiques, des pratiques de lecture et de la réflexion morale pour éclairer les fondements historiques des débats actuels sur la valeur éthique du récit.

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Actualités de l'ITI Lethica
news-17268 Wed, 15 Jan 2025 11:00:39 +0100 Fabienne Brugère, Le Sexe de la sollicitude /en/news/piece-of-news/fabienne-brugere-le-sexe-de-la-sollicitude Seuil, coll. « Non conforme », 2008. Dans Le Sexe de la sollicitude (2008), Fabienne Brugère entreprend « une réévaluation de la sollicitude » (p. 13), trop souvent rabaissée à une forme de « sentimentalisme mou » (p. 21) à l’usage des femmes qui, en rejouant les partages genrés (masculin/féminin, public/privé, raison/affect), reconduirait la domination masculine. Or l’enjeu de l’essai, nourri par les éthiques du care développées dans les années 1980 aux États-Unis, est de « produire une critique qui explore les limites » du concept de sollicitude « pour en proposer un bon usage et des transformations » (p. 21). Pour ce faire, Fabienne Brugère aborde la question sous trois angles : idéologique, éthique et politique.

Premièrement, la sollicitude instaure « une certaine relation aux autres sur le mode de la protection ou de la préoccupation » (p. 13) envers toute vie en situation de besoin, de danger ou de précarité. En tissant des liens concrets qui permettent de sortir de soi et de « modifier la perception du soi qui n’est plus idéalement indépendant » (p. 25) mais concrètement dépendant d’autrui et du monde, la sollicitude pose un « être de relations » (p. 30). Cette mutuelle dépendance « révèle la vulnérabilité » (p. 31) au centre de la condition et de la communauté humaines, qui appelle une prise en charge adaptée dans des relations d’interdépendance, des « chaînes de vulnérabilité » (p. 144), « de conduites affectives » (p. 150) et « d’entraide » (p. 159). L’exercice de la sollicitude est un coup porté à l’idéologie libérale et au mythe de l’individualisme, fondé sur la fiction d’un sujet autonome et indépendant, fiction qui n’a que peu de réalité : le passage obligé par l’enfance ou la vieillesse, ou encore l’expérience toujours possible de la précarité, de la maladie ou du handicap, ramènent l’individu à sa vulnérabilité et à sa dépendance.

Néanmoins, la sollicitude s’exerce dans des sociétés dominées par l’idéologie et l’économie libérales qui, dirigées par l’exigence de rentabilité, font peu de cas de ces tâches dévaluées du fait de leur assignation à un genre, une classe et une race – les pratiques de soin sont en effet réalisées en majorité par des femmes issues des classes défavorisées et de populations immigrées. D’où la nécessité, dans un second temps, de porter la réflexion sur le terrain éthique : « la valeur de la sollicitude peut être comprise comme la mise en place d’une voix éthique qui subvertit les normes sociales habituelles de la sollicitude, vouée à des partages de genre, de classe et de race. Elle nous fait passer d’une sollicitude subie et imposée par des rapports de domination à une sollicitude choisie et revendiquée » (p. 79). À rebours de l’imaginaire sacrificiel dévolu aux femmes, l’éthique de la sollicitude doit se construire en relation avec « une éthique du souci », fondée sur un « équilibre entre souci de soi et souci des autres » (p. 79). Selon Fabienne Brugère, inspirée des éthiques du care, « la sollicitude doit être limitée ou repensée par le souci de soi » (p. 114-115), en tant que voix minoritaire étouffée qui mérite soin et attention au même titre que les autres. Le souci de soi est une manière pour les femmes d’« entrer en résistance » (p. 115) et une façon de renouer la sollicitude à la trame de l’existence sans s’effacer : « La sollicitude ne doit pas être un sacrifice de soi qui se résume à des liens de dépendance perpétuelle. Elle peut servir à avancer une conception plus solidaire de la société en agissant de manière renouvelée envers soi-même et les autres » (p. 122). La démonstration présuppose toutefois une liberté et une agentivité qui ne vont pas de soi, notamment dans le cadre du travail, où la réalité des pressions économiques tempère l’idéal de souci de soi. Polarisé par la question du genre et le féminisme, Le Sexe de la sollicitude reste également plus discret sur les questions de classe et de race, abordées sans que soient frontalement affrontés leurs enjeux et leurs dilemmes spécifiques. L’intersectionnalité reste ainsi un horizon du discours plutôt qu’une réalisation.

Enfin, Fabienne Brugère se demande si l’on peut « défendre des politiques selon la sollicitude » ou s’il faut « en rester à la possibilité d’une éthique » (p. 139). Consciente des écueils – la « tyrannie du proche » (p. 139), qui privilégierait les personnes déjà connues ou familières, ou l’avènement d’une société pareille à « Big Mother » (p. 148), qui infantiliserait les citoyens –, la philosophe rappelle la grandeur de la sollicitude et le gain qu’il y aurait à la placer au centre des dispositifs politiques, au nom de la « compréhension différentielle du tissu social » (p. 144) qui la sous-tend. Parce qu’elle se donne pour but de « transformer et de réévaluer les activités au service des personnes en rémunérant mieux les professions concernées, en promouvant de nouveaux modes d’organisation de ces activités dans le monde social afin que chacun se sente impliqué dans le souci des autres » (p. 159), et qu’elle tente « de placer au cœur de la justice la victime et non plus la loi, l’ordre public ou le criminel » (p. 172), la sollicitude engage une vision autre du travail et de la justice, porteuse d’un véritable projet de société.

 

Le Sexe de la sollicitude est également traversé par trois efforts : définitionnel, critique et illustratif.

Fabienne Brugère s’attèle à situer le « concept ténu, glissant » (p. 14) de sollicitude par rapport à une galaxie de catégories voisines, connexes et disjointes à la fois. Sont ainsi passées en revue les notions de sympathie, de compassion et de charité, qui pèchent par l’abolition des frontières entre le moi et l’autre, par la spectacularisation médiatique des souffrances ou par l’obéissance à un principe transcendant qui distingue le prochain du bienfaiteur, et ont en commun leur faible engagement, trop passif, trop éphémère ou trop distancié. Or la sollicitude, qui est à la fois disposition et action éthiques, instaure une relation asymétrique entre soignés et aidants, dépendants par leur commune vulnérabilité, mais différents par leurs histoires singulières. Résultante ni du spectacle ni de la manipulation des émotions, la sollicitude est une réponse appropriée à une situation, qu’autrui est toujours libre de refuser, en tant que sujet à part entière. C’est finalement au confluent du care, défini par Carol Gilligan et Joan Tronto en particulier, et de la fraternité, telle que la conceptualise Alain Renaut dans Égalité et discriminations (2007), que Fabienne Brugère situe la sollicitude, à laquelle est conférée une portée éthique et politique : comme le premier, elle se manifeste par « un souci responsable des autres qui prend la forme d’une activité éthique et politique en faveur de la vulnérabilité humaine, dans l’idée de la stabiliser ou de la diminuer » (p. 19) ; du second, elle reprend « la possibilité de considérer autrui comme son semblable en vulnérabilité, et donc comme un être à protéger ou à aider lorsqu’il est dans le besoin » (p. 143).

Le titre, ensuite, ne doit pas porter à confusion : Le Sexe de la sollicitude n’assigne pas la sollicitude à la sphère toute désignée du féminin, mais, tout en reconnaissant son ancrage dans l’expérience singulière des femmes, entend la « “dé-genrer” » ou la « “dé-féminiser” » (p. 115). Autrement dit, la « valorisation inédite de la sollicitude » ne peut être menée qu’« à partir d’une critique des identités de genre » (p. 104). Fabienne Brugère fait l’archéologie du genre, avant d’entreprendre sa « clinique » (p. 112), qui consiste à « déboîter » (p. 137) la sollicitude de la pensée de la complémentarité entre les sexes, qui, en réduisant les femmes au soin dans l’espace domestique pour laisser aux hommes l’accès aux lieux de pouvoir, entre au service de la domination masculine. Pour ne pas refaire de la sollicitude « le lieu d’aliénation des femmes », la démonstration effectue deux déplacements : éviter « le piège féminin ancestral de l’abnégation de soi » (p. 115) par l’impératif du souci de soi ; plaider pour une « dénaturalisation des rapports sociaux » (p. 126) et défendre une « éthique de la sollicitude qui refuse toute naturalisation genrée », en montrant que celle-ci « est une affaire de sensibilité et non de sexe » (p. 138).

