Isabelle Blondiaux, La littérature peut-elle soigner ? La lecture et ses variations thérapeutiques

Paris : Champion, coll. Unichamp-Essentiel, 2018

Psychiatre et psychanalyste, par ailleurs auteure d’un essai consacré à Céline (Céline : portrait de l’artiste en psychiatre, 2005), Isabelle Blondiaux livre dans cet ouvrage une synthèse remarquablement complète et documentée des différents avatars de la bibliothérapie (définie comme un ensemble de « pratiques sociales de parole ayant une prétention thérapeutique et reposant sur la médiation d’écrits, peu importe leur support », p. 110), de son histoire (d’abord américaine et liée à l’aménagement concret de bibliothèques dans les hôpitaux) et de ses enjeux. Le terme de « variation », retenu dans le sous-titre pour désigner le spectre des applications thérapeutiques de la lecture, s’avère à cet égard singulièrement bien choisi : par le riche panorama qu’il déploie, l’essai d’Isabelle Blondiaux démontre la variété des pratiques thérapeutiques associées au livre, toujours sises « au carrefour épistémologique du médical, du religieux et du philosophique » (p. 110).

À la différence de supports (on distinguera ainsi la bibliothérapie de la « poéticothérapie » et de la « poésie-thérapie » ou encore de la « théâtrothérapie » et de la « scénothérapie »), s’ajoute en effet une différence de méthode qui induit également une altération du rapport à la littérature. Une première définition de la bibliothérapie, qu’Isabelle Blondiaux qualifie de « minimaliste », encourage ainsi la lecture de « livres d’information sur les maladies et leur traitement » et autres manuels de self-help : cette « bibliothérapie informative » qui réduit le livre au statut d’ustensile et la lecture à une « technique de conseil » (p. 38) remporte certes un succès croissant, mais elle pose selon l’auteure de graves problèmes éthiques, sans que son efficacité ait pu être démontrée. Faisant l’économie (au sens propre du terme) de la relation soignant-patient, cette bibliothérapie a minima fait en effet « peser la quasi-totalité de la responsabilité du traitement sur les seuls malades » (p. 49). Moins étriquées que cette première approche, les bibliothérapies affectives, imaginatives et interactives utilisent la littérature d’imagination à des fins d’adaptation sociale, de normalisation du comportement et de développement personnel : accordant la part belle aux émotions et à la médiation d’un thérapeute devenu « le garant et le support » du sens des lectures, elles se fondent sur les trois étapes successives de l’identification (ou imitation), de la décharge (catharsis ou « implication ») et de la prise de conscience critique de soi (insight). Grande perdante « de la course effrénée à la production de données expérimentales », cette forme de bibliothérapie pose également la question d’une « appropriation » de la littérature, devenue partie intégrante de ce qu’Eva Illouz nomme le « discours thérapeutique », soit une idéologie langagière « ayant pour vocation d’organiser des pratiques sociales instrumentalisées au service du capitalisme, qu’en retour il contribue à remodeler » (p. 123). Pour remédier à ces difficultés, l’ouvrage d’Isabelle Blondiaux offre deux pistes heuristiques, respectivement conçues en dialogue avec les travaux de Piroska Nagy et d’Hélène Merlin-Kajman (Lire dans la gueule du loup, 2016) : la première consiste à réinscrire la bibliothérapie dans une histoire longue, qui remonte à la pratique antique de l’ascèse et aux exercices spirituels stoïciens ; la seconde invite à penser un lien étroit entre la psychanalyse et la littérature, conçue comme dispositif transitionnel. Pour l’auteure, « si la littérature ouvre à l’éthique, ce n’est donc pas tant parce que la littérature serait un catalogue, voire un laboratoire d’expérimentation des possibles que, plus paradoxalement, en raison même de sa puissance traumatique d’effraction. » (p. 153).

Ninon Chavoz
Maître de conférence Université de Strasbourg, coordinatrice du DU Lethica