Christian Gachet, Vie privée

éditions Le Noyer et éditions La Valette (2023).

Selon un sondage Ipsos de 2023, l’inceste est à 77% commis par un homme de la famille, contre en moyenne 16% par une femme ; parmi ces derniers cas 6% concernent les mères (les 7% restants n’ont pas souhaité répondre). L’inceste mère-fils révélé par Christian Gachet (1959-) dans Vie privée (2023) correspond donc à un cas peu représenté, ou du moins peu avoué et porté sur la place publique, ce qui a sans doute joué dans sa décision de mettre en mots son histoire, comme il le dit lui-même vers la fin du livre :

— Du reste, si je parle d’écrire un livre, c’est aussi parce que l’époque s’y prête. Ou plutôt, que c’est le moment pour moi. Ou les deux. Notre histoire, les Wagner, La Ciotat, et, au-delà, le personnage de notre mère, méritent d’être racontés. Pas comme un témoignage de plus de ce qu’est la maltraitance, l’enfance en péril, que sais-je, mais comme une exploration de ce qu’est un inceste mère-fils et des conditions qui l’ont favorisé. (p. 203-204)

Le projet du livre est là condensé, même s’il faudrait relativiser la référence à l’actualité, présente seulement à l’horizon. Vie privée part en effet de l’enfance alsacienne de Christian Gachet et de sa sœur aînée Mireille, placés chez des « parents nourriciers » (p. 14), dont le père, apprend-on plus tard (p. 53-54), viole pendant des années la fillette. Après avoir vécu dans diverses structures familiales défaillantes, voire maltraitantes (chez sa tante maternelle à La Ciotat, avec son père et sa belle-mère Claudia en Alsace à nouveau), Christian Gachet, séparé de sa sœur à l’issue de son séjour dans le Sud, s’installe à Strasbourg avec son père tout juste divorcé. Il a environ 16 ans lorsque commence l’inceste avec une mère alors quasi inconnue à son fils, pour n’avoir été qu’entrevue durant son enfance lors de brèves rencontres, qui laisseront à l’enfant un souvenir brutal, à l’instar de l’épisode où, à cause d’un bout de papier peint arraché, il s’est vu traiter de « nazi » (p. 48). Dans le contexte de permissivité des années 1970-1980, s’installe une relation qu’il faudrait dire d’emprise avec une mère dépeinte en militante communiste aux convictions bruyamment exposées, quoique fragiles sur le plan intellectuel. Se déclarant « totalement libérale » (p. 99), « libre » (p. 104) et « amorale » (p. 105) et se réclamant d’un esprit soixante-huitard qui n’a rien à envier aux Sanaryens de La Familia Grande de Camille Kouchner (2021), elle initie la relation sexuelle (p. 103-104), brouille les frontières générationnelles (« Je jouais au grand garçon et au fils, en même temps », p. 116), court-circuite les circuits érotico-familiaux (« Et quand tes petits copains te demandent si c’est “ta nana” qui te téléphone, répond leur [sic] : oui, avec un sourire extasié », p. 121) et se livre à un chantage affectif que la retranscription de ses lettres conservées par Gachet permet de suivre. De ses 16 à ses 21 ans, alors qu’il entame des études de médecine, l’auteur est pris dans une relation incestueuse dont il apprend rétrospectivement qu’il n’est pas la seule victime : sa mère a eu des relations sexuelles avec l’aîné, Bernard, jusque dans l’âge adulte, et a voulu abuser de sa fille Mireille (« […] tenter des caresses indécentes », p. 195), rapatriée chez elle après que sa grand-mère a découvert l’existence d’un journal intime, où l’adolescente consignait « sa relation amoureuse, magnifiée, avec Bernard » (p. 194). Christian Gachet réalise que l’inceste qui l’a « souillé, poissé » (p. 176) à titre individuel est également au cœur d’une violence intrafamiliale systémique, même s’il ne le formule pas en ces termes : « dans ma famille, c’est une succession d’abandons, de viols, d’incestes » (p. 176) ; « L’inceste avait proliféré. Il était partout » (p. 195). C’est donc chargé en quelque sorte d’une mission, qui double une ambition littéraire affichée, que Christian Gachet, après une carrière de médecin et de chercheur à Strasbourg et dans la région Grand Est, sort d’« ignoration » (p. 9) (ou « volonté d’ignorer »), et prend la plume :

Les confidences de Mireille avaient renforcé mon désir d’écrire ce livre. Elles ajoutaient ce qu’il fallait de folie répétitive pour en dégager un principe, une vérité à découvrir. Il fallait que je l’écrive, pour moi comme pour elle. Elle m’avait, en quelque sorte, délégué un pouvoir. (p. 195)

Mais « quelle vérité ? » (p. 10), se demande d’entrée de jeu l’auteur, qui interroge par là ce qui advient par et au terme de son geste d’écriture. Et en effet, à quelle vérité sur l’inceste peut prétendre une histoire d’inceste ? Statuer sur la portée heuristique de tels récits, a fortiori dans le cas d’un témoignage, qui possède la valeur liée à son statut, n’a rien d’évident. Il est en revanche possible d’examiner des choix narratifs, des postulats théoriques et des outils méthodologiques, ce que l’on souhaiterait faire dans le cadre de cette recension critique. Les remarques qui vont suivre n’ont vocation à remettre en cause ni la vérité des faits, ni la validité de l’expérience, ni la légitimité de la démarche, qu’elle soit littéraire ou thérapeutique. Elles chercheront plutôt, dans une optique de décentrement et de mise en perspective des discours et des savoirs, à importer des grilles de lecture venues de textes et de disciplines extérieures, en vue de produire un contraste, une intelligibilité autre, afin de discuter le cadre posé par Vie privée.

Dans cette perspective, trois points seront évoqués : la représentation du plaisir ; l’interprétation pathologique ; le problème de la domination.

 

Dans Le Voyage dans l’Est (2021), lors d’une interview où « la question du plaisir » lui est posée, Christine Angot se montre catégorique :

— Est-ce qu’on demande à un enfant battu s’il a eu mal ? Pourquoi demande-t-on à un enfant violé s’il a eu du plaisir ? Un enfant battu est humilié sous les coups, un enfant violé par les caresses. Ce sont des stratégies d’humiliation dans les deux cas. L’inceste est un déni de filiation, qui passe par l’asservissement de l’enfant à la satisfaction sexuelle du père. Ou d’un personnage puissant de la famille. Savoir qu’il est asservi, humilié, déclassé, que sa vie est foutue, et son avenir en danger, quel plaisir un enfant peut éprouver à ça ? (Le Voyage dans l’Est, 2021, p. 189)

Selon elle, amener les victimes d’inceste à parler de plaisir relève de l’« obscène » (Le Voyage dans l’Est, p. 190). Tel n’est pas le parti-pris de Vie privée, qui livre plusieurs descriptions crues, voire graphiques, des relations sexuelles avec la mère, où l’accent au contraire est mis sur le plaisir physique : « Je bande intensément […]. Impossible de ne pas vouloir parvenir au terme de cette excitation. Je suis tout entier tendu dans cette main qui va et vient jusqu’à ce que j’atteigne un orgasme comme je n’en avais jamais éprouvé. » (p. 104) ; « […] je l’ai pénétrée et j’ai cueilli ce plaisir d’aller et venir, sans retenue, dans une félicité liquide, jusqu’à l’éblouissement. » (p. 111). Dans un texte intitulé « À quoi ai-je consenti ? », écrit en juin 2024 et paru en traduction allemande au Frankfurter Allgemeine Zeitung en septembre 2024, l’auteur confie que le sentiment d’être « dans une relation dont [il] éprouvai[t] qu’elle [lui] faisait du bien » a brouillé son consentement et alimenté par la suite sa culpabilité. Parce qu’il semble être le lieu d’une ambiguïté avec laquelle Christian Gachet se débat, le plaisir est le prisme à travers lequel sont systématiquement racontées les scènes de sexe, y compris de viol :

Elle détache la ceinture de mon pantalon, ouvre la fermeture éclair, dégage ma verge et la prend dans sa bouche. C’est la première fois qu’elle me fait ça. Je me laisse faire, étonné, curieux, sans y être. Je bande, mais je ne sens rien. Anorgasmie, ai-je appris depuis. Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Ma mère m’interroge du regard, je ferme les yeux. Je ne sens rien, je laisse faire. J’ai hâte que cela finisse. Je voudrais que ces gestes n’aient pas lieu. Mon corps se refuse. Finalement, je l’interromps. (p. 158)

À la lecture de Vie privée, où le plaisir est omniprésent, on voit se profiler un débat éthique, qui met aux prises expérience intime et expérience collective dans leur désir de se raconter et de se faire entendre de la façon la plus juste, c’est-à-dire avec justesse, mais aussi justice : peut-on témoigner du plaisir ressenti, au risque de ramener l’inceste à une question dont les victimes, comme Christine Angot, montrent le caractère inapproprié et veulent se défaire, parce qu’elle produit potentiellement de la violence (dans l’échange avec l’incesté) et de l’opacité (dans la compréhension de l’inceste) ? La comparaison avec Vanessa Springora, dont Christian Gachet se réclame par ailleurs, est capitale, car Le Consentement pose et déboute simultanément le plaisir pris dans le cadre d’une relation certes non incestueuse, mais abusive et asymétrique, non en niant son existence, mais en questionnant ses fondements, minés par l’emprise, l’abus de faiblesse et d’autorité : l’adolescente séduite « se donne pour mission de rassurer G. sur tout le plaisir qu’il lui donne, de sorte qu’en cas de descente de police, son consentement ne fasse aucun doute » ; mais que signifie jouir « de la part de jeunes filles arrivées vierges dans le lit de G., sans le moindre point de comparaison » (p. 92) ? L’ironie de la narratrice, rétrospectivement à même de porter un autre regard sur son expérience d’adolescente, pointe du doigt le rapport bancal, faussé, entre plaisir et consentement. Pour sortir de la difficulté éthique posée par cette question-piège, l’une des solutions serait alors d’inventer des cadrages énonciatifs et narratifs à même de subvertir en interne la problématique représentation du plaisir, qu’il ne s’agit pas de proscrire, mais de mettre en perspective et de contextualiser.  

Vie privée est ensuite aimanté par la volonté de comprendre l’inceste, pourquoi il est arrivé, et comment il aurait pu être, comme l’indique une réflexion faite à propos de Christine Angot : « si le père de Christine Angot n’avait pas été le goujat qu’elle décrit, s’il n’avait pas installé cette différence de classe qu’elle met en scène, bref, s’il avait été gentil avec elle, aurait-elle vécu un inceste heureux ? » (p. 204). À cette interrogation, dont on peut critiquer l’emploi d’euphémismes (« goujat ») et de clichés (« inceste heureux ») contestés dans bon nombre de récits d’incestes (Triste Tigre de Neige Sinno, Le Voyage dans l’Est de Christine Angot, La Fabrique des pervers de Sophie Chauveau), ainsi que la démarche, qui consiste à faire de la domination de classe une donnée externe à la logique de l’inceste (on y reviendra) et que l’on pourrait par conséquent extraire, il finit par trancher par la négative, en faisant de la folie la clef de voûte de l’inceste : « [le passage à l’acte] n’a été possible que du fait de la personnalité pathologique de notre mère » (p. 205). Au fil du texte, cette interprétation est réitérée, à travers des expressions comme « folie répétitive » (p. 195) ou « type de complexion » (p. 205). Peu après avoir fait entendre le diagnostic du petit frère, Jean-Jacques, lui aussi médecin (« elle est atteinte de la paranoïa de Kretschmer », p. 224), le texte s’achève sur un dialogue entre la mère, âgée et malade, et le narrateur adulte, qui repose définitivement le prisme de la folie : « “Crois-tu que je devienne folle ? — Non, tu deviens musicienne !” » (p. 233) (entendre par là : elle ne devient pas folle, puisqu’elle l’est déjà).

Il ne nous revient évidemment pas de décider si la mère dépeinte dans Vie privée est ou non folle, ce qui dépasse à la fois nos compétences et le cadre de ce compte rendu. En revanche, dans la perspective de faire dialoguer les savoirs et de confronter les positions, on peut s’interroger sur le choix de faire de la piste pathologique l’unique grille de lecture de l’inceste. Les travaux de l’anthropologue Dorothée Dussy, autrice du Berceau des dominations. Anthropologie de l’inceste (2013), proposent par exemple une critique de l’approche psychomédicale à partir d’une perspective féministe. Après avoir résumé les positions de Louise Armstrong (Kiss Daddy Good Night : A Speak Out on Inceste, 1978), elle écrit ainsi :

En faisant de l’inceste une pathologie, c’est-à-dire une question relevant du champ de compétences médical, on esquive la question politique : il ne s’agit plus de travailler à la transformation sociale ou de réfléchir sur les moyens d’éliminer les abus sexuels intrafamiliaux, ce qui passerait par la reconnaissance des positions précises de chacun (dominants/dominés) dans cette affaire. […] poser l’inceste comme une pathologie détourne l’attention sur les dégâts psychologiques que provoquent les abus sexuels incestueux. Il n’y a plus lieu de s’intéresser à l’agression ou de la nommer comme telle, ni de décrypter ses mécanismes, au centre desquels figure la question de genre, selon Louise Armstrong, puisque, d’un côté, il y a la souffrance des femmes et des enfants, qu’il faut guérir et traiter […], et de l’autre, il y a des déviants, qu’il faut aussi traiter. Or […] la plupart des agresseurs incestueux, garçons ou hommes adultes, ne sont pas déviants ; il y a parmi eux des pédophiles cinglés, mais la grande majorité n’agressent que leurs enfants […], en dehors de quoi, ils sont très bien insérés dans la société […]. (p. 96-97)

Sans entrer dans le détail de ce paragraphe, deux choses peuvent être retenues. D’une part, surinvestir la pathologie, c’est courir le risque de désinvestir l’analyse sociologique et politique de l’inceste, dont Le Berceau des dominations montre que la pratique ne relève pas tant de la tare individuelle qu’elle ne s’inscrit dans un système social, dont participent activement les incesteurs, en cela parfaitement insérés et fonctionnels. Autrement dit, dans les affaires d’inceste, la pathologie déresponsabilise indûment à la fois les individus et la société. D’autre part, une telle mobilisation de la pathologie dans Vie privée semble symptomatique d’une difficulté, voire d’une résistance, à penser l’inceste mère-fils à la lumière des mécanismes de domination, en grande partie parce qu’il échappe à la domination de genre. On touche donc ici à notre troisième point.

Dans le texte donné au Frankfurter Allgemeine Zeitung, Christian Gachet constate que sa « configuration ne correspond pas au schéma d’analyse de la domination masculine et du patriarcat ». Or des travaux récents, en sociologie et en philosophie notamment, ont invité à lire l’inceste à la lumière d’un faisceau de dominations croisées, qui excède la seule domination masculine. Au critère certes central du genre, il faut ajouter ce que Tal Piterbraut-Merx appelle « la domination oubliée » (La Domination oubliée. Politiser les rapports adulte-enfant, 2024), qui passe par l’âge : adultes et enfants occupent les places de dominants et de dominés au sein de la structure familiale, où l’âge induit une hiérarchisation complémentaire et/ou supplémentaire, qui s’entremêle, se superpose ou fait concurrence à la logique du genre. C’est cette domination par l’âge qui explique, comme le fait remarquer Juliet Drouar (La Culture de l’inceste, 2022), que les femmes, même si elles restent minoritaires, sont néanmoins davantage représentées dans les chiffres concernant spécifiquement l’inceste par rapport aux statistiques des violences sexuelles :

Il ne doit donc rien au hasard que le nombre d’incestes pratiqués par les mères soit bien supérieur au nombre de viols commis par des femmes et représente une part conséquente des incestes (un quart environ) car elles profitent et assoient une position de domination par l’âge, en tant que première propriétaire des enfants. (p. 57)

Si Vie privée ne s’écrit pas vraiment depuis la question de la domination, un certain nombre de passages illustrent malgré tout l’idée que l’inceste correspond à un « système particulier d’économie de la domination et d’agencement de celle-ci » (ibid.), par-delà le genre. En effet, après des années de séparation et d’absence, la mère de Christian Gachet, avec qui elle a 24 ans d’écart (« Elle a quarante ans, j’en ai seize », p. 94) et qu’elle surnomme « petit Œdipe » (p. 97), avec un hypocoristique chargé d’entériner l’asymétrie de positions, est animée du désir de rassembler ses enfants autour d’elle : « mon rêve est de vous avoir tous les cinq avec moi ne fût-ce que 24 heures. » (p. 91). De près ou de loin, à travers sa correspondance, elle exerce sur la famille artificiellement recomposée une domination jouant contre l’autorité du père, qu’elle ne cesse de dévaluer, et à l’encontre des enfants, le narrateur, mais aussi Mireille et Bernard. L’inceste généralisé participe d’une appropriation des enfants par une figure toute-puissante, qui s’assure de leur soumission et de sa mainmise par la mise en place, en ce qui concerne le narrateur (qui se décrit, et ce n’est pas un hasard, comme « son chevalier servant », p. 121), d’une tyrannie affective et d’une infantilisation intellectuelle permanentes. Le traitement réservé à Mireille, aussi touchée par l’inceste, est significatif en ce sens. Lorsque la mère prend connaissance de la relation incestueuse entre Bernard et sa sœur, ainsi que des viols perpétrés par le père Wagner, elle s’attelle à une double logique de néantisation et de subordination : en ignorant les viols (« Elle n’a jamais tenu compte de ça. C’était pour moi le plus grave ; ce déni était comme un deuxième viol, dans un registre symbolique, que les actes du père Wagner », p. 216) et en faisant de l’inceste avec Bernard le lieu d’un rapport de forces hiérarchique (« Elle avait eu la délicatesse de préciser combien il la préférait, elle, sa mère, à Mireille, sa sœur », p. 195 ; « “Ton frère m’a dit qu’il avait aimé une demi-fois avec toi et une fois entière avec moi” », p. 201), la mère impose une structure intrafamiliale et interpersonnelle fondée sur la domination, et au sein de laquelle elle écrase sa fille, réduite au rang de non-personne et de sous-personne. On voit ainsi qu’évacuer la question de la domination sans autre forme de procès et sans interroger plus avant ses autres modalités de manifestation, sous prétexte que l’inceste mère-fils inverse les relations de genres traditionnelles, c’est se priver d’une grille de lecture pourtant productrice de lisibilité, qui viendrait s’ajouter à l’effort de compréhension croisée de l’inceste.

Pour en revenir à la question de l’actualité évoquée plus tôt et laissée jusqu’ici en suspens, Vie privée de Christian Gachet est un livre qui semble écrit à la fois avant et après #MeToo. Après, parce qu’il s’inscrit dans une nébuleuse de récits qui, depuis la fin du XXe siècle et depuis les années 2020 surtout, font de l’inceste un objet et une forme-sens d’ampleur inédite. En cela, l’intuition selon laquelle il y aurait un « nouveau genre littéraire », le « roman d’inceste » (p. 204) – ou plutôt le récit d’inceste, pour ne pas réduire le champ à la seule fiction romanesque –, nous semble très juste, et sera d’ailleurs creusée lors de la journée d’études « Actualités des récits d’inceste (1986-2025). Enjeux génériques, médiatiques et éthiques », organisée par Lethica le 10 juin 2025. Avant, parce que Vie privée ne semble pas influencé par l’importante bibliographie scientifique et littéraire publiée ou rééditée dans les années 2010-2020, qui traite de la question de l’inceste, et plus largement des violences sexuelles. Tout du moins, le livre n’en porte pas ouvertement la trace, contrairement à d’autres récits contemporains publiés sur le même sujet, qui se situent par rapport à l’actualité et aux savoirs, et affichent volontiers leurs sources et leurs lectures, dans un geste proche de l’autotheory (Fournier, 2022), à cheval entre littérature et théorie. En mobilisant avant tout des références récentes, la mise en perspective proposée dans ce compte rendu aura ainsi cherché à confronter le texte de Christian Gachet, publié en 2023, au discours ultracontemporain sur l’inceste, dans l’idée d’initier un dialogue que l’on espère nuancé et constructif.

Kathia Huynh, Configurations Littéraires

 

Bibliographie :

  • Christine Angot, Le Voyage dans l’Est, Paris, Flammarion, 2021.

  • Iris Brey et Juliet Drouar (dir.), La Culture de l’inceste [2022], Paris, Points, 2024.

  • Dorothée Dussy, Le Berceau des dominations. Anthropologie de l’inceste [2013], Paris, Pocket, 2021.

  • Lauren Fournier, Autotheory as Feminist Practice in art, Writing and Criticism, Cambridge, MIT Press, 2022.

  • Tal Piterbraut-Merx, La Domination oubliée. Politiser les rapports adulte-enfant, Paris, Blast, 2024.

  • Vanessa Springora, Le Consentement, Paris, Grasset, 2021.