Cet ouvrage collectif a le mérite d’aborder un thème particulièrement lourd moralement, mais qui revêt une importance cruciale dans la pratique médicale, et qui jette un éclairage original sur les questions d’éthique : l’annonce médicale qui bouleverse un parcours de vie (que ce soit celle d’une maladie grave, d’un handicap, d’un trouble mental, d’une stérilité définitive, de la mort). Selon leur contenu, ces annonces n’ont évidemment pas le même impact ni la même temporalité : l’annonce du handicap prend la forme d’un long dévoilement, faisant intervenir plusieurs acteurs, tandis que l’annonce d’une maladie grave peut avoir un effet beaucoup plus foudroyant. Il n’en reste pas moins que l’instant de l’annonce cristallise toujours un certain nombre d’enjeux, que l’ouvrage – unifié par des transitions entre les différentes contributions – cherche à décrypter à travers le point de vue de la médecine, des sciences humaines et de quelques « témoins ». Le sujet abordé étant particulièrement grave, c’est sans doute la volonté de contrebalancer le « malheur » par « l’espoir » qui explique enfin l’ouverture inattendue des cinq dernières contributions à la théologie (juive, protestante, catholique) : l’annonce de la mort trouve son double inversé dans ces réflexions sur l’annonce du salut, fréquente dans le texte biblique.
Paru en 2006, l’ouvrage réagit « à chaud » à un nouvel environnement législatif. Alors que le code de déontologie autorisait jusqu’ici les médecins à taire une information, la loi du 4 mars 2002 impose d’informer le patient et de l’associer aux décisions. Désormais, la dimension éthique ne réside donc plus dans le choix d’informer ou non, mais dans la manière de le faire. Les contributeurs discutent l’application de ces principes à des cas difficiles : le médecin peut-il parler alors que le patient est accompagné ? Que faire dans le cas de mineurs, de majeurs sous tutelle, dans un contexte pédiatrique (38-39) ? La majorité des contributions expose surtout la difficulté de cet acte de parole, traumatisant aussi bien pour les patients que pour les soignants (214), lesquels se trouvent pris entre la nécessité de se protéger en gardant une distance, tout en répondant au besoin d’empathie des malades. Le risque de ce moment est aussi que le médecin soit considéré comme un « messager de malheur », ce qui abîmerait la relation thérapeutique. La parole médicale doit enfin composer avec les sources d’information concurrentes dont dispose le malade. Ce que l’ouvrage repérait d’ailleurs comme un « phénomène internet » (134) en 2006 a dû prendre une ampleur inédite depuis.
Plus que tout autre, la question de l’annonce révèle surtout que la médecine est aussi une affaire de mots et de représentations. Comme l’introduction le rappelle, la parole prend ici une dimension performative, dont les conséquences sont majeures : l’information du patient détermine en effet son anxiété et sa manière future de gérer sa maladie (6). Bien maniée, la parole devient une « arme thérapeutique » (19) tandis qu’une annonce mal faite peut être destructrice (14-16). Dans cette perspective, le médecin doit composer avec toutes les représentations culturelles qui s’invitent dès l’énonciation du diagnostic (« cancer », « autisme », etc.). Un mot scientifique comme celui de démence doit par exemple être évité, car il connote trop de choses dans le discours social (149). La question de l’annonce démontre donc l’« apport nécessaire des sciences humaines en médecine » (289). Plusieurs contributions s’attachent ainsi à expliciter ces représentations qui interfèrent dans la communication médicale, en revenant notamment sur l’histoire culturelle de la mort (196-206, 213) ou sur celle du handicap (88-98).
Lucien Derainne
Chercheur Postdoctoral à l'Université de Strasbourg