Le Sexe de la sollicitude est enfin un livre incarné, parce qu’illustratif. À l’appui de développements nourris, qui commentent les théories de Hume, d’Adam Smith, de Michel Foucault, de Judith Butler, Martha Nussbaum ou d’Axel Honneth, Fabienne Brugère ponctue son essai d’exemples tirés de la littérature ou du cinéma. Des œuvres comme To the Lighthouse de Virginia Woolf (1927), lu par le Bourdieu de La Domination masculine (1998), ou Babel d’Alejandro González Iñárritu (2006), viennent ci et là incarner le propos de la philosophe et condenser les problèmes qu’elle se propose de prendre en charge. Cet usage témoigne d’un pouvoir d’exemplarité conféré à l’art et à la littérature, qui participent de la réflexion éthique par leur capacité à rendre sensibles et visibles des nœuds philosophiques, autrement dit à faire cas, dans l’optique qui est à terme celle du Sexe de sollicitude, celle de prendre soin.

Kathia Huynh - Configurations littéraires

 

 

Bibliographie :

  • Pierre Bourdieu, La Domination masculine, Paris, Seuil, 1998
  • Michel Foucault, Histoire de la sexualité. La volonté de savoir [1974], Paris, Gallimard, 1994
  • Carol Gilligan, In a Different Voice: Psychological Theory and Women’s Development, Harvard University Press, 1982
  • Axel Honneth, La Réification, traduit de l’allemand par Stéphane Haber, Paris, Gallimard, 2007
  • Martha Nussbaum, Frontiers of justice: Disability, Nationality, Species Membership, Harvard University Press, Belknap Press, 2006
  • Alain Renaut, Égalité et discriminations, Paris, Seuil, 2007

  • Joan Tronto, Moral boundaries. A political argument for an ethic of care, New York/Londres, Routledge, 1993

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news-17264 Wed, 15 Jan 2025 10:49:35 +0100 Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc, La Fin de l’hospitalité. L’Europe, terre d’asile ? /en/news/piece-of-news/fabienne-brugere-et-guillaume-le-blanc-la-fin-de-lhospitalite-leurope-terre-dasile Paris, Flammarion, coll. « Champs essais », 2018. La Fin de l’hospitalité. L’Europe, terre d’asile ? est l’aboutissement d’une série de stations effectuées par Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc dans plusieurs camps de migrants durant l’été et l’automne 2016, à Tempelhof en Allemagne, à la Linière de Grande-Synthe dans la banlieue de Dunkerque et dans la « Jungle » de Calais, démantelée en octobre 2016. Se réclamant d’une « philosophie de terrain » (p. 14), les deux philosophes se demandent si le XXIe siècle ne verrait pas la « fin de l’hospitalité » (p. 16), annoncée par la création en 1995 d’un « délit d’hospitalité » par le gouvernement français. Cette bascule aurait un retentissement d’autant plus grand que l’Europe, celle de l’Odyssée, s’est construite sur une culture et une morale de l’hospitalité, jusqu’à devenir avec Kant et Vers la paix perpétuelle (1795) un droit universel et le socle d’une politique internationale.

Refusant de séparer éthique et politique mais voyant plutôt comment chacun prend le relais de l’autre, l’essai tâche de démontrer que « la fin de l’hospitalité d’État […] ne signifie pas la fin de l’hospitalité des individus ou des collectifs ». Au contraire, « plus l’hospitalité politique reflue et plus en retour l’hospitalité éthique augmente », ce qui invite en retour à « politiser l’éthique de l’hospitalité » (p. 16). Abordée également par Michel Agier, cette question au cœur de l’actualité est examinée par Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc à travers sept chapitres, sous-tendus par deux ambitions principales : d’une part, la critique de la dévaluation de l’hospitalité, détournée en triage dans une biopolitique moderne ; d’autre part, le plaidoyer pour une sauvegarde de l’hospitalité, comme capacité à prendre soin des vies menacées par la vulnérabilité, l’indésirabilité et l’invisibilité sociale, grâce à l’éthique et à la politique du care.

Dans un contexte de montée des nationalismes et de triomphe d’une « discursivité de la fermeture totalement fantasmatique » (p. 33), qui imposent la norme nationale sur la réalité de migrations qu’il n’est plus possible de nier à l’ère des crises géopolitiques et climatiques, La Fin de l’hospitalité constate que le reflux des politiques d’hospitalité en Europe se concrétise par la substitution du secours à l’accueil. Si le secours est « une réponse immédiate à un appel de détresse » (p. 107) nécessaire en temps d’urgence, il court aussi le risque de devenir un cache-misère ou un trompe-l’œil hypocritement humanitaire, qui étouffe toute pensée de l’accueil égalitaire, viable et durable : « Toute vie a droit à être secourue mais certaines seulement peuvent être accueillies » (p. 115). Cela ramène à une biopolitique basée sur un tri d’urgence comportant « un grand risque d’arbitraire » (p. 129), comme le montre le roman Naufrage de Vincent Delecroix (2023). Les démocraties occidentales « ont ainsi fait refluer l’idéal cosmopolitique de l’accueil au profit de la norme biopolitique de secours de la vie menacée » (p. 114). S’emparant du concept foucaldien défini dans La Volonté de savoir (1976) comme un pouvoir de gestion sur la vie, Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc critiquent cette « nouvelle économie du bio-pouvoir », au sein de laquelle « le pouvoir aujourd’hui laisse vivre les réfugiés », ravalés au rang de « vies indésirables », pour les « laisser mourir » (p. 119). Ils montrent ainsi comment « le camp est devenu l’espace biopolitique de gestion des indésirables » (p. 120) et s’inscrit au sein d’un « archipel carcéral », mis au jour par Foucault dans Surveiller et punir (1975) : « La biopolitique du secours minimal devient une disciplinarisation maximale des centres d’accueil. À la séquence secourir et accueillir succède la séquence secourir, surveiller et punir » (p. 122). C’est au nom de la critique de cette biopolitique du tri que Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc contestent la terminologie administrative qui différencie réfugié et migrant : il s’agit pour eux d’« un artifice destiné à trier entre les individus que l’on accueille et ceux que l’on expulse », mis « au service d’un monopole d’État » (p. 125) s’arrogeant non plus un droit de vie ou de mort, mais un droit de séjour ou d’expulsion sur des vies d’inégale valeur.

Contre ce mirage, brandi comme un « supplément d’humanité qui laisse intacte la distinction entre vies utiles et vies inutiles » et empêche de remettre en question « le modèle de cité dans lequel nous vivons » (p. 157), Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc invitent à remettre l’hospitalité au cœur d’une « République bienveillante » (p. 207). Il leur faut, pour ce faire, prendre position contre deux attitudes symétriques : d’une part, contre le cynisme et le pragmatisme, qui voient dans la modernité le chant du cygne de l’hospitalité, incapable de répondre aux attentes d’une société inquiète ou indifférente face aux problématiques migratoires ; d’autre part, contre un idéalisme présumé, qui ferait de l’hospitalité le reliquat d’un monde révolu, voire une vertu déraisonnable. La Fin de l’hospitalité rejette la « pulsion de mur » (p. 167) et la « politique de l’intimité » (p. 189) d’une « République malveillante » (p. 210) qui préfère exclure les étrangers et trier les vies plutôt que se doter d’une politique de l’accueil. Mais pour autant, l’essai ne se réfugie pas dans une éthique individuelle et aristocratique, désincarnée et anachronique. En effet, La Fin de l’hospitalité se situe explicitement contre les séminaires que Jacques Derrida consacre à ce sujet entre 1995 et 1997. Estimant qu’il est aujourd’hui impossible « de s’orienter avec la pensée de Derrida » (p. 206), qui reconduit dans l’hospitalité un « attribut du sujet glorieux et héroïque » (p. 203-204), détaché des réalités sensibles, Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc se tournent du côté des philosophies du care, qui font de l’éthique un point de départ et un creuset du politique. Les formes de soin mises en œuvre dans les actions citoyennes et associatives trouvent un aboutissement concret dans le dispositif d’accueil qu’est l’hôpital, ouvert à toutes les personnes qui en font la demande, sans distinction ni tri. Celui-ci est ainsi amené à incarner la compréhension institutionnelle, impersonnelle et politique de l’hospitalité, contre la lecture contractuelle, domestique et morale héritée du modèle antique, recentré sur le foyer ou la chambre :

Nous considérons que l’hospitalité, telle qu’elle devrait être pratiquée aujourd’hui dans les États-nations qui sont les nôtres, doit d’abord se régler sur l’impératif politique de l’hôpital plutôt que sur le repli éthique de la demeure. Il est devenu insensé de vouloir faire porter l’exigence de l’hospitalité sur l’éthique des arts de vivre individuels pour ne plus la considérer que comme une sorte d’obligation personnelle alors qu’elle s’invente depuis des lieux qui sont eux-mêmes de part en part des dispositifs politiques. Si la morale ne peut exister que comme hospitalité, l’hospitalité ne peut exister que comme politique. (p. 199)

Sans nier la force motrice des sentiments moraux, du moment que ceux-ci sont « transformés en pratiques qui les incarnent » (p. 219), La Fin de l’hospitalité invite à ne pas en rester à la compassion, lorsqu’elle se réduit à une « valeur sentimentale qui tient lieu de politique » (p. 58). L’essai en appelle plutôt à penser une circularité heureuse entre éthique et politique : le recul du politique suscite une réaction éthique, appelée à être soutenue par une « politique de l’individu » (p. 215) consciente de la valeur et de l’interdépendance des vies humaines, toutes susceptibles de devoir un jour aller demander refuge ailleurs.

Kathia Huynh - Configurations littéraires

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news-17263 Wed, 15 Jan 2025 10:28:58 +0100 Fabienne Brugère, Faut-il se révolter ? /en/news/piece-of-news/fabienne-brugere-faut-il-se-revolter Bayard, coll. « Le temps d’une question », 2012. C’est dans un contexte marqué par l’occupation de lieux publics en Europe (la Puerto del Sol par les Insurgés en Espagne, Occupy Wall Street aux États-Unis) et par des insurrections dans le monde arabe (Tunisie, Égypte) que Fabienne Brugère, inspirée par Jacques Rancière, pose une question aux accents camusiens toujours d’actualité : faut-il se révolter ? Plus précisément, en se tournant du côté des démocraties représentatives, elle se demande de quoi la révolte est le signe. Plutôt que de céder à une lecture pessimiste, qui verrait dans la modernité « la fin de la politique » (p. 6) et dans la révolte un « déclin démocratique » (p. 7), elle estime que les révoltes témoignent du « désir d’une autre politique » et révèlent « l’envie des peuples de renouer avec la puissance d’agir collectivement, avec la volonté de re-fabriquer du lien démocratique » (p. 9). L’essai se propose d’envisager comment l’action politique des gouvernés, à rebours de l’expertise des gouvernants, participe à l’élaboration d’« une alter-politique capable de construire un monde commun à partir de puissances d’agir toujours singulières » (p. 15).

Le premier temps de la réflexion interroge deux activités démocratiques, l’une « normale », représentée par le vote, l’autre « anormale », incarnée dans la révolte, pour revenir sur l’idée que le premier serait l’indice d’une démocratie saine et la seconde d’un dérèglement. Fabienne Brugère se montre plutôt réservée quant au pouvoir d’action du vote à l’ère de la manipulation médiatique, surtout lorsqu’il « délégitimise […] des formes d’action politique plus directes » (p. 46) et conduit à une forme d’apathie. En regard, elle voit dans la révolte, issue du sentiment de déficit démocratique, un appel subversif à « un retour à la démocratie contre tous les cadres qui la rendent spectrale » (p. 32). Aussi la révolte formule-t-elle une critique de la démocratie qui ne constitue pas sa négation, mais exige à l’inverse son retour, à condition de repenser les relations entre gouvernants et gouvernés ainsi que les modalités de participation de ces derniers au projet collectif. Le sens du vote est alors à repenser. S’il est la condition minimale et nécessaire de tout régime démocratique, il reste insuffisant pour fonder une expérience véritablement démocratique, qui exige un engagement des subjectivités politiques dans des actions de plus grande intensité. La philosophe ramène également le vote à son principe, pour penser une société plus juste, plus attentive aux singularités. Rappelant que « la démocratie doit porter comme hypothèse celle de l’égalité » (p. 24) et que « le suffrage universel établit l’égalité d’expression des voix » (p. 51), Fabienne Brugère appelle à prendre au sérieux cette égalité des voix, qui doit faire cas de toutes les voix, y compris les plus fragiles. Fondant la politique dans l’éthique du care posée par Carol Gilligan dans Une voix différente (1982), la philosophe voit dans la revendication de l’égalité des voix un exercice et une finalité de la révolte, entendue comme remise en cause des cadres qui concourent à les étouffer :

Promouvoir l’égalité des voix ne saurait alors s’accomplir sans un souci des voix les plus fragiles, les moins dessinées ou les plus discriminées par les catégories générales normatives. « Prendre soin » des voix fragiles ne peut se faire sans avoir en ligne de mire l’hypothèse démocratique de l’égalité des voix. Agir en direction de l’autre pour une égalisation des conditions est une manière de pratiquer une égalité réelle […]. (p. 56-57)

Puisque le vote s’avère insuffisant, il s’agit de définir d’autres modes de participation à l’alter-politique. Le second temps de l’essai explore les modalités d’une « participation structurée par la puissance d’agir des citoyens » (p. 69) à distance des modèles d’Habermas et de Rancière, structurés sur les valeurs a priori d’entente d’un côté et d’universel de l’autre, dont Fabienne Brugère souligne le risque d’exclusion. En effet, souscrire à la valeur de l’entente, avec ce qu’elle implique de formalisation pour parvenir à un consensus, risque d’exclure du processus de participation celles et ceux « qui ne connaissent pas ou qui ne veulent pas respecter les protocoles d’expérience participative ». On peut donc paradoxalement « exclure au nom de l’entente », dès lors que celle-ci, en s’appuyant sur une « ingénierie participative », rétablit une forme de « gouvernance » (p. 80). Si Fabienne Brugère trouve dans les travaux de Rancière (Aux bords du politique, La Mésentente, La Haine de la démocratie) le moyen de penser une participation des gouvernés à la vie publique qui préserve leur subjectivité, elle émet une réserve sur l’appel à l’universel, qui exclut les voix différentes au nom de la « nécessité de renouer avec un commun déjà là » et « un espace déjà constitué politiquement » (p. 87). Alors que Rancière extrait de la sphère du politique les expériences et les luttes jugées trop partiales, ramenées à l’infra-politique (l’exemple donné est celui des sans-papiers), Fabienne Brugère, au nom de l’égalité des voix, place quant à elle au centre du politique la prise en compte des différences et des invisibilités sociales :

Mais que devient la participation si elle ne tient pas seulement dans le fait de rendre visible une population invisible, de rendre possible son écoute mais dans l’acte même de rendre visible la structuration de la société elle-même, son essence communautaire ? Or, le problème de la visibilité pour des vies invisibles, le problème de la reconnaissance pour des populations qui font l’expérience d’une différence convertie en domination ne sont-ils pas des problèmes politiques majeurs que la participation citoyenne doit prendre en charge ? (p. 88-89)

Ainsi, pour Fabienne Brugère, « la vraie participation est du côté des expériences subjectives dissonantes, des actions nouvelles et inattendues » (p. 91), qui se manifeste par l’effort de citoyens pour faire entendre ces vies et ces voix oubliées. Se ressaisissant du concept foucaldien d’« usage », la philosophe met en lumière la façon dont des sujets s’emparent des règles pour inventer des conduites contestataires, qui prennent une forme véritablement participative dans des gestes de visibilité et de transparence, comme le fait de donner la parole à des détenus, en ce qu’ils sont producteurs de contre-pouvoir et de contre-savoir : « Participer, c’est porter, par-delà le visible et le dicible, son intérêt pour des institutions particulières enfermantes, qui refusent de laisser parler et agir leurs usagers » (p. 97-98). À rebours des modèles qui présupposent l’entente ou renvoient à un universel défini a priori, cette participation a pour enjeu de « reconfigurer l’universel a posteriori en fonction des coalitions des différences » (p. 100) et depuis une « solidarité des gouvernés », dans le but de « créer un monde commun avec d’autres qui sont dans une forme d’altérité par rapport à soi » (p. 103), contre « le désir d’unité des gouvernants » (p. 102), enclins à niveler les différences, assigner des places et imposer des hiérarchies.

