Luba Yakymtchouk, , Comme la MODE

L'viv, Kamenjar, 2009.

De l’utilité et des inconvénients du futurisme pour le genre

L’œuvre de Luba Yakymtchouk (1985-) est marquée par un dialogue avec le futurisme ukrainien, notamment avec Mikhail Semenko, poète mort dans les répressions staliniennes. Si Yakymtchouk a voulu réhabiliter le patrimoine culturel lié à Semenko et largement gardé sous silence à l’époque soviétique, l’hommage au futuriste ukrainien se poursuit aussi sur le plan intertextuel, en interrogeant l’héritage futuriste et sa capacité à rendre compte de l’expérience féminine contemporaine. Le futurisme, essentiellement incarné par des hommes et manipulant des thématiques masculines, peut-il être l’objet d’une révolution morale ?

Le premier recueil de poèmes d’Yakymtchouk, ,Comme la MODE, présente une syntaxe originale qui évoque subtilement la figure de Mikhaïl Semenko. On y repère plusieurs procédés littéraires (jeux syntaxiques, vers libres, décomposition et jeux de mots) qui témoignent de l’influence de la poésie futuriste de Semenko sur son style. Cependant, il s’agit moins d’emprunts que d’une interprétation personnelle, qui a aidé par la suite la poétesse à façonner sa propre voix. Le recueil contient aussi des allusions directes à Semenko, montrant comment Yakymtchouk suit les traces de son modèle disparu tout en élaborant une poésie marquée par le manque.

Cette figure féminine qui s’affirme en miroir du grand homme est typique du geste féministe d’Yakymtchouk. En effet, la poésie futuriste ukrainienne est souvent représentée par des auteurs masculins, de Mikhaïl Semenko à Serhiy Jadan[1]. Cependant, dans ,Comme la MODE, Yakymtchouk propose sa vision singulière de la poésie futuriste avec un regard neuf et émancipateur. Ce recueil poétique présente une perspective purement féminine/féministe, perceptible à travers des poèmes très corporels où l’héroïne lyrique veut aller dans un monastère « pour porter les jupes courtes[2] » afin que les moines couvrent son corps de baisers ; ou encore dans un autre poème intitulé « Le Pervers » (« Manijak » / « Маніяк[3] »), le héros du poème, qui se cache dans les buissons en attendant sa prochaine victime, ratera sa cible, qu’il ne peut reconnaître à cause des vêtements qui dissimulent presque complètement son corps féminin. Le pervers devient un objet passif qui observe sans passer à l’action, comme le remarque à juste titre Marta Levčyk[4], tandis que l’héroïne lyrique devient un sujet qui agit « en se promenant fièrement, tête haute, pieds nus sur la neige[5] ». En définitive, ,Comme la MODE explore la corporalité féminine de manière féministe, puisque l’image de l’héroïne lyrique, esquissée par la poétesse à travers le recueil retrouve une agentivité au lieu d’être au mieux une muse – ou au pire une victime.

Kateryna Tarasiuk - Université de Strasbourg

[1] Voir Marta Levčyk, « Takyj feministyčnyj futurizm », in Bukvoïd, Re:cenziï,27/08/2011, en ligne (consulté le 29 novembre 2023)

[2] Lubov Iakymtchouk, Poèmes (Poeziï / Поезії),  in Bukvoïd, en ligne (consulté le 30 novembre 2023)

[3] Marta Levčyk, « Takyj feministyčnyj futurizm », op.cit.

[4]Ibid.

[5]Lubov Iakymtchouk, Poèmes (Poeziï / Поезії), op, cit.