« Le véganisme fait chier » : Martin Gibert, lui-même militant de la cause végane, le concède sans ambages dans les premières pages de cet ouvrage, consacré à nos rapports avec les animaux observés « sous l’angle de la psychologie morale ». Si le véganisme (conçu non pas seulement comme un régime alimentaire, mais comme un « mouvement de résistance à l’oppression dont sont victimes les animaux ») suscite tant de réticences, allant même jusqu’à nourrir de virulentes réactions végéphobes, c’est d’abord en raison de ce que l’auteur nomme le « paradoxe de la viande ». Si nul ne conteste en effet qu’il est moralement inacceptable d’infliger des souffrances sans nécessité à un être sentient (par exemple à un animal, comme l’établit en 2012 la Déclaration de Cambridge sur la Conscience), le véganisme demeure un phénomène minoritaire : la révolution morale qui devrait nous conduire à une réforme radicale de nos habitudes alimentaires ne survient pas. Selon Martin Gibert, la question du véganisme nous place donc dans un état de « dissonance cognitive », caractérisé par l’écart entre nos convictions (notre amour des animaux ou a minima notre désir de ne pas leur imposer de souffrance ; plus largement, notre souci de préserver la planète) et notre comportement (notre consommation croissante de viande à l’échelle mondiale). Les causes d’un tel défaut de cohérence seraient à rechercher dans le triomphe d’une idéologie – le carnisme, qui « nous conditionne à trouver normal, naturel et nécessaire de manger des produits animaux ». Soucieux de remettre en cause cette pensée dominante, Martin Gibert passe en revue les arguments déontologiques et utilitaristes plaidant en faveur du véganisme (chapitre 1), s’emploie à réfuter les principales critiques qui lui sont opposées (chapitre 2), puis s’attache à démontrer ses avantages écologiques (chapitre 3) et à déployer ses implications politiques (chapitre 4), dans le contexte d’un « humanisme inclusif » qui aboutit à la remise en cause générale de toutes les formes d’oppression (raciste, sexiste, capacitiste et spéciste). La question sous-jacente à cette synthèse des travaux menés depuis plusieurs décennies « dans l’un des plus stimulants domaines de l’éthique appliquée » n’est donc pas : « comment peut-on être végane ? », mais plutôt : comment peut-on ne pas l’être encore devenu ?
Ninon Chavoz
Maître de conférence Université de Strasbourg, coordinatrice du DU Lethica