C’est à partir de là que l’on peut comprendre la dernière partie de l’essai, qui parle « au nom du féminisme ». Non seulement le féminisme sert à interroger les conséquences paradoxales de la révolte, qui passe d’un discours contestataire en apparence tenu par un sujet asexué à la reconduction de « l’imagerie virile la plus classique » (p. 112) et d’un « avenir politique largement masculin » (p. 110), mais il s’avère intrinsèquement lié à la philosophie de la révolte, entendue comme « combat de subversion des places établies créant ainsi une dynamique d’égalité des conditions » (p. 105) et « revendication de la part qui revient aux gouvernés » (p. 124). Le féminisme apparaît comme un modèle pour l’alter-politique : il est un « combat démocratique » à la recherche non d’une prise de pouvoir mais d’« un pouvoir d’agir partagé » (p. 128), qui « promeut l’égalité des voix et l’égalisation des conditions humaines » (p. 125), depuis « une solidarité des identifiés, des exclus ou des vulnérables » (p. 121), auxquels est reconnue une égale agentivité libérée des fixations identitaires (de genre, mais aussi de classe et de race). C’est parce qu’il laisse entrevoir « la possibilité, démocratique, de se gouverner soi-même au milieu des autres perçus comme des égaux », « dans la reconnaissance de la puissance d’expression de la multiplicité non cadrée contre le désir d’unité et d’homogénéité des gouvernants » (p. 128), que le féminisme est porteur d’un projet démocratique.

Faut-il se révolter ? entend ainsi nouer révolte et démocratie (plutôt qu’anarchie, piste restant inexplorée), sans pour autant aplatir les tensions inhérentes à leur mise en relation. Dans le sillage de L’Homme révolté d’Albert Camus (1951), Fabienne Brugère fait ainsi voir ce que la contestation comporte de construction ouverte sur la possibilité d’un renouveau collectif : « La bonne révolte vit de ses paradoxes : disant “je”, elle dit “nous”, posant le “non”, elle pose le “oui” et destituant un monde, elle en institue un autre. » (p. 23). Le livre entreprend le « réenchantement de la démocratie » (p. 106), dont les sursauts, de plus en plus nombreux sous la double pression de la globalisation et du néolibéralisme, traduisent non un désaveu complet du modèle démocratique, mais une vitalité porteuse d’avenir.  

Kathia Huynh - Configurations littéraires

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news-17262 Wed, 15 Jan 2025 10:08:38 +0100 Fabienne Brugère, Désaimer. Manuel d’un retour à la vie /en/news/piece-of-news/fabienne-brugere-desaimer-manuel-dun-retour-a-la-vie Paris, Flammarion, 2024. Dans Désaimer (2024), Fabienne Brugère s’intéresse au pendant de l’amour, tout aussi universel mais nettement moins investi par la littérature, les arts et les sciences humaines : le désamour. Partant du constat qu’« il n’y a pas d’histoires du désamour » (p. 12), le livre investit un angle mort de l’imaginaire collectif dans le but d’appréhender cette expérience pourtant inscrite dans la trame du quotidien. Inspirée par la démarche de Barthes dans ses Fragments d’un discours amoureux (1977), la philosophe propose non pas un art de désaimer à la manière d’Ovide, mais « un manuel de vie stoïcien » (p. 15) sous les auspices d’Épictète, ce qui situe le discours dans la sphère de l’éthique : « comment vivre mieux » (p. 171) après la catastrophe de l’amour, a fortiori dans une société où celui-ci, érigé en mythe intemporel et en valeur ultime, devient une injonction ?

Telle est la question au cœur de l’essai. Présenté comme un « processus » (p. 12), le désamour y est décortiqué en diverses étapes et émotions, illustrées par des scènes tirées de la littérature (Belle du Seigneur d’Albert Cohen), du cinéma (Anatomie d’une chute de Justine Triet), des sciences humaines (Marée basse, marée haute de Jean-Bertrand Pontalis) ou de la vie personnelle de l’autrice, pour élaborer depuis une approche sensible une « description phénoménologique » (p. 15). Ce geste philosophique participe en même temps d’une « clinique » (p. 193) de l’amour, sur lequel le désamour invite à faire retour, dans un retournement du négatif en positif à visée thérapeutique, éthique et politique. En effet, il ne s’agit pas seulement de survivre au désamour. Désaimer esquisse aussi « la possibilité d’une prise de conscience, d’une réflexion, d’une auto-introspection sur sa propre vie » (p. 126). Ce processus passe par la critique des mécanismes inoculés par l’idéal de l’amour-passion, ou le « “script Tristan et Yseut” » (p. 98), manipulé par la société marchande pour rendre la réalité acceptable. Dans son analyse socio-économique de l’amour au temps du libéralisme, Fabienne Brugère s’appuie ainsi sur les théories d’Eva Illouz sur le « capitalisme émotionnel » (p. 129), développées dans Les Sentiments du capitalisme (2006) ou La Fin de l’amour. Enquête sur un désarroi contemporain (2020). Désaimer, c’est aussi parvenir à « une éthique du désamour » (p. 197) qui repose sur « l’instauration d’une juste distance à l’égard du plaisir, de l’amour, du désir, du pouvoir » (p. 189) grâce à un souci de soi d’obédience stoïcienne, brandi comme bouclier contre la rupture d’identité ou la désintégration du moi que fait encourir la perte de l’amour. Désaimer, enfin, devient peut-être « la forme ultracontemporaine de l’émancipation, de la possibilité de se constituer comme sujet libre » (p. 181), en ce qu’il est l’occasion de « changer d’amour et même changer l’amour » (p. 18), geste que Fabienne Brugère considère comme politique, voire « révolutionnaire » (p. 212). En mettant au centre l’importance du care comme souci de soi et soutien des autres pour survivre à l’amour, le désamour « vaut comme une déconstruction et inaugure une reconstruction par la transformation des relations à soi et aux autres » (p. 209). La métamorphose individuelle à laquelle il donne lieu prélude à une révolution collective : « changer d’amour », c’est « inaugurer une réflexivité du désir » permettant de « refuser (au moins de modérer) la mécanique patriarcale de l’amour » (p. 210) à travers d’autres systèmes amoureux et sexuels, tels qu’ont pu l’envisager Monique Wittig dans La Pensée Straight (1978) ou Michel Foucault dans L’Usage des plaisirs (1978).

