Bibliothérapie

La bibliothérapie consiste à utiliser des « matériels de lecture pour aider à la résolution de problèmes personnels ou pour un traitement psychiatrique » (définition du dictionnaire Merriam-Webster en ligne). Technique de soin autant que méthode de développement personnel, cette pratique associe donc les domaines de la médecine et de la littérature en proposant des usages du livre à des fins thérapeutiques.

La réflexion sur les pouvoirs de la littérature et les effets de la lecture remonte à l’antiquité : dans la mythologie égyptienne, Thôt était à la fois le dieu des guérisseurs et l’inventeur de l’écriture ; quant au philosophe Aristote, sa Poétique attribuait déjà une vertu curative aux ouvrages littéraires, en les jugeant susceptibles de purger les âmes de leurs passions (catharsis) en extériorisant ou en incarnant ces dernières dans des actions et dans des figures fictives. Mais c’est surtout au XIXe siècle, parallèlement au développement de la psychiatrie, que le recours aux livres s’est, aux États-Unis et en France, imposé comme une méthode thérapeutique d’appoint pour le « traitement moral » des patients. On doit ainsi à deux pionnières américaines, Sadie Peterson Delaney (1880-1958) et Edith Kathleen Jones (1868- date de décès inconnue) d’avoir conçu les premiers programmes de lectures en milieu hospitalier.

On distingue fondamentalement aujourd’hui deux types de bibliothérapie : la bibliothérapie prescriptive et la bibliothérapie créative.

La bibliothérapie prescriptive se décline elle-même selon deux principales modalités. Outil de soin et de prévention (surtout en santé mentale), la bibliothérapie informative préconise de délivrer des ordonnances livresques dans le cadre de consultations médicales, psychologiques ou psychiatriques, afin de traiter divers troubles (de l’humeur – anxiété, phobies ; du sommeil ; de l’enfance et de l’adolescence ; de la dépendance), en conduisant les patients à développer eux-mêmes des connaissances à leur sujet. Plus largement, la bibliothérapie prescriptive consiste à proposer des conseils de lectures, conçus comme autant de « remèdes littéraires » permettant aux lecteurs, à partir d’ouvrages fictionnels, de se divertir ou de prendre une salutaire distance critique vis-à-vis de leurs maux grâce à l’expérience imaginaire d’autres mondes, d’autres temporalités ou d’autres points de vue. C’est aujourd’hui une voie en constante expansion, tant dans le domaine éditorial où fleurissent les ouvrages de prescription littéraire, que dans les domaines pédagogiques et commerciaux où se sont créées, notamment à l’étranger, plusieurs associations et institutions comme la School of Life fondée en 2008 par le philosophe Alain de Botton à Londres (et désormais également implantée à Paris) ou des librairies spécialisées comme la Poetry Pharmacy à Bishop’s Castle en Angleterre et la Piccola Farmacia Letteraria à Florence en Italie.

La bibliothérapie créative promeut quant à elle une démarche plus dynamique encore en encourageant les patients à prendre eux-mêmes une part active dans les processus thérapeutiques associés à la création littéraire et aux vertus de l’imaginaire, soit en se livrant à des séances de lecture à voix haute, pour réactiver notamment les effets poétiques des textes (poéticothérapie), soit en expérimentant en tant que telle leur production dans des ateliers d’écriture.

Relève également de ce second volet la bibliothérapie herméneutique : théorisée par le rabbin et professeur de philosophie Marc-Alain Ouaknin, cette approche bibliothérapeutique repose sur la mise en discussion de textes aux sens fluctuants et multiples pour exercer et stimuler la faculté d’interprétation, conçue comme une thérapie en soi permettant l’ouverture de nouvelles grilles d’analyse de sa situation par le patient lui-même (Bibliothérapie. Lire, c’est guérir, Seuil, 1994).

La bibliothérapie constitue donc une discipline émