Né en 1948 à Buenos Aires, Alberto Manguel est romancier, critique et traducteur. Récompensé par de nombreux prix internationaux, il est notamment l’auteur d’une célèbre Histoire de la lecture (1996, Actes Sud) qui explore la passion du livre à travers les siècles et les continents. Car écrire, pour Manguel, c’est tout d’abord lire, et le souffle de l’écriture chez Manguel provient du voyage du lecteur à travers le monde : Argentine, Italie, Israël, États-Unis, Angleterre, France, Tahiti, Canada. Si le lecteur authentique est un anarchiste dans « l’exercice de la liberté absolue », le polyglotte Manguel lit en tous sens, sans ordre établi, et de sa plume aux teintes espagnole et anglaise — lui qui maîtrise aussi l’allemand et le français —, il donne une vision du monde ouverte et riche des mémoires et légendes qui le composent.
Il a aussi « ses bibliothèques », concrètes et océaniques, de la Bibliothèque Nationale d’Argentine où il a succédé à Jorge Luis Borges, écrivain à qui Manguel faisait la lecture lorsqu’il est devenu aveugle, à sa bibliothèque personnelle de 40 000 ouvrages, dont il a fait don à la ville de Lisbonne en 2020 et qui a inspiré Je remballe ma bibliothèque : une élégie et quelques digressions (2019, Actes Sud).
Véritable humaniste contemporain, il réinvestit la lecture comme une conversation à travers le temps et l’espace : celle-ci devient l’occasion d’une conversation de nature éthique, qui invite à se pencher sur la pensée et la vie de l’autre, même éloignées de nous sur le plan historique et géographique. Car si le lecteur est un anarchiste, il n’a pas de pays, non plus. Comme l’indiquait Sénèque, le lecteur choisit ses ancêtres, c’est « une redécouverte de ce(ux) que nous n’avons pas connu(s) ». Dans Journal d’un lecteur (Actes Sud, 2004), Manguel passe en revue ainsi ses aïeux littéraires tels Adolfo Bioy Casares, H. G. Wells, Rudyard Kipling, Chateaubriand, Conan Doyle, Goethe, Kenneth Grahame, Cervantès, Dino Buzzati, Sei Shônagon ou Machado de Assis. La bibliothèque est le cœur d’où émanent les écrits de Manguel. Convoquer et invoquer ses lectures, ses auteurs font alors de l’acte de lire un acte d’écrire en conversation permanente. L’auteur est un lecteur se racontant lire.
Lors de sa leçon inaugurale au Collège de France du 30 septembre 2021, Europa, le mythe comme métaphore, Alberto Manguel part sur la trace des grands récits fondateurs de la civilisation européenne en rapprochant l’Histoire et l’imaginaire collectif : celle-ci apparaît comme une Pangée où les œuvres formeraient un patrimoine commun. Lire, traduire, écrire : Manguel est un passeur de cultures, un écrivain de l’autre. Tantôt auteur, tantôt traducteur, il est éternellement critique et avant tout lecteur.
David Gondar - Institut d'Etudes Romanes