Le collectif Obvious

Synthèse (1) de la conférence animée par Amélie Boutinot (EM Strasbourg) lors de l'école d'automne LETHICA 2022

                Pour clore la première journée de conférences, le collectif Obvious, un trio d’amis d’enfance réuni autour d’un projet commun mêlant art et intelligence artificielle, a présenté son travail, ses méthodes et ses projets. Les intervenants ont commencé par décrire leur outil de travail en distinguant deux types d’intelligences artificielles : la première se contente d’opérer une synthèse des images qui lui sont transmises, la seconde comprend le processus de création originel et recrée une œuvre nouvelle en prenant les images dont elle a été nourrie comme modèles. L’outil que le groupe a utilisé correspond au second type, une IA qui a été jugée plus en accord avec une pratique artistique. Puisque l’objectif du collectif était de créer un art nouveau, il lui a fallu s’interroger sur la notion d’art dans ses dimensions philosophique, esthétique et éthique : l’intention première était de dépasser l’opposition généralement admise entre l’art et la science, ainsi qu’entre la tradition et la nouveauté, en proposant une série de tableaux prenant pour modèles des portraits peints sous l’Ancien Régime et recréés par l’IA. Bien entendu, ce procédé engage une réflexion sur la parenté de l’œuvre : quand une intelligence artificielle produit une œuvre, est-elle l’artiste, ou bien est-ce le collectif qui a eu l’idée préalable qui peut y prétendre ? Pour répondre à cette question, Obvious défend l’IA comme étant à la fois la méthode et le sujet du tableau, l’outil informatique se retrouvant considéré non seulement comme un medium au même titre qu’une toile ou une page blanche, mais aussi comme un sujet de représentation décliné en onze tableaux rappelant les onze utilisations possibles de l’IA dans la société, entre autres la traduction et les fonctions de tri.

                Ces onze fonctions ont donné naissance à onze tableaux générés à partir de portraits classiques, dont l’un, le portrait d’Edmond de Belamy, a lancé leur carrière après une vente aux enchères chez Christie’s, qui a en même temps garanti une reconnaissance internationale pour l’art généré par l’IA. Plusieurs autres projets ont suivi : une série d’estampes japonaises, des masques taillés au Ghana d’après des modèles proposés par l’IA, ce qui permet un commentaire sur la déification de l’IA dans notre société, ou encore des impressions prenant pour inspiration les peintures rupestres de la grotte de Lascaux. Un questionnement éthique traverse clairement le projet dans son ensemble : le collectif souhaite montrer que la technologie n’est ni bonne ni mauvaise, mais qu’elle dépend de l’usage qu’on en fait. Etant donné que l’art est reconnu comme la plus haute forme d’expression, montrer que l’intelligence artificielle est capable d’en créer est une bonne défense. Pour bien prouver ce point, le trio a eu l’ambition d’exposer dans les grandes galeries, ce qui s’est plus tard produit à l’Hermitage Museum à Saint-Pétersbourg. Les sujets des œuvres ont également été dotés d’une interrogation éthique plus prononcée et plus en lien avec la société, avec notamment une série de tableaux représentant des cours de justice afin d’interroger le bien-fondé de l’emploi d’algorithmes pour aider les juges à prendre des décisions en Estonie, ou encore un projet en cours consistant à créer le visage de la nouvelle Marianne à partir des photographies de femmes françaises volontaires. Les travaux d’Obvious sont de plus en plus engagés pour légitimer l’utilisation de l’IA tout en en montrant les limites.

                Cette défense de l’IA ne semble pas superflue, car comme l’ont montré les débats qui ont succédé à la présentation, l’idée que l’art puisse être produit par une machine, presque automatiquement en somme, n’est pas acquise. Une discussion entre les intervenants et l’audience a permis d’exprimer un malaise face à une création qui est assumée en grande partie par la machine, et où les humains n’ont à première vue que le rôle d’opérateurs de l’IA qu’ils doivent abreuver d’images — ce qui a posé, en outre, la question de la propriété intellectuelle et de l’utilisation des œuvres d’autrui comme aliment pour la machine. Le collectif s’est défendu en comparant son travail à celui d’un photographe, qui multiplie les prises de vue, puis sélectionne les bonnes images parmi une masse de clichés ratés. En outre, le choix de la galerie d’art Christie’s de s’intéresser aux productions de ce groupe émergent montre que le simple fait d’avoir imaginé le recours à l’IA, une nouvelle méthode, pour créer de l’art, vaut déjà comme procédé artistique qui peut être valorisé. Ainsi, il apparaît que l’art généré par l’intelligence artificielle a été reconnu, notamment par les marchés de l’art, pour sa démarche originale et pour l’avancée technologique dont il témoigne, mais aussi qu’il rencontre encore une certaine réticence auprès d’un public qui voit l’art comme retranscription d’une vision personnelle, ce qui ne va pas de soi quand l’artiste est une machine.

Benjamin Felder - étudiant en littérature française, générale et comparée