« Maison de fille » (2015) de Shahram Shah Hosseini

Xāne-ye doxtar (« Maison de fille ») de Shahram Shah Hosseini a été censuré après sa sortie lors du Festival de Fajr en 2015 à Téhéran. Le film commence à la veille du mariage de Samira, qui est sortie avec la famille de son fiancé, Mansour, pour quelques derniers achats ; mais elle s’enfuit quand elle se rend compte que la mère et la sœur de son futur mari souhaitent la faire examiner par un gynécologue afin de s’assurer de sa virginité. N'arrivant pas à contacter son fiancé Mansour, qui ne partage pas les convictions de sa famille, Samira se suicide dans la rue. Deux camarades de l’université ainsi que Mansour cherchent à comprendre les raisons de cet acte et finissent par comprendre que son père a abusé d’elle ainsi que de sa petite sœur.

La forme du film se prête particulièrement à l’évocation d’un abus sur mineur : si Samira est en apparence le personnage principal, elle disparaît assez vite et ne persiste que dans des souvenirs (introspection des autres personnages), toujours colorés et joyeux. Le film, dès lors est avant tout une enquête : Mansour et les camarades de Samira font avancer l’intrigue et le point de vue cinématographique (porté par la caméra) coïncide avec celui des investigateurs (qui ne connaissent Samira que de l’extérieur). Le silence de Samira et de sa sœur, très caractéristique du phénomène de l’abus sexuel, surtout en lien avec l’emprise du père, est réitéré par la mise à distance des personnages (la mort, l’absence, l’échec des appels, etc.). Quant au père, auteur de l’abus sexuel et doté d’une personnalité fortement narcissique, il se sert souvent d’un vocabulaire religieux et tente d’accuser Mansour de viol. La petite sœur, dissociée du cercle social de Samira, joue un rôle central dans le dévoilement des motifs de suicide de son aînée : c’est lorsqu’elle lit pour Mansour un poème de Samira sur le chant des oiseaux que le secret finit par être révélé. Le spectateur comprend que les deux sœurs ont subi l’emprise et l’isolement mis en place par le père, jusqu’à leur âge adulte. La rencontre avec Mansour avait tout changé pour Samira : cette relation lui a ouvert la possibilité d’une prise de parole et l’autorise à se comparer au rossignol (symbole des amoureux dans la littérature persane).

Les techniques utilisées par le directeur du film permettent donc un traitement subtil de la question de l’abus sexuel : plutôt que « parler » des faits ou de l’expérience, on les montre, on les fait deviner ou les laisse entendre. Nul ne parle à la place de la victime, que ce soit un personnage ou le scénariste. L’art cinématographique et la littérature (présente dans le poème final), grâce à leur espace d’interprétation, engagent le spectateur à voir l’invisible (l’abus sous le silence) sans trancher la question éthique de la diffusion ou de la médiatisation des histoires de viol (sexual storytelling). On pourrait dire que le film reconnaît le droit au silence de la victime tout en engageant les spectateurs (victimes secondaires) à agir en apprenant (et en cherchant à apprendre) l’histoire. La censure de cette œuvre est dès lors significative : motivée par le caractère « tabou » du sujet abordé et par l’association du père coupable au discours religieux, elle apparaît comme un élément paratextuel à part entière.

Dina Khazai - doctorante en littérature comparée

Notice rédigée en lien avec le séminaire « Abus sexuels sur mineurs et personnes (rendues) vulnérables » (F. Trautmann, 2022-2023).