Cyril Dion & Mélanie Laurent, Demain

Move Movie, France 2 Cinéma & Mars Films, 2015.

Fondateur, avec Pierre Rabhi, du Mouvement Colibris, l’écrivain et militant écologiste Cyril Dion avait, en 2010, servi de conseiller scientifique à la cinéaste Coline Serreau pour son documentaire Solutions locales pour un désordre global. En 2014, il s’associe à l’actrice Mélanie Laurent pour un nouveau film, Demain : sorti en décembre 2015, ce long-métrage de 115 minutes obtient l’année suivante le César du meilleur documentaire.

Le point de départ est une étude coordonnée par deux professeurs à Stanford University, la biologiste Elizabeth Hadly et le paléontologue Anthony Barnosky, et qui fut publiée dans la prestigieuse revue Nature en juin 2012. Les chercheurs américains y montraient que les bouleversements environnementaux induits par les activités humaines suivent, depuis quelques décennies, un rythme inédit dans l’histoire de la Terre et celle de l’humanité, provoquant notamment une extinction massive des espèces animales et végétales et un réchauffement climatique jamais vu depuis quatorze millions d’années. Comment réagir à cette catastrophe en cours, et surtout comment agir pour tâcher de l’enrayer ?

Nous avons beaucoup d’imagination pour penser notre disparition (sous les assauts de robots, de zombis, d’extraterrestres, ou à la suite d’une apocalypse nucléaire), mais nous avons peu de récits sur les solutions pour éviter notre extinction. Quand les scientifiques nous disent : “Si vous voulez conserver la biosphère sur cette planète, dans les limites qui ont permis aux civilisations humaines d’émerger et de prospérer, il faut commencer par réduire vos émissions de 8, 9, 10 % par an”, aucun de nos récits n’est adapté à cette idée. Cette histoire nous paraît systématiquement négative, qui nous éloignerait de quelque chose. Il faut donc mettre bout à bout les histoires de solutions, aux quatre coins de la planète, pour raconter une nouvelle histoire.

C’est à cette tâche, formulée par l’activiste et écrivain britannique Rob Hopkins, que s’attelle précisément ce film. Structuré en cinq « chapitres » (l’agriculture, l’énergie, l’économie, la démocratie, l’éducation), il met en scène les rencontres des deux réalisateurs avec diverses figures militantes, politiques et artistiques qui, aux côtés de nombreuses communautés, ont décidé d’engager une transition vers des modes de vie écologiques et respectueux de l’environnement. Le spectateur retrouve quelques personnalités (Pierre Rabhi, Vandana Shiva…) déjà croisées dans le documentaire de Coline Serreau, mais il découvre surtout de nouvelles initiatives à sa portée, prises par certains de ses contemporains tels les citadins de Detroit aux États-Unis qui, après la disparition de l’industrie automobile et la baisse drastique de leur population faute d’emplois dans leur ville, ont décidé de faire pousser eux-mêmes leur nourriture (Keep Growing Detroit) ou encore les habitants de Todmorten, dans le district de Calderdale, en Grande-Bretagne, qui se sont eux aussi convertis à l’agroécologie pour assurer leur subsistance. Dans les faits, 75 % de ce que nous mangeons aujourd’hui provient des petits agriculteurs, et non point des grandes entreprises agro-industrielles dont la production sert surtout à nourrir l’élevage intensif et à fabriquer des agrocarburants. Or, comme l’a montré le juriste belge Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, dans une étude menée dans soixante-huit pays et publiée en 2011, les rendements agricoles pourraient être multipliés par deux en pratiquant l’agroécologie, et probablement par trois ou quatre en optant pour la permaculture. À condition de consommer peu de viande, dix ou douze milliards d’humains pourraient ainsi être nourris de manière saine, avec un bien moindre impact sur l’environnement, en multipliant les micro-fermes plutôt que les vastes exploitations de monoculture.

Des solutions existent également sur le plan énergétique, pour éviter les émissions de gaz à effet de serre. On peut notamment produire de l’énergie à partir du soleil, du vent, de l’eau et récupérer la chaleur de la terre : des pays comme l’Allemagne, la France, l’Italie, le Japon, la Suisse ont aujourd’hui toutes les ressources nécessaires pour remplacer les énergies fossiles par des énergies renouvelables, et produire notamment du chauffage et de l’eau chaude grâce à la géothermie, mais nous sommes loin des objectifs atteints par les pays scandinaves (Danemark, Finlande) où une ville comme Copenhague sera à compter de 2025 totalement autonome grâce aux énergies renouvelables. En dépit de l’Accord de Paris (2015), les émissions carboniques n’ont globalement cessé d’augmenter, et loin d’aller vers plus de sobriété, on remplace désormais les affichages publicitaires par des écrans lumineux : 60 % de la consommation énergétique mondiale pourrait de fait être évitée.

Il importe dès lors de changer de logiciel économique, pour créer de la richesse et des emplois sans s’obliger à toujours « plus de croissance ». Il faut notamment rompre avec tous les mécanismes hégémoniques et oligarchiques qui concentrent les ressources économiques et financières au sommet ou dans les mains de quelques individus : de même que la monoculture agricole génère toujours plus de maladies, d’incendies, et moins d’eau et d’animaux, la monoculture monétaire et la spéculation financière engendrent toujours plus de crises et de pauvreté : on a ainsi dénombré près de 150 crashs bancaires et 208 crises monétaires depuis 1970. Les sociétés doivent davantage s’inspirer de la nature, où les écosystèmes ne permettent pas le développement d’hégémonie et de monoculture. Une des voies privilégiées pour cela est la mise en place de monnaies locales, comme le Wir en Suisse, qui réunit 60 000 entreprises, ou Common Future aux États-Unis, qui permet à 35 000 entrepreneurs de développer une économie locale et solidaire où les ressources financières, loin de pouvoir s’échapper dans des paradis fiscaux, sont constamment remises en circulation dans le système d’échanges.

Les deux derniers chapitres du film explorent enfin les alternatives mises en œuvre sur les plans politiques et éducatifs, avec des écrivains comme David Van Reybrouk, qui dénonce la confiscation des processus électoraux par les gouvernants, à la solde d’intérêts économiques et financiers hostiles à toute transition écologique, et prône en contrepoint le développement du tirage au sort où des citoyens sélectionnés de manière aléatoire seraient chargés des grandes questions économiques, écologiques, sociétales et politiques. L’expérience prouve, comme dans les jurys d’assises, que loin d’être désinvestis, les individus ainsi chargés de responsabilités majeures s’en saisissent avec beaucoup d’exigence éthique, et prennent des décisions ou proposent des solutions souvent bien plus imaginatives et viables que celles envisagées par les supposés « experts », partisans du « business as usual ».

Le succès de ce film s’est de fait traduit dans les multiples initiatives que son visionnage a fait naître, et qui se sont trouvées explorées à leur tour dans un nouveau documentaire, Après-demain, réalisé en 2018 par Cyril Dion et la journaliste de LibérationLaure Noualhat.

Anthony Mangeon - Configurations littéraires