Le collectif Obvious

Synthèse (2) de la conférence animée par Amélie Boutinot (EM Strasbourg) lors de l'école d'automne LETHICA 2022

Gauthier Vernier et Pierre Fautrel sont venus nous présenter leur collectif Obvious, reconnu par les institutions les plus prestigieuses pour leur art produit par une intelligence artificielle. Ils ont d’abord raconté leur parcours et le travail fourni par le troisième membre du groupe (absent ce jour-là) pour produire une IA capable de synthétiser et de s’inspirer de milliers d'œuvres pour en produire de nouvelles. Le projet le plus marquant, celui de La Famille De Belamy composée de 11 tableaux, a véritablement mis ce collectif sur le devant de la scène de l’art international, puisque la célèbre maison de vente aux enchères américaine Christie’s a organisé la vente de l’un de ces tableaux (432500$). Ils ont alors été propulsé dans le monde de l’art et ont organisé des expositions dans divers lieux prestigieux (musée des civilisations, musée national de Chine, musée de l’Ermitage…). Ils ont depuis, proposé divers projets sur les estampes et l’art traditionnels japonais (Electric dreams of ukiyo), les masques africains (Facets of AGI), les sept merveilles du monde antique (7.1)... Ils développent de grandes séries de NFT (Non-Fungible Token) qu’ils proposent à l’achat sur les plateformes spécialisées, ils ont également présenté les différents projets de collaboration avec de grandes marques telles que LVMH, Automobiles Alpine, Nike… Gauthier Vernier et Pierre Fautrel sont chargés de sélectionner parmi les milliers d’images à compiler, de les redimensionner, d’écarter les moins pertinentes et de les donner à l’IA créée par Hugo Caselles-Dupré. Ce dernier a développé une puissante IA en deep-learning à partir d’un certain nombre de codes disponibles en ligne en open-source. C’est d’ailleurs une des lignes de code qui sert de signature au collectif.

Bien que le projet soit intéressant, il semble pourtant difficile de parler d’art en ce qui concerne la production de ces trois artistes. Il nous semble plutôt pertinent de parler de leur intelligence artificielle comme d’une forme d’outil, plutôt que comme une créatrice de chefs d'œuvre. En effet, même s’il faut d’abord déterminer le matériau brut qu’ils donnent à l’IA, tout le processus de création et d’inventivité ne leur appartient pas. Leur production est intéressante en ce qu’elle permet de voir les grandes tendances de l’art, les règles de construction, les codes ou même de mettre en lumière le style propre d’un artiste (par exemple The Next Rembrandt soutenu par ING et Microsoft). En revanche, les œuvres produites par Obvious ne me semblent pas plus qu’intéressantes. L’IA étant ce qu’elle est, des lignes de codes informatiques compilant des millions d’images, elle n’est pas douée d’une volonté artistique, d’une intentionnalité et d’une créativité : elle ne peut que se cantonner à la reproduction, à la réplique ou à l’inspiration. L’ingénieur informatique a réussi à mettre en place un outil de création à la chaîne, tandis que les deux intervenants, tous deux diplômés d’école de commerce, venus présenter le projet lors de Lethica, fournissent un narratif, une histoire pour accompagner les œuvres et leur donner une véritable profondeur que l’IA ne peut apporter. Martin Gibert, également présent à ce colloque, a comparé ces œuvres à « un paysage naturel » ou au « chant des oiseaux » en ce qu’elles donnent juste le sentiment d’une vision esthétique dénuée d’une intentionnalité artistique[1]. Interrogés sur les fondements philosophiques de leur entreprise, les deux producteurs d’art n’ont pas su convoquer de références qui auraient appuyé leurs œuvres. Elles ne sont finalement pas si éloignées des ready-made, sans la réflexion méta-artistique sous-jacente.

Par ailleurs, depuis cette conférence, les IA (Dall-E, GPT…) d’abord réservées aux ingénieurs ou à un cercle très restreint d’utilisateurs, se sont ouvertes au grand public et ont inondé le milieu des influenceurs sur les réseaux sociaux. Tout le monde peut nourrir et utiliser ces outils à des fins récréatives, expérimentales voire mercantiles. S’appuyant sur les images disponibles en ligne, elles se nourrissent alors également du travail d’artistes qui ne consentent pas à ce que leurs travaux soient utilisés par des machines. De plus, les serveurs et ordinateurs qui leur permettent de fonctionner consomment énormément d’électricité et de ressources. Obvious propose à la vente un grand nombre de NFT allant de 120$ à 300000$ que l’on ne peut acheter qu’avec des crypto-monnaies (ETH), dont l’impact environnemental est plus que problématique[2]. Leur collection sur les masques africains ou les estampes japonaises peuvent également relever de l’appropriation culturelle à des fins commerciales. Leur collaboration avec LVMH ou Nike met en lumière l’absence de questionnement éthique ou moral de la mise au service de l’art pour des marques aux pratiques industrielles parfois douteuses (conditions de travail des ouvriers notamment).

Ainsi, le travail du collectif Obvious est intéressant puisqu’il permet de questionner l’histoire de l’art d’une manière totalement nouvelle. Mais il reste, à mon sens, une production industrielle plutôt qu’une création artistique.

Thomas Malfray - étudiant en littérature française, générale et comparée

[1] « Cela ressemblera davantage à l’écoute du chant des oiseaux qu’à celle de John Coltrane. [...] Toutes nos conduites esthétiques n’impliquent pas des œuvres d’art. Un paysage naturel, le mur des toilettes ou le vent dans les arbres peuvent induire d’authentiques expériences esthétiques. Or, si le vent dans les arbres n’est pas considéré comme une œuvre d’art, c’est d’abord parce qu’il n’est pas le résultat d’un travail artistique. Mais plus fondamentalement encore, c’est parce qu’il n’est pas le résultat d’une causalité intentionnelle. » Martin Gibert, « L'œuvre d’art artificielle: une disruption ontologique ? », IA, art sans artistes ? Essai, Espace, 2020, pp.50,53. Consulté en ligne le 2 janvier 2023 : https://www.academia.edu/73059498/Loeuvre_dart_artificielle_une_disruption_ontologique 

[2] Le Bitcoin consomme autant d'électricité que la Thaïlande, les ordinateurs se trouvent au Kazakhstan ou en Iran et entraînent des pénuries d’électricité. Voir « Les cryptomonnaies, si gourmandes en électricité », Savinien de Rivet et Alice Chair, Libération, le 8 février 2022, consulté en ligne le 2 janvier 2023 : https://www.liberation.fr/environnement/les-cryptomonnaies-si-gourmandes-en-electricite-20220208_DZJELKSQRVBAVFTVZ2DX6LWIPY/