Cora dans la spirale (2019), de Vincent Message retrace la vie d’une femme, et sa descente aux Enfers. Usée par le monde, et plus précisément celui du travail, ce personnage devient un symbole des souffrances vécues au quotidien par les employés. Parmi les nombreuses problématiques abordées dans l’œuvre, celle de l’espace est singulièrement importante : véritable agent de la tragédie qui touche Cora, l’environnement, tel qu’il est ici traité, rappelle le rôle primordial que joue le cadre de vie dans l’éthique du travail.
En effet, le récit met d’emblée l’accent sur une tension fondamentale qui met en jeu la stratégie économique de l’entreprise et le bien-être des employés. Borélia, l’entreprise où la protagoniste, Cora, travaille, connaît de grands changements sous l’influence de son nouveau directeur, un des plus importants étant le déménagement de l’ensemble des locaux dans le quartier de la Défense, dans un bâtiment au nom évocateur, la « Tour Galaxie ». Pareil bouleversement n’est pas anodin puisqu’il met en lumière la machinerie économique qui le motive : le choix d’une tour fait écho à la course vers le ciel qui modifie depuis des années déjà la silhouette des grandes villes.
Ajoutons à cela la description du nouveau milieu de travail, largement répandu lui aussi, l’open-space. V. Message insiste sur les contraintes qui vont de pair avec pareille organisation de l’espace : Cora avoue ainsi être déstabilisée par le bruit constant qui entrave sa concentration, par les regards que « rien n’arrête » (p. 127). Elle va jusqu’à parler de « censure » (p. 130), car, effrayée par la présence envahissante d’autrui, elle se sent limitée dans son travail et dans son expression. Un choix évident a été effectué par cette entreprise qui privilégie, au détriment du bien-être, le prestige de l’emplacement et considère ses employés comme une masse pour mieux faire pression sur l’individu. Si Borélia reste fictive, elle s’inscrit bien dans un espace reconnaissable et suit une logique réaliste, et surtout commune.
L’œuvre dénonce ainsi le mépris moderne du corps dans une société qui repose de plus en plus sur le virtuel et l’exigence sans cesse renouvelée de la productivité. Cette tendance nous pousse à considérer le corps sous un jour exclusivement négatif, ses besoins deviennent des caprices que l’entreprise ne peut se permettre de mettre au premier plan. Le roman de Vincent Message révèle au lecteur les spécificités d’un espace qui ne semble pas adapté au travailleur lorsqu’il mentionne l’impossibilité d’ouvrir les fenêtres, l’air sec et irritant, les queues sans fin devant les ascenseurs… Plus encore, il est clair dans l’œuvre que le problème ne se limite pas aux locaux de l’entreprise, mais concerne l’entièreté de la ville et de son organisation. En effet, le malaise de Cora ne disparaît pas une fois franchi le seuil de son bureau, il l’accompagne dans les transports, dont elle est dépendante, et continue de la hanter dans son propre foyer. Non content de souligner la fusion des tensions entre vie personnelle et vie professionnelle, V. Message nous rappelle les parallèles évidents qui existent entre l’organisation des entreprises et le développement urbain.
Sans les nommer explicitement, l’ouvrage fait ainsi référence à des problématiques géographiques et sociales bien réelles, illustrant notamment la manière dont le paysage urbain a évolué, au détriment de l’espace de vie. Cora, pour ne citer qu’elle, souffre de cette transformation lorsqu’elle devient victime de spatial mismatch, autrement dit d’une dissociation croissante entre son lieu d’habitat et son lieu d’emploi. Son expérience quotidienne des transports (également évoquée dans le film À plein temps d’Éric Gravel, sorti en salle en mars 2022) souligne bien l’hostilité de la ville envers le corps. On en prendra pour preuve les remarques de la protagoniste confrontée aux wagons du métro où il est « impossible de monter [...] sans porter à un degré intolérable l’état de compression des corps. » (p. 136)Le simple fait d’exister demande un effort, allant jusqu’à devenir synonyme d’une lutte constante.
Mue par une même logique capitaliste, la ville se fait expansion du lieu de travail et s’adapte d’abord aux besoins économiques des entreprises, délaissant les besoins humains et participant à la dégradation frappante de la santé mentale comme physique de la protagoniste. Notons toutefois la place que V. Message accorde aux représentations d’un espace plus sain et équilibré vers la fin de son œuvre. En effet, si l’histoire de Cora est marquée par la tragédie, l’auteur ne refuse pas l’idée d’un cadre de travail davantage à l’écoute des employés et de leurs besoins. Cet espace n'est qu’esquissé, porté par la figure d’Édouard qui incarne dès le début de l’œuvre une vision plus positive du monde du travail. Il ne s’agit pas là d’une solution miracle, mais de la consécration des efforts du personnage. Ainsi, le roman incite le lecteur à reconnaître, non seulement la légitimité, mais aussi l’importance de pareille organisation. La souffrance de Cora apparaît comme une mise en garde éthique, son cas comme un exemple à éviter grâce à la mise en valeur du corps au sein d’un espace qui lui est adapté.
Clara Muller - étudiante D.U. Lethica
Cette notice a été rédigée en lien avec le séminaire « Les Fables du Tri » de Corinne Grenouillet , année 2022-2023.