Dans l’ouvrage collectif L’Automne de la vie - Enjeux éthiques du vieillissement, Marie-Jo Thiel, professeure à l’Université de Strasbourg et directrice du Centre Européen d’Enseignement de Recherche en Éthique (CEERE), réunit certaines des contributions les plus significatives des 4e Journées Internationales d’Éthique qui se sont tenues à Strasbourg en mars 2011.
L’ouvrage, plutôt que d’aborder les enjeux liés au vieillissement comme des problèmes à résoudre, tente de déployer à partir d’eux des questionnements éthiques. Il a pour but avoué de « déconstrui[re] le concept de vieillesse en vue d’éclairer les enjeux des pratiques et représentations autour de la personne âgée. » (p. 6).
Partant du constat - que l’on retrouve dans de nombreuses contributions - que l’allongement de la vie plonge l’humanité, et en particulier les sociétés occidentales, dans une situation inédite, les contributeurs de l’ouvrage tentent de prendre le contrepied d’une vision qui réduirait les personnes âgées à la charge qu’elles représentent pour les aidants et pour la société, pour tenter, dans une perspective interdisciplinaire et transnationale, de recentrer la réflexion sur les représentations de la vieillesse, à partir de l’expérience de ceux qui la vivent.
Les contributions sont réparties suivant quatre grandes thématiques, qui permettent de répondre à ces questions : « vieillir aujourd’hui : à tout prix ? », « vieillir aujourd’hui : à quels prix ? », « rester un homme » et « croire en la vie jusqu’au bout ».
La première partie, qui réunit des contributions de psychologues et de médecins, s’interroge sur les significations contemporaines attachées au vieillissement, dans un contexte où la chirurgie plastique et la médecine anti-âge connaissent un succès toujours grandissant. Dans leur article sur « la chirurgie du ‘‘mieux vieillir’’ », Thérèse Awada et Jean-Christophe Weber constatent que plus les membres d’une société vieillissent, plus ils sont paradoxalement soumis à une injonction de ne pas vieillir (ou de bien vieillir), et, à partir de ce constat, nous encouragent à envisager le recours à la chirurgie esthétique, non point tant comme une demande narcissique et frivole, mais plutôt comme l’effet d’un désir de rester socialement intégré à une société qui a tendance à détourner le regard de ses personnes âgées. Le retour d’expérience de Thérèse Awada, Patrick Antoine et Patrick Knipper sur une mission humanitaire au Bénin nous invite d’une autre manière, en racontant le heurt entre deux cultures, à réfléchir au peu de cas que l’on tend à faire des personnes âgées dans les sociétés occidentales.
La deuxième partie de l’ouvrage, « vieillir aujourd’hui : à quels prix ? », pose la question de l’âgisme dans l’accès aux soins. Les contributions de chercheurs et médecins de différents pays d’Europe offre un panorama de la discrimination dans l’accès aux soins au motif de l’âge au Royaume-Uni, en France et en Allemagne ; en reconnaissant la pression qui s’exerce sur les services de santé (dans un contexte de vieillissement de la population et de rationnement budgétaire), David Oliver, Michael Hasselmann, et Georg Marckmann et Anna Mara Sanktjohanser tentent chacun à leur manière de proposer un modèle viable pour les années à venir ; tous se prononcent en faveur « d’une politique humaniste et citoyenne » (p. 158) d’accès aux soins pour les personnes âgées, dans laquelle le rapport coût/bienfait des actes médicaux doit être au centre des décisions.
La partie intitulée « Rester un homme » s’intéresse au cas de la maladie d’Alzheimer, paradigmatique de nos peurs du vieillissement. Dans un très bel article intitulé « L’identité de la personne souffrance de maladie d’Alzheimer à l’épreuve du regard d’autrui » (193-204), Thierry Collard revisite les notions d’identité et d’autonomie, en montrant comment un déplacement vis-à-vis de ces notions, voire une reconfiguration de ces notions, nous permettrait de maintenir jusqu’au bout avec les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer une véritable relation, fondée sur l’éthique du respect. En décryptant des phénomènes de circulation du regard entre soignants, familles et patients, Thierry Collard montre que la lutte pour nous maintenir dans l’humanité ne peut être que collective. Cette réflexion éclaire en retour la contribution de Pascale Molinier qui, sur la question de « l’aide aux aidants », plaide pour un nouveau modèle « partenarial » (p. 228) entre les aidants naturels et les aidants salariés, où l’on penserait les seconds comme des substituts des premiers, ce qui permettrait de sortir du modèle actuel, plutôt fondé sur une forme de néo-domesticité dommageable.
La dernière partie de l’ouvrage se concentre sur la question de la fin de vie, et se demande comment garder une maîtrise sur cette dernière étape. Les contributions de chercheurs et médecins des Pays-Bas et de Suisse rappellent les enjeux éthiques liés à l’euthanasie ou au suicide assisté. Dans sa contribution intitulée « L’art du retrait », Pascal Hintermeyer érige finalement l’art du retrait en véritable esthétique, envisageant le dernier âge de la vie comme une opportunité unique de s’extraire de l’injonction contemporaine à la maîtrise et à la performance, afin d’atteindre à une authentique liberté.
À quiconque s’intéresse aux enjeux contemporains qui entourent la question du vieillissement, la lecture de cet ouvrage, paru en 2012, semble indispensable. Le profil très différent des contributeurs, issus de différentes disciplines (médecine, psychologie, philosophie, théologie…) et venus de toute l’Europe, permet de donner une vision exhaustive et complexe de cette question, en révélant les tensions qui la traversent. Si certaines contributions, notamment celles qui s’appuient sur les chiffres et les données de l’époque, semblent aujourd’hui un peu moins pertinentes, la majorité d’entre elles élaborent des notions et des méthodologies fondamentales à la poursuite de la réflexion sur ces sujets. Surtout, en rassemblant des témoignages et de réflexions d’« acteurs de terrain » (p. 5), Marie-Jo Thiel réussit le pari de renverser la perspective souvent adoptée dans les études d’âge, en mettant au cœur de l’ouvrage les expériences des personnes âgées, expériences diverses et singularisées qui permettent de réévaluer nos représentations de la vieillesse, et suscitent, finalement, le désir « d’apprendre à bien vieillir » (p.6).
Kenza Jernite
Chercheur Postdoctoral à l'Université de Strasbourg