Jean d'Amérique

Né en 1994 en Haïti, Jean d’Amérique est poète, dramaturge, romancier et rappeur. Il est l’auteur d’une œuvre engagée, qui interpelle sur les injustices et les souffrances endurées par les populations pauvres et marginalisées, en particulier celle d’Haïti dont il est originaire : les titres des recueils Petite fleur du ghetto (Atelier Jeudi Soir, 2015), Nul chemin dans la peau que sanglante étreinte (Cheyne, 2017) ou Rhapsodie rouge (Cheyne, 2021) disent la volonté du poète de ne pas détourner les yeux face à la violence du réel. Soucieux d’expérimenter de nouvelles formes poétiques, Jean d’Amérique sort également en novembre 2023 son premier album de rap, intitulé Mélancolie gang.

Ses textes prennent souvent la forme d’un monologue où la voix se fait tantôt souffle, tantôt cri, dans l’espoir de porter au-delà des murs de la prison (comme dans Cathédrale des cochons, pièce publiée en 2020 aux Éditions Théâtrales) ou de s’échapper de la prison à ciel ouvert que constituent les bidonvilles de Port-au-Prince, à l’instar de l’héroïne du roman Soleil à coudre (Actes Sud, 2021), qui écrit et réécrit une longue missive à la fille qu’elle aime, partie à New York. La mise en forme poétique se conjugue ici à une ambition éthique et politique et l’auteur s’inscrit ici nettement dans une lignée de poètes engagés, auxquels il rend hommage dans ses œuvres pour avoir payé le prix de leurs prises de position, comme Federico Garcia Lorca ou encore Nâzım Hikmet qui considérait la poésie comme « le plus sanglant des arts ».

Mais il ne s’agit pas simplement de témoigner de l’état désastreux de notre monde. Jean d’Amérique dote ses personnages d’un souffle poétique qui fait d’eux des résistants, capables de déjouer par le langage (même si c’est parfois seulement pour un temps) les violences dont ils sont ou pourraient être victimes : « suis-je au bout de ma phrase ? », demande la jeune protagoniste de Soleil à coudre, comme si le verbe envoûtant qui est le sien avait le pouvoir de vider de sa substance la sentence contre laquelle elle se bat, le terrible « tu seras seule dans la grande nuit » prononcée par « Papa », le meurtrier à la solde d’un chef de gang qui lui tient lieu de figure paternelle.

La « transe poétique » des personnages, du nom du festival de poésie de Port-au-Prince qu’il a fondé en 2019, vise bien à produire un effet et elle se réalise souvent dans un contexte d’« odyssée » : le poème permet ici de traverser les espaces, pour échapper au malheur (comme la petite fille de Rachida debout, un poème sur une jeune migrante qui n’obéit pas et que rien n’arrête, publié chez Cheyne en 2022) ou pour obtenir au moins un répit avant d’être rattrapé par le tragique. Dans tous les cas, il s’agit de créer « Un poème dans la flaque rouge », du nom d’une performance donnée par l’écrivain en mars 2024 – une poésie qui baigne dans la violence, mais aussi une poésie qui panse les plaies et qui exorcise.

Victoire Feuillebois (GEO) et Pascal Maillard (Configurations littéraires)