Ce dernier point, à savoir l’horizon d’un alter-amour né du désamour, demeure à l’état embryonnaire dans Désaimer, qui en reste le plus souvent à des développements et à des exemples axés sur la sexualité hétéronormée. Signe que la révolution morale est encore « à écrire, et surtout à vivre, à expérimenter » (p. 212), Désaimer laisse ainsi de côté d’autres modalités amoureuses, relationnelles et sexuelles comme l’asexualité ou le polyamour, pourtant sous-tendues par un questionnement social, éthique et politique. Peut-être le choix méthodologique effectué par Fabienne Brugère a-t-il pesé sur l’inflation du modèle du couple : en décloisonnant le désamour, également appliqué aux êtres, aux pays ou aux idées pour rendre compte de l’expérience que l’on pourrait dire désamoureuse des exilés (Kurt Tucholsky, Stefan Zweig) ou des désenchantés, l’essai s’est peut-être paradoxalement refermé sur la dyade du soi et de l’autre en raison de son caractère fonctionnel. En effet, une telle extension terminologique, pour être tenable, a sans doute poussé à privilégier un modèle, le plus simple ou le plus transposable, plutôt qu’à envisager plusieurs configurations. En outre, à quelques exceptions près (comme l’œuvre de l’autrice nigériane Chimamanda Ngozi Adichie), Désaimer reprend un imaginaire de l’amour largement occidental. S’il est sans doute un sentiment universel (et encore n’est-ce là qu’un présupposé), l’amour gagnerait à être davantage ressaisi dans une perspective interculturelle, plus sensible aux potentialités d’invention, de subversion et de révolution qu’il est susceptible de receler dans les cultures et imaginaires où il prend une place spécifique, car située.

Kathia Huynh - Configurations littéraires

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news-17125 Tue, 31 Dec 2024 18:00:00 +0100 Appel à communications : Beaumarchais penseur des Lumières, en sa correspondance /en/news/piece-of-news/beaumarchais-penseur-des-lumieres-en-sa-correspondance Journées d'étude à Strasbourg les 27 et 28 février 2025 Journées d’étude organisées par l’Institut de recherche sur la Renaissance, l’âge Classique et les Lumières (IRCL, UMR 5186 du CNRS, Université Paul-Valéry Montpellier et Ministère de la Culture)

en partenariat avec l'ITI Lethica, Institut Thématique Interdisciplinaire labellisé par l'Université de Strasbourg, le CNRS et l'Inserm, dans le cadre du programme ITI 2021-2028

avec le soutien de l'ANR : Projet @rchibeau (Archives numériques de la correspondance et des papiers manuscrits de Beaumarchais)

  • Dates : 27 et 28 février 2025
  • Lieu : Université de Strasbourg, Lethica, Amphithéâtre Beretz

 

Appel à communications

Le projet @rchibeau (ANR 2024-2029) a pour objectif de rassembler et d’étudier l’archive encore largement inédite des papiers manuscrits de Beaumarchais, en vue de réaliser un inventaire analytique et une édition numérique de l’ensemble des données disponibles. Cette édition numérique sera le préalable à une édition critique intégrale, en volumes imprimés, de la correspondance et des papiers (notes, mémoires, études et projets divers) de Beaumarchais. En effet, en dépit de publications éparses et fragmentaires, il n’existe toujours pas d’édition intégrale de la correspondance et des papiers de Beaumarchais : le projet @rchibeau entend lever ce verrou scientifique majeur. Il s’appuie sur le travail préparatoire effectué depuis trois ans par une équipe pluridisciplinaire et internationale. Ce nouveau projet coïncide avec l’entrée à la BnF de plus de 25 000 documents inédits provenant de la récente donation de Jean-Pierre de Beaumarchais et vise à rendre cette archive accessible aux spécialistes et aux non spécialistes, ce qui permettra d’approfondir la connaissance d’un homme des Lumières dont les activités se situent à la croisée de la littérature, de la politique et de la finance. Par l’étendue et par la variété de son réseau, Beaumarchais défie en effet les approches scientifiques traditionnelles et le projet @rchibeau entend explorer à nouveaux frais la carrière d’un entrepreneur de la culture et de la politique au temps des Lumières.

Dans le cadre du partenariat avec Lethica, notre approche, historique, interculturelle et interdisciplinaire, cherche à interroger la  pensée de Beaumarchais, et, entre l’écriture et l’action, la naissance d’une éthique nouvelle, fondatrice de catégories caractéristiques des débuts de notre modernité politique. 

Entre histoire du livre et des idées, le combat contre la censure et pour la reconnaissance des droits des auteurs et des artistes, lancé par Beaumarchais en 1777, est mené en parallèle avec son engagement comme éditeur, pour imprimer, transmettre et diffuser un patrimoine littéraire d'auteurs classiques, ainsi que des auteurs encore vivants. Imprimeur, Beaumarchais considère la typographie comme une éthique : lire, comprendre, agir forment une seule et même dynamique, que l’étude du corpus et du réseau épistolaire de Beaumarchais entend reconstituer.

Au-delà de la pensée de Beaumarchais autour du livre, de la diffusion des Lumières et de l'autonomie des artistes et des écrivains, nous souhaitons au cours de ces journées interroger plus largement le cadre intellectuel, moral et philosophique, qui structure la pensée, l'écriture et l'action de Beaumarchais.On s'appuiera en particulier sur sa correspondance, à partir de ces quelques pistes de réflexion, non exhaustives :

  • entre Lumières et libéralisme, dimension empirique de sa pensée : lien avec ses affaires financières, juridiques, littéraires.
  • modalités d'écriture et de communication : liens entre dispositifs scéniques, dialogiques et artistiques avec sa pensée, dynamiques de la transmission et de la confrontation d'idées.
  • modèles et sources intellectuelles de sa réflexion, lectures, liens avec des courants de pensée (Lumières, encyclopédisme, libertinage, franc-maçonnerie) ou de création artistique (théâtre populaire, poésie et chanson satirique et libertine, musique et opéra).
  • réflexion de Beaumarchais sur la culture, ses lieux et modes de diffusion, ses publics, sa place dans la société
  • réflexion socio-politique de Beaumarchais : sur la religion, sur la société, sur le commerce, sur l'altérité, sur la politique internationale, sur la guerre, sur l'esclavage, sur les valeurs des Lumières (liberté, justice, égalité, réflexion sur la condition des femmes, des mères, sur l'allaitement maternel, le salaire maternel, etc)
  • écriture et justice chez Beaumarchais : droits, libertés de la personne et de la culture au temps des Lumières. Beaumarchais à l’assaut des privilèges, éthique conquérante et esprit du libéralisme. Au fondement du droit de propriété intellectuelle : les droits des artistes et des écrivains, fondation de la SAD, sociabilités militantes, réflexion sur les structures démocratiques du combat politique.

 

Comité scientifique :

Linda Gil (IRCL, Université Paul-Valéry Montpellier), Gilles Montègre (LUHCIE, Université de Grenoble-Alpes), Stéphane Pujol (PLH, Université Jean-Jaurès, Toulouse), Franck Salaün (IRCL, Université Paul-Valéry Montpellier), Emmanuelle Sempère, (CELAR, Unistra), Virginie Yvernault (CELLF, Sorbonne Université).

 

Pour les participants non strasbourgeois, les frais d'hébergement pourront être pris en charge ainsi que les frais de transport pour les participants non financés par une institution. 

Les propositions sont à adresser à Linda Gil : linda.gil[at]univ-montp3.fr avant le 31 décembre 2024, accompagnées d'une brève notice bio-bibliographique.

Les actes de ces journées seront publiés dans la revue en ligne Global18.org et sur le carnet de recherches du projet @rchibeau.

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Actualités de l'ITI Lethica
news-17001 Tue, 31 Dec 2024 09:00:00 +0100 Appel à communications : "Littératures africaines, transferts et appropriations culturelles" /en/news/piece-of-news/appel-a-communications-litteratures-africaines-transferts-et-appropriations-culturelles Congrès de l'APELA du 4 au 6 novembre 2025 à Strasbourg Congrès de l’Association pour l’étude des littératures africaines (APELA), Université de Strasbourg, Misha, 4-6 novembre 2025.

 

La notion d’appropriation culturelle, initialement développée aux États-Unis dans le cadre des revendications des droits des minorités, s’impose aujourd’hui en Europe et en Afrique dans de nombreux débats sur la culture, la littérature et les arts. Elle désigne généralement des phénomènes de transferts culturels effectués sous la pression d’une forme de domination, le dominant s'appropriant, sans droit ni légitimité, le patrimoine culturel de celui qu’il domine (voir entre autres Young 2010). De la réinterprétation du primitivisme (Le Quellec Cottier & Rodriguez, 2023) aux fictions d’identités scripturales étudiées par Christopher Miller (Miller 2018), les débats sur l’appropriation culturelle se sont multipliés ces dernières années.

