Christophe André, Consolations. Celles que l’on reçoit et celles que l’on donne

Paris, L’Iconoclaste, 2022.

Le psychiatre Christophe André, auteur d’une trentaine de livres sur le bonheur, sur la méditation ou sur l’estime de soi, aborde ici le thème en demi-teinte de la consolation. Comme les précédents, l’ouvrage s’adresse au grand public par son style, simple et émouvant, et par l’exposé d’une sagesse tirée aussi bien de l’expérience professionnelle de l’auteur que de ses conversations ou de ses lectures. Trois chemins sont proposés au lecteur puisqu’il s’agit tout à la fois d’« un livre sur la consolation », d’un livre pour apprendre à consoler et d’« un livre consolateur » (p. 14).

Cet essai est d’abord une réflexion sur la consolation. Sans prétendre fournir une analyse universitaire du concept, l’auteur apporte des précisions sur ce que recouvre le terme. La consolation est d’abord distinguée de la guérison au motif que le consolateur ne prétend pas résoudre la cause du problème qui affecte l’individu mais seulement apaiser sa souffrance ou alléger sa peine. Cette distinction n’est pas absolue car la consolation répare bel et bien quelque chose (le lien social, l’allant de l’individu, ...) mais elle signifie que cette « pratique d’humanité » garde tout son sens dans les situations où la souffrance provient d’un fait irrémédiable (décès, maladie incurable, etc.). La consolation se distingue aussi du réconfort par son action sur le long terme, la parole consolatrice ayant souvent un effet bien après le moment où elle est énoncée. Une fois ces précisions apportées, Christophe André parcourt les différentes sources de la consolation : consolation par autrui, autoconsolation, consolation par la nature. De nombreuses pages sont consacrées aux livres, ces « consolations de papier ». L’ouvrage est emmaillé de citations littéraires très bien choisies (dont cette belle réflexion d’Emmanuel Carrère, dans Yoga, citée p. 130 : « Quand ça va bien, je m’attends à ce qu’à un moment ou à un autre ça aille mal – en quoi j’ai raison –, alors que quand ça va mal je n’arrive pas à croire qu’à un moment ou à un autre ça va aller bien – en quoi j’ai tort »). L’auteur loue le talent consolateur de plusieurs écrivains comme Montaigne ou George Sand mais n’hésite pas non plus à émettre des doutes sur l’efficacité de telle Consolation de François de Malherbe (p. 155) ou sur le risque qu’il y aurait à magnifier la figure de « l’inconsolé » comme dans le poème de Nerval, « El Desdichado » (p. 177). Ces réflexions apportent des éléments intéressants à une réflexion sur la bibliothérapie, par la distinction entre guérison et consolation qui permettrait de mieux circonscrire la sphère d’action du littéraire dans le processus de soin, et par quelques observations originales comme le fait que la lecture nous aide à mieux décrire nos ressentis personnels, ce qui joue un rôle dans la consolation (p. 215).

À un deuxième niveau, l’ouvrage de Christophe André peut se lire comme un manuel pour apprendre à consoler – mais également pour apprendre à être consolé. Certes, l’auteur montre que la consolation ne peut être réduite à une « stratégie » ou à un savoir-faire mais qu’elle est aussi une tendance naturelle de l’humain, à l’image de ces enfants qui offrent un jouet à leur camarade qui pleure (p. 86). L’ouvrage dispense néanmoins quelques conseils au consolateur (p. 147-148), souligne l’importance du kairos – l’art grec de saisir l’occasion et de faire les choses dans les temps –, prévient les maladresses possibles, et oppose aux « trois inévitables » (p. 36) (souffrir, vieillir, mourir) les « quatre indispensables A » (p. 23) (affection, attention, action, acceptation). C’est donc à un art de faire cas et de prendre soin que le psychiatre entend initier son lecteur. Les questions éthiques que pose ce geste, en revanche, ne sont effleurées que ponctuellement (peut-on mentir pour consoler ? p. 27 ; le malheur des autres est-il consolant ? p. 119).

Enfin, Consolations assume d’être lui-même un « livre consolateur ». Tout au long des pages, le lecteur rencontre ainsi des « encadrés » racontant des anecdotes émouvantes ou des aveux autobiographiques, des « vracs consolatoires » recueillant des maximes apaisantes, des copies de lettres adressées à des lecteurs. On peut aussi saluer les nombreuses métaphores ou apologues visant à « remettre l’âme dans la bonne direction » (p. 192) comme l’idée, joliment formulée, qu’il faut, dans un deuil, « traverser le rideau de la tristesse » pour « aller vers les souvenirs heureux » (p. 47). Le graphisme très soigné du livre appuie cette expérience de lecture.

Déjà traduit en quatre langues, disponible en livre audio ou en « beau livre » illustré de tableaux, Consolations s’inscrit dans un très fort courant de la librairie actuelle, composé de livres qui visent, sinon à « réparer le monde » comme le montre Alexandre Gefen, du moins à consoler leurs lecteurs. Le style de Christophe André a d’ailleurs des ressemblances avec celui de romans populaires récemment parus sur les mêmes thèmes comme Changer l’eau des fleurs (2019) de Valérie Perrin. Il ne faut pas oublier que cette mode de la littérature thérapeutique n’est pas innocente, et qu’elle répond à des enjeux idéologiques et économiques précisément critiqués par Eva Illouz dans ses essais sur les « marchandises émotionnelles » ou dans son livre co-écrit avec Edgar Cabanas, Happycratie. Mais tout en gardant une vigilance critique sur le remplacement progressif du politique par le thérapeutique dans nos sociétés, force est de constater, à la lecture, que Consolations est un livre qui fait du bien et qui en fera sans doute à de nombreux lecteurs.

 

Lucien Derainne