« Comment l’imagination enrichit-elle notre connaissance morale ? » En soulevant cette question dans cet ouvrage issu de sa thèse de doctorat, le philosophe Martin Gibert, spécialiste d’éthique, ouvre la voie à une redéfinition de l’imagination comme fonction épistémique (elle aide à la connaissance) en même temps qu’à une réévaluation de son rôle dans nos perceptions morales. Dans diverses situations, l’imagination peut en effet nous aider à mieux identifier ce qui rend telle action acceptable ou non, tel état des choses bon ou mauvais, telle personne louable ou blâmable. Trois modes d’inventivité sont pour cela à notre disposition : la prise de perspective nous permet d’adopter, dans une situation donnée, le point de vue d’une autre personne ; le recadrage offre un autre regard sur tel ou tel élément significatif ; et la comparaison contrefactuelle sert souvent à contraster la situation actuelle avec d’autres situations possibles.
Les deux premiers chapitres examinent, sur les plans historiques et théoriques, et dans les domaines complémentaires de la philosophie et de la psychologie, la nature de cette faculté de l’esprit à partir d’une distinction entre deux formes d’imagination : l’imagination perceptuelle, qui s’appuie sur nos expériences sensorielles, et l’imagination propositionnelle, qui procède plutôt d’hypothèses (j’imagine que…). Le philosophe y démontre que, loin d’être fantasque ou purement fantaisiste, cette faculté entretient toujours une étroite relation avec la réalité, qu’elle contredit simplement en se figurant des possibilités dérivées de cette dernière. Ayant dès lors défendu la portée épistémique, mais également morale de l’imagination, Martin Gibert en explore les modalités concrètes dans trois chapitres qui font la part belle aux différentes expériences de pensée qu’offrent notamment les fictions. Pour conclure, l’imagination s’avère bien une vertu plus épistémique que morale (elle peut en effet se mettre aussi au service du pire), mais qui trouve une véritable utilité éthique en accompagnant nos délibérations et en nous faisant voir les choses autrement qu’elles ne sont – comme elles pourraient, ou comme elles devraient être. Si la réflexion morale consiste donc à se demander « si c’était bien » d’agir de telle ou telle manière, la pensée éthique de Martin nous livre ici une stimulante proposition : « et si c’était mieux » de le faire avec l’imagination ?
Anthony Mangeon
Professeur de littératures francophones à l’Université de Strasbourg , Directeur de Configurations littéraires (UR1337), Coordinateur de l’Institut Thématique Interdisciplinaire Lethica
Pour un « précis de l’imagination en morale », rédigé par Martin Gibert à la suite de son livre, suivre ce lien.