Cet ouvrage collectif, issu des Journées internationales d’éthique organisées à Strasbourg en 2013, constitue un apport particulièrement dense au problème du handicap. Réunissant plus d’une quarantaine de contributions et couvrant une grande variété de disciplines et de zones géographiques, l’ouvrage est riche en réflexions émanant d’universitaires, mais aussi de militants associatifs, de praticiens, voire de témoins s’exprimant à la première personne (p. 291-295).
La parution de l’ouvrage en 2014 fut l’occasion de produire un premier bilan sur un changement législatif qui datait alors d’une dizaine d’années. Les lois françaises sur le handicap de 2002 et 2005 (voir p. 197-198), suivies de la Convention des Nations Unies en 2006 (bien résumée p. 80-84) constituent le sous-texte d’un grand nombre de contributions de l’ouvrage. Les études de cas tirées du tissu associatif alsacien côtoient des comparaisons internationales (170) pour interroger la mise en pratique de ces nouveaux principes, qui coïncidaient avec un renouvellement conceptuel. Tournant le dos aux approches paternalistes du handicap, considéré comme une disability ou une incapacité (10), la plupart des contributions mettent l’accent sur la « capacitation » (empowerment) ou sur la notion de capabilité développée par l’économiste Amartya Sen. L’approche en termes de capabilités se fixe comme objectif l’élargissement du champ des possibles réalisables pour un individu donné. D’assistée, la personne atteinte de handicap doit désormais être considérée comme un acteur ou un contribuable à part entière (82) – ce qui suppose que la collectivité effectue les aménagements nécessaires pour lui permettre de jouer ces rôles, par exemple à l’école (151).
Tout en réagissant à ce moment législatif, l’ouvrage développe aussi une approche plus transversale du handicap en s’attaquant aux préjugés qui persistent sur ce thème – qu’ils soient hérités de l’histoire, inscrits dans le langage (7-8, 32, 182) ou renouvelés par l’idéologie néolibérale qui met l’accent sur la performance (36, 187) et qui tend à considérer que les individus sont responsables de leur état par leurs choix de vie (250). La lecture de certaines pages ne saurait être trop recommandée aux non-spécialistes : ainsi de celles sur la vie sexuelle par Peter Meiner (364-366) ou de celles sur la place des personnes handicapées dans l’entreprise (439). Plus généralement, si l’ouvrage explore la variété des situations recouvertes par la notion, il insiste surtout sur le fait que le handicap est aussi une « condition ordinaire que tout être humain connaîtra au cours de son existence » (80), à travers la maladie, la vieillesse, les accidents…
Enfin, comme son titre l’indique, l’ouvrage expose une palette de problèmes éthiques. L’exemple le plus complexe est peut-être celui de la conception et de la parentalité. D’une part, les progrès de la génétique et des dépistages prénataux soulèvent des problèmes bioéthiques de fond : ne risque-t-on pas d’instaurer une nouvelle forme d’eugénisme (84) ? Dans une logique néolibérale, les parents qui feront le choix de donner naissance à un enfant atteint de handicap ne finiront-ils pas par être tenus responsables (notamment financièrement) de ce qui devrait être au contraire un coût supporté par la collectivité (364) ? D’autre part, la possibilité laissée aux personnes atteintes de handicap mentaux d’accéder à la parentalité engage aussi des arbitrages éthiques complexes et dont la discussion donne matière à penser (363-385) – comme le fait d’ailleurs l’ensemble de l’ouvrage.
Lucien Derainne
Chercheur Postdoctoral à l'Université de Strasbourg