Le « travail de mémoire » effectué sur le passé colonial de la France et, au niveau culturel, le débat sur la restitution du patrimoine africain (cf. Sarr / Savoy 2018) ont ouvert la voie à de nouveaux questionnements et mènent à un renouvellement des lectures et des interprétations, qui intègrent désormais une interrogation éthique sur la responsabilité de l’artiste ou de l’écrivain dans son rapport à la culture de l’autre ou du dominé. Dès lors, l’idée d’appropriation culturelle tend, dans certains cas extrêmes, à se substituer aux concepts d’intertextualité, de transfert culturel (Espagne 2013) ou de « branchements » (Amselle 2001), jusqu’à nourrir des discours critiques et politiques qui prétendent invalider les approches strictement esthétiques de certaines œuvres.

Ces nouvelles tendances trouvent un écho d’autant plus important que les identités se radicalisent (Amselle 2011, Bancel / Blanchard 2017, Dubreuil 2019). Par ailleurs, la contestation des modèles postcoloniaux (hybridité, mimétisme, créolisation, etc.) par l’émergence de formes radicales du décolonialisme, concevant culture et identité en termes d’authenticité, de propriété, de limites, d’espace clos, contribue à nourrir le débat sur la légitimité de la prise de parole culturelle, au risque parfois d’une atteinte à la liberté d’expression. Enfin, la marchandisation croissante de la culture dans nos sociétés globalisées pose le problème de la spoliation économique par la reproduction et commercialisation d’artefacts (voir également Root, 1996), comme le révèle entre autres le débat autour du boomerang de Chanel en 2017.

Ce congrès de l’APELA, organisé dans le cadre d’une coopération entre l’Université de Strasbourg et l’Université Johannes Gutenberg de Mayence, portera sur les enjeux des définitions contemporaines de l’identité et de leurs relations à l’expression culturelle : l’authenticité peut-elle être une revendication ou un critère d’évaluation des œuvres ? Sur quoi reposerait-elle ? Quelle réception induit-elle ? Et quelles conséquences à terme sur la création ?

Les interventions pourront porter sur :

  • Des études de cas ;
  • Les constructions littéraires et artistiques de l’authenticité culturelle : pastiches, détournements, pseudonymies, postures et impostures ;
  • Des approches théoriques et critiques des notions d’appropriation, de transfert, d’authenticité
  • Les apports et les limites de la notion d’appropriation culturelle dans le domaine des études africaines
  • Les variations de la réception des œuvres en fonction des déplacements et des décalages contextuels ;
  • L’appropriation symbolique et la marchandisation, la critique de la « dérive capitaliste » ;
  • La relation entre éthique et esthétique. 

 

Veuillez adresser vos propositions avant le 1er décembre 2024 à :
Ninon Chavoz (chavoz[at]unistra.fr)
Anthony Mangeon (amangeon[at]unistra.fr)
Véronique Porra (porra[at]uni-mainz.de)

 

Les frais de déplacement et d’hébergement sont à la charge des participants ou de leur laboratoire de recherche. La restauration sera prise en charge, en fonction des subventions obtenues.

Cet événement bénéficiera du soutien de l’institut thématique interdisciplinaire Lethica et de l’unité de recherches Configurations littéraires (Université de Strasbourg)

 

Bibliographie sélective :

  • Amselle, Jean-Loup. Branchements. Anthropologie de l’universalité des cultures, Paris, Flammarion, 2001.
  • Amselle, Jean-Loup. L’ethnicisation de la France, Fécamp, Éditions Lignes, 2011.
  • Amselle, Jean-Loup. Critique de la raison animiste, San Giovanni, Mimésis, 2023.
  • Appiah, Kwame Anthony. The Ethics of Identity, Princeton, Princeton University Press, 2005.
  • Appiah, Kwame Anthony. Cosmopolitisme. Paris, Odile Jacob, 2008.
  • Ben Lakhdar, Khémaïs. L’appropriation culturelle : histoire, domination et création : aux origines d’un pillage occidental, Paris, Stock, 2024.
  • Blanchard, Pascal / Bancel, Nicolas / Thomas, Dominic (dir.). Vers la guerre des identités ? De la fracture coloniale à la révolution ultranationale, Paris, La Découverte, 2016.
  • Brown, Michael Fobes. Who Owns Native Culture ?, Cambridge, Harvard University Press, 2003.
  • Coleman, Elizabeth Burns. Aboriginal Art, Identity and Authenticity, Aldershot, Ashgate, 2005.
  • Dubreuil, Laurent. La dictature des identités, Paris, Gallimard, 2019.
  • Espagne, Michel. « La notion de transfert culturel », in Revue Sciences / Lettres 1, 2013, URL : http://journals.openedition.org/rsl/219
  • Hahn, Hans Peter. « Antinomien kultureller Aneignung: Eine Einführung », Zeitschrift für Ethnologie, 136, 2011, p. 11–26.
  • Hurka, Thomas. « Should Whites Write About Minorities? » in Hurka, Thomas (dir.): Principles: Short Essays on Ethics, Toronto: Harcourt Brace, 1994, p. 183-186.
  • Keeshing-Tobias, Lenore. « Stop Stealing Native Stories », in Ziff, Bruce, Rao, Pratima V. (dir.): Borrowed Power: Essays on Cultural Appropriation, New Brunswick, Rutgers University Press, 1997, p. 71-73.
  • Le Quellec Cottier, Christine et Rodriguez, Antonio (dir.). Le primitivisme des avant-gardes littéraires, Paris, Classiques Garnier, 2023.
  • L’Estoile, Benoît de. Le goût des autres. De l’exposition coloniale aux arts premiers, Paris, Flammarion, 2007.
  • Luste Boulbina, Seloua. Les miroirs vagabonds ou la décolonisation des savoirs (arts, littérature, philosophie), Paris, Les Presses du réel, 2018.
  • Miller, Christopher L. Impostors. Literary Hoaxes and Cultural Authenticity, Chicago, University of Chicago Press, 2018.
  • Root, Deborah. Cannibal Culture: Art, Appropriation, and the Commodification of Difference, Boulder, Westview Press, 1996.
  • Sarr, Felwine/ Savoy, Bénédicte. Restituer le patrimoine africain, Paris, Éditions Philippe Rey/ Éditions du Seuil, 2018.
  • Savoy, Bénédicte. Le long combat de l’Afrique pour son art : histoire d’une défaite postcoloniale. Paris, Éditions du Seuil, 2021.
  • Savoy, Bénédicte.  À qui appartient la beauté ? Paris, La Découverte, 2024.
  • Young, James O. Cultural Appropriation and the Arts, Oxford, Wiley- Blackwell, 2010.
  • Young, James O. & Brunk, Conrad G. (dir.). The Ethics of Cultural Appropriation, Oxford, Wiley- Blackwell, 2012.

Consulter l'argumentaire et l'appel à communications sur Fabula

Télécharger l'argumentaire et l'appel en PDF

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Actualités de l'ITI Lethica
news-17000 Sat, 23 Nov 2024 19:00:00 +0100 Milo Rau, le réalisme comme éthique /en/news/piece-of-news/milo-rau-le-realisme-comme-ethique Avant-scène au Maillon par Emmanuel Béhague Dans le cadre du Paysage#4, 10 jours avec Milo Rau, présenté au Maillon, théâtre de Strasbourg, scène européenne, en amont de la représentation de Antigone in the Amazon, un avant-scène par Emmanuel Béhague, professeur de civilisation et d'histoire culturelle des pays de langue allemande (Université de Strasbourg) :

Milo Rau, le réalisme comme éthique

Artiste essentiel du paysage théâtral contemporain, Milo Rau déploie depuis plus de quinze ans un théâtre de l’expérience humaine, qu’elle soit intime ou collective, personnelle ou politique. Prônant une esthétique qui "arrache le réel de l'ombre des documents et d'une soi-disant actualité pour le ramener dans la lumière de la vérité et de la présence", il fait résonner dans le présent les lieux et les époques sous de multiples formes, du reenactment de moments historiques jusqu’à la relecture de matériaux tragiques. Jouant de la mince frontière entre réalité et représentation sur la scène, il renouvelle celle-ci comme lieu d’une réflexion éthique.

Entrée libre

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Agenda de la MISHA Actualités de l'ITI Lethica Agenda de l'ITI Lethica
news-17006 Thu, 21 Nov 2024 09:00:00 +0100 Sujets « sensibles » en littératures : réceptions empiriques, nouvelles épistémologies, nouvelles pratiques d’enseignement /en/news/piece-of-news/sujets-sensibles-en-litteratures-receptions-empiriques-nouvelles-epistemologies-nouvelles-pratiques-denseignement Journée d'études organisée par Anne-Claire Marpeau, Philippe Clermont, Marianne Hillion et Marie-Jeanne Zenetti. Inscription obligatoire avant le 6 novembre 

 

Argument

Depuis quelques années, les controverses et vifs débats au sujet des violences sexistes et sexuelles dans les textes littéraires1 témoignent d’une interrogation éthique grandissante dans le champ littéraire français. De manière générale, les études culturelles, de genre et post-coloniales ont favorisé une (re)lecture des textes littéraires à l’aune de problématiques éthiques et sous l’angle de sujets que l’on pourrait qualifier de « sensibles » : sensibles car ils engagent des expériences subjectives liées à l’intimité et l’affectivité, sensibles parce qu’ils éveillent des questionnements politiques sur les façons de vivre ensemble, d’entrer en relation et de faire monde, sensibles enfin parce qu’ils impliquent d’interroger la sacralisation des textes et de la critique littéraires ainsi que les méthodes et pratiques de lecture et de réception des textes.
La nomination et l’interprétation des discriminations et des violences dans les textes littéraires suscitent en effet des questionnements épistémologiques cruciaux puisqu’elles obligent à « réfléchir aux relations entre littérature et morale » mais aussi « aux rapports qu’entretient la littérature avec la réalité »2. À l’aune du tournant affectif et éthique des sciences humaines, il s’agit donc de penser les méthodes de l’herméneutique littéraire, en interrogeant la place de la subjectivité et de l’ethos dans l’interprétation littéraire et plus largement, les enjeux éthiques de la critique contemporaine.
Il s’agit peut-être tout particulièrement de s’interroger sur le lien qu’entretiennent sujets sensibles, pratiques de lecture et réceptions empiriques : la lecture ou relecture des oeuvres qui relève le racisme, le sexisme, la violence sexuelle, la violence coloniale ou encore l’agression du vivant dans ces textes littéraires tient-elle à un positionnement nouveau du sujet-lecteur ou lectrice, appartenant à une communauté interprétative davantage « sensible » à ces enjeux ?
Il s’agit de se pencher également sur ce que la prise en compte de ces sujets sensibles fait à l’enseignement littéraire à tous les niveaux : les corpus, les pratiques, les dispositifs didactiques se modifient-ils face à la perception et la résonance de ces sujets sensibles ?

1 Voir à ce sujet les textes de ce qu’on peut appeler l’« affaire Chénier » sur le carnet de recherche intitulé Malaises dans la lecture et la publication de l’ouvrage d’Hélène Merlin-Kajman intitulé La Littérature à l ’heure de #MeToo, Paris, Ithaque, 2020.

2 Lise Wajeman, “Lire le viol”, Écrire l’histoire, n°20-21, 2021. URL : https://journals.openedition.org/elh/2971. Consulté le 18 janvier 2023.

 

Programme

Jeudi 21 novembre 2024

9h15 : Accueil, boissons chaudes et gourmandises
9h45 : Ouverture des journées. Accueil institutionnel. Ouverture des travaux : Vers une tentative de cartographie des sujets sensibles en littérature ?

10h30-12h00 : Comment les textes sont ou deviennent « sensibles » : relectures éthiques de corpus canoniques
Dina KHAZAI (Université de Strasbourg), Le sujet sensible et le surréalisme : regard contemporain
Isabelle POULIN (Université Bordeaux Montaigne), La lecture par-dessus l’épaule : Lolita lu par Neige Sinno, en traduction

12h00-13h00 : Déjeuner (Buffet)

13h00 -14h00 : Sujets sensibles et violences historiques
Gabriela VIERU (Université de la Sorbonne Nouvelle), Corps, violence et Mai ‘68. La poétique de la cruauté dans Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq
Kateryna TARASIUK (Université Grenoble-Alpes & Université de Strasbourg), Poésie féministe contemporaine ukrainienne face à la guerre : cartographie, réaffirmation, réappropriation

14h00-14h15 : Pause

14h15-15h15 : Sujets sensibles et tabous : violences intra-familiales et sexuelles
Aimée-Luce PONZA (Université de Strasbourg), Les gouzgouz, ou « la confusion des langues » : représentation de l’inceste en littérature de jeunesse avec Les Longueurs de Claire Castillon
Anne-Claire MARPEAU (Université de Strasbourg), Ce que l’inceste fait au corps : poétiques et éthique de l’album de jeunesse

15h15-15h30 : Pause

15h30-16h30 : Sujets sensibles et lectures post-coloniales
Rocio MUNGUIA AGUILAR (Université de Guyane), L’identité guyanaise comme sujet « sensible » : la trilogie de jeunesse Mes romans de Guyane de Marie George Thébia ou les enjeux éthiques de la production d’un corpus « local »
Présentation par les étudiant.e.s de Philippe CLERMONT (Université de Strasbourg), à partir de leur programme de littérature de jeunesse « Colonialisme, esclavagisme : lectures éthiques en question »

Vendredi 22 novembre 2024

9h30-10h30 : Sujets sensibles et médiations : quels enjeux pour les passeurs et passeuses de textes ?
Teona FARMATU (Université Babeș-Bolyai de Cluj-Napoca, Roumanie), La « traduction raciste » de poèmes de Charles Baudelaire et Jean Richepin en Roumanie à la fin de XIXème siècle
Ida IWASZKO (Institut national des études territoriales - Strasbourg), Les sujets « sensibles » en littérature dans les bibliothèques et les réseaux de lecture publique des collectivités territoriales : quelles réceptions et quelles tendances en France ?

10h30-10h45 : Pause

10h45-12h00 : Théoriser la réception et l’interprétation des textes sensibles
Anne GRAND d’ESNON (Université de Lorraine), Les autres de la réception : peut-on lire avec n’importe qui ?
Marie-Jeanne ZENETTI (Université Lumière-Lyon 2), Textes sensibles, lectures sensées

12h00-13h00 : Déjeuner (Buffet)

13h30-15h00 : Sujets sensibles et réceptions : lire, enseigner, situer
Tatiana CLAVIER (Université de La Rochelle), Écritures de soi au féminin et violences de l’intime : résonance traumatique et repositionnement critique de lectrices
Arnaud GENON (Université de Haute-Alsace & Université de Strasbourg), Jeunes lectrices et lecteurs de dark romance : enquête sur comment se lit la violence ?
Débat par les étudiant.e.s d’Arnaud GENON : « à propos de la dark romance »

14h00-14h15 : Pause

15h15-16h15 : Le coût et le gain : qu’apporte la lecture des textes sensibles ?
Aline LEBEL (Université Paris Nanterre), Le coût des révolutions morales : une violence juste faite aux lecteurs et lectrices sensibles ? Le cas de Svetlana Alexievitch
Christine LEMAÎTRE (Aix-Marseille Université), Les sujets sensibles : une matière première pour éveiller le futur citoyen à l’expérience morale. Nussbaum de la théorie à la pratique

16h15 : Conclusions

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news-17095 Thu, 21 Nov 2024 08:00:00 +0100 Académie des écrivain·es sur les droits humains /en/news/piece-of-news/academie-des-ecrivaines-sur-les-droits-humains Lectures, rencontres et conférences Du 21 au 30 novembre 2024, l’Eurométropole et l’Université de Strasbourg organisent une Académie d’écrivain.es sur les droits humains. Cette académie est composée de neuf membres : Jean D’Amérique, Roja Chamankar, Hawad, Alberto Manguel, Carole Mesrobian, Serge Pey, Pinar Selek et Luba Yakymtchouk. Originaires d’Haïti, d’Ukraine, d’Argentine, d’Afrique, de Turquie ou d’Iran, ils et elles se réunissent à Strasbourg pour « Relier notre monde ». Durant dix jours, les membres de l’Académie iront à la rencontre des publics dans divers lieux strasbourgeois à travers des conférences, des lectures, des performances accompagnées d’artistes. Ces événements sont ouverts à toutes et tous.

L’Académie qui se crée à l’occasion de Strasbourg Capitale Mondiale du Livre 2024 a un double objet : les drames humains qui se jouent dans le monde et sur lesquels la littérature pose un regard aigu, mais aussi les droits d’expression et de création des écrivain·es. Témoignage sur les guerres, sur l’oppression, sur la privation de liberté, la littérature est aussi un art d’action et d’intervention, capable de défendre les droits et de réaffirmer le nécessaire respect des personnes humaines dans toute leur diversité.

Les différents événements organisés au cours de l’Académie seront l’occasion d’évoquer plusieurs situations brûlantes sur le plan des droits humains, passées ou actuelles, autant que des questions transversales comme le genre, la guerre, la liberté d’expression, le droit à la lecture ou le droit à la langue. Les membres de l’Académie se réuniront au fil de trois séances plénières, dans le but de doter l’Académie d’un manifeste et de réfléchir à des actions pérennes, qui feront de Strasbourg un des laboratoires pour penser et manifester la puissance de résistance de la littérature.

En partenariat avec l'Eurométropole de Strasbourg, Strasbourg Capitale Mondiale du Livre, l'Université de Strasbourg et l'ITI Lethica.

Consulter les notices portant sur les membres de l'Académie sur le Lethictionnaire

 

Programme :

Jeudi 21 novembre 2024 :

  • Ouverture de l’Académie : 12h30, salle 001, Présidence, 20A Rue René Descartes, Campus Esplanade (sur invitation uniquement)
  • Première réunion plénière de l’Académie : 14h, salle 322, Présidence, 20A Rue René Descartes, Campus Esplanade (fermée au public)

Vendredi 22 novembre 2024 :

  • Lecture-rencontre avec Roja Chamankar ”Voix de la poésie iranienne d’aujourd'hui” : 18h30, Librairie des Bateliers, 5 Rue Modeste Schickelé, Strasbourg Centre. En partenariat avec La Maison de la poésie de Strasbourg

Samedi 23 novembre 2024 :

  • Table ronde 1 « Littérature et guerre », avec Roja Chamankar, Carole Mesrobian et Serge Pey : 16h, salle In Quarto, Le Studium, 2 Rue Blaise Pascal, Campus Esplanade

Lundi 25 novembre 2024 :

  • Lecture-conférence de Luba Yakymtchouk : 12h, Salle de conférence, Maison interuniversitaire des sciences de l'homme - Alsace (MISHA), Allée du Général Rouvillois, Campus Esplanade
  • Lecture-rencontre avec Jean D’Amérique, « Entre la blessure et l'espoir », suivie d’une séance de dédicaces : 17h, Librairie Kléber, 1 Rue des Francs-Bourgeois, Strasbourg Centre

Mardi 26 novembre 2024 :

  • Lecture-rencontre avec Pinar Selek : 14h, Club de la presse, 10 Place Kléber, Strasbourg Centre
  • Conférence et Lecture de Hawad : “Sueur d’acier”, 16h, salle In Quarto, Le Studium, 2 Rue Blaise Pascal, Campus Esplanade
  • Performance de Serge Pey et Chiara Mulas : “Dernier bombardement”, 20h, salle d'Évolution, Le Portique, 14 Rue René Descartes, Campus Esplanade

Mercredi 27 novembre 2024 :

  • Seconde réunion plénière de l’Académie : 10h, Bibliothèque d’histoire, Palais Universitaire, 9 Place de l'Université, Campus Historique (fermée au public)
  • Table ronde 2 « Littérature et droit des femmes », avec Pinar Selek, Carole Mesrobian, Roja Chamankar et Luba Yakymtchouk : 17h, Temple-Neuf, Place du Temple Neuf, Strasbourg Centre
  • Table ronde 3 « Droit de dire et droit de lire », avec Roja Chamankar, Jean d’Amérique, Hawad, Alberto Manguel et Serge Pey : 18h30, Temple-Neuf, Place du Temple Neuf, Strasbourg Centre

Jeudi 28 novembre 2024 :

  • Table ronde 4 « Littérature et politique », avec Pinar Selek, Hawad, Jean D’Amérique : 12h, salle In Quarto, Le Studium, Campus Esplanade
  • Conférence « Tenir langue » d’Alberto Manguel : 16h, amphithéâtre Beretz, Présidence, Campus Esplanade
  • Conférence « Voix féminines de la poésie contemporaine ukrainienne » avec Luba Yakymtchouk : 18h30, Bibliothèque nationale et universitaire, 6 Place de la République, Strasbourg

Samedi 30 novembre 2024 :

  • Troisième réunion plénière de l’académie : 10h, Hôtel de Ville, 9 Rue Brûlée, Strasbourg (fermée au public)
  • Conférence de presse : 12h, Hôtel de ville, Strasbourg Centre (réservé aux journalistes)
  • Clôture de l’Académie : 12h30, Hôtel de Ville, Strasbourg Centre (sur invitation uniquement)
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Agenda de l'ITI Lethica
news-17098 Wed, 20 Nov 2024 18:30:00 +0100 La littérature derrière les barreaux : une irréductible liberté /en/news/piece-of-news/la-litterature-derriere-les-barreaux-une-irreductible-liberte Soirée littéraire consacrée aux écrivains biélorusses emprisonnés Ales Bialatski, juriste biélorusse et auteur de romans historiques, est emprisonné depuis 2021. Lauréat du prix Nobel de la Paix en 2022 pour son combat en faveur des droits fondamentaux des citoyens, il continue depuis sa prison à écrire, notamment contre la peine de mort qui a été appliquée en Biélorussie à plusieurs défenseurs des libertés ces dernières années.

Maxime Znak, écrivain et auteur de nouvelles, est emprisonné en Biélorussie depuis 2020. De ses observations depuis la prison, il tire une « Zekologie » dans l’esprit de l’œuvre d’un Soljenitsyne.

Leur œuvre et leur combat seront présentés par Taciana Niadbaj et Iryna Kozikava, universitaires et membres du Pen Club Biélorusse, en alternance avec des lectures par des étudiants du Master LFGC et du DU Lethica d’extraits de leurs écrits récents.

Cette soirée, en partenariat avec l’UR « Configurations Littéraires », le SUAC et les Bibliothèques des Langues, accompagne l’exposition aux Bibliothèques du Portique et du Studium de portraits de prisonniers politiques réalisés par l’artiste Biélorusse Ксіша Анёлава (Xenia Anielava). Ces portraits, simples mais expressifs, rendent un visage et une personnalité à des individus que le régime a mis au secret, les coupant parfois de tout contact non seulement physique mais épistolaire avec leurs proches, tentant d’effacer leur mémoire dans la société.

Soirée animée par Volha Aleinuk, membre du think tank « Institut pour le développement et le marché social en Biélorussie » et Tatiana Victoroff, MCF HDR en littérature comparée et membre de Lethica.

 

Lien Zoom pour rejoindre la conférence en ligne

 

Exposition "Le dragon installé dans notre maison" du 19 au 21 novembre 2024

  • 19/11/24 à 18h30 : Vernissage de l'exposition (Portique)
  • 20/11/24 à 18h30 : Soirée littéraire (salle In Quarto du Studium)
  • 21/11/24 à 14h : Visite guidée de l'exposition (Portique)

 

Evénements organisés par le service des bibliothèques, Configurations littéraires, et la faculté des lettres de l'Université de Strasbourg.

Porteur du projet : Tatiana Victoroff, MCF (HDR) en littérature comparée, membre de l'ITI Lethica.

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