Eva Bester, Remèdes à la mélancolie (Films, chansons, livres…- La consolation par les arts)

Éditions Radio France/ Éditions Autrement, 2016.

Quels remèdes peut-on apporter à la mélancolie ? C’est la question que pose Eva Bester dans un livre qu’elle veut « consolatoire », tiré de l’émission « Remèdes à la mélancolie », qu’elle a animée sur France Inter pendant huit ans, de 2013 à 2021. Le principe de l’émission est simple : Eva Bester demande à un invité, auquel elle a soumis au préalable un questionnaire par écrit, de lui suggérer une dizaine de remèdes, dans diverses catégories (livres, films, musiques, mais aussi activités, idées, ou citations…). Le temps de l’émission est consacré à une discussion autour de ces objets.

Productrice et présentatrice de l’émission, Eva Bester a, auparavant, travaillé pour divers programmes, notamment pour France Culture et pour Arte. Comme elle l’écrit en introduction, si elle s’érige – pour son émission mais également pour le livre qu’elle en tire – en spécialiste de la mélancolie, c’est d’abord en tant que « première concernée ». Le livre est d’ailleurs dédié « à tous les mélancoliques », et il est pensé comme une discussion amicale, d’une mélancolique à tous les autres. En ce sens, l’ouvrage pourrait sembler appartenir à la catégorie du « self-help » : la première partie, dédiée à l’histoire et à la définition de la mélancolie, aiderait ainsi à mieux comprendre ce mal dont, nous dit la journaliste, nous sommes tous un jour ou l’autre affectés. La deuxième partie est quant à elle consacrée aux remèdes (sérums littéraires ; antidotes musicaux ; onguents filmiques ; activités anti-spleen ; idées consolatoires ; à manger, à boire ; ce qui fait rire ; citations béquilles ; les choses à éviter), et l’on suit, de chapitre en chapitre, toujours à peu près le même schéma : la suggestion de l’invité et ce qu’il en a dit, ce qu’en a pensé la journaliste, et, éventuellement, une anecdote ou un complément d’information sur l’objet choisi. La troisième partie enfin, intitulée « annexes », comporte les remèdes qui n’ont pas trouvé place dans les précédentes catégories, à savoir ceux de la journaliste elle-même, ainsi qu’une catégorie « arts visuels », placée là parce que le livre étant publié sans images, Eva Bester n’a pas jugé judicieux d’intégrer cette catégorie dans la partie précédente. Cette troisième partie, patchwork de remèdes un peu désordonné, reflète en fait assez bien l’ensemble du livre. Nous sommes avertis dès l’introduction : le but de la journaliste, dans sa vie comme dans ce livre, est simplement d’arriver à « composer un pot-pourri convenable, supportable de ce qu'on qualifie de bon et de mauvais dans l’existence ».

Si la journaliste consacre une partie entière à l’appréhension de ce qu’est la mélancolie, on peut donc regretter qu’elle ne s’intéresse pas à la définition du « remède » ; cet ouvrage-là est en effet une suite de remèdes de grand-mère, chaque invité offrant et partageant les objets qui, au quotidien, fonctionnent pour lui et le consolent. Le livre se veut d’ailleurs résolument subjectif. Toujours en introduction, l’autrice annonce : « n’étant pas philosophe ou critique d’art, mes commentaires sont donc à prendre comme ceux d’une amie qui vous conseillerait des choses à lire ou à voir au cours d’un déjeuner informel. » Pas de réflexion philosophique sur la nature de la mélancolie ou de la consolation, donc, mais plutôt, pour accompagner les propos de ses invités, des citations, remarques, observations glanées au gré de ses lectures sur la mélancolie. Le ton, quant à lui, se veut familier et pédagogue ; de ce fait, nous avons souvent l’impression que l’on s’adresse à nous en mineurs, comme par exemple lorsque l’on nous explique que « les aléas sont des sales types ». Là encore, on peut s’interroger sur cette technique du pot-pourri où, dans la liste des fameux aléas, la solitude et la haine se retrouvent sur le même plan que l’« odeur de salsifis ». Il en va un peu de même des remèdes proposés, où une définition passionnante de la mélancolie comme « ADN de notre tristesse » proposée par Céline Sciamma voisine avec les remarques fort peu délicates d’un Frédéric Beigbeder, qui dit adorer « se vautrer dans les lamentations. » Enfin, la journaliste ajoute qu’elle a choisi elle-même les remèdes qu’elle a préférés parmi ceux proposés par les invités. Le livre est donc construit sur un double biais, celui de ses invités et le sien propre, qui n’est pas des moindres, puisqu’elle part du principe que la vie est une suite « de déceptions, de cruautés, de bruits et de vulgarité ». On en vient à se demander quelle consolation peuvent vraiment apporter à un inconnu ces objets singuliers choisis par les invités qui, comme ils l’expliquent d’ailleurs très bien au cours de l’émission, les sélectionnent moins pour leur contenu consolatoire que pour les souvenirs précis – d’une période de leur vie, d’un être cher, d’une sensation – qu’ils éveillent en eux, quand nous n’avons pas carrément à faire à des torpilleurs en chef, tel Denis Lavant qui s’ingénie à proposer des œuvres toutes plus sinistres les unes que les autres.

Malgré ces réserves, l’ouvrage, par sa nature même de miscellanées, offre parfois au détour de certaines pages de très belles et très profondes réflexions sur la mélancolie et la consolation. Si la petite histoire de la mélancolie que nous propose Eva Bester en première partie assume à la fois sa légèreté et sa subjectivité, elle pose tout de même les grands jalons de l’histoire de la mélancolie en Occident, un peu à la façon d’une « histoire de la mélancolie pour les nuls ». Dans la deuxième partie, le chapitre sur les conseils littéraires nous réserve – grâce aux choix éclectiques des invités –, des conseils qui sortent de l’ordinaire (d’une biographie de Pierre Tilman sur Robert Filliou à l’intégrale de l’œuvre de Mervyn Peake). Ce chapitre, qui comprend les propos des invités sur le livre choisi, une fiche quasiment sainte-beuvienne de la journaliste, mêlant éléments biographiques et remarques sur le style de l’auteur, et une note pour ajouter des précisions (ouvrages du même auteur, anecdotes…), ainsi que parfois, un extrait du livre choisi, se rapproche à bien des égards de la bibliothérapie : il ne s’agit plus de lire un livre sur la mélancolie pour guérir de sa propre mélancolie, mais bien, en allant piocher dans des ouvrages extrêmement divers grâce à la médiation d’un tiers, de découvrir des « compagnons de route » (Vimala Pons), des « amis » (Irène Jacob) avec lesquels cheminer. Le chapitre sur les « activités anti-spleen », qui s’apparente plutôt à des bribes ou à des récits de vie, est souvent jubilatoire ; on pense notamment au paragraphe sur les marches et les balades, occasion de véritables méditations poétiques de la part d’invités comme Arthur H, Richard Peduzzi ou encore Nicole Caligaris. À noter également, dans les « idées consolatoires », autre chapitre de la partie « Remèdes », une passionnante leçon de la philosophe Danièle Cohn, qui nous parle de l’injonction au rire chez Nietzsche (« il faut aller chercher le rire »).

En réunissant les propos de ses différents invités, Eva Bester tient finalement son pari : tenter de mieux comprendre ce que serait la mélancolie, mal individuel, afin d’en donner une approche en ronde bosse, et de s’essayer à un partage d’expérience. La consolation, dans ce cas, passe en grande partie par le fait de savoir que l’on n’est pas seul dans sa mélancolie. En ce qui concerne le choix des objets à partager, après avoir constaté que le spleen s’épanouit dans la solitude et l’oisiveté, et que la consolation se trouve elle dans l’art et le partage, la journaliste se place sous la double tutelle de Schopenhauer (« l'homme trouvera quelques répits dans l’art, que Schopenhauer considère comme une illusion consolatrice ») et de Nietzsche (« L’art et rien que l’art ! Il est le grand facilitateur de la vie, le grand séducteur de la vie, le grand stimulant de la vie.  »). Si le constat est simple, certains des remèdes – comme d’ailleurs les remèdes de grand-mère – restent étrangement efficaces.

 

Kenza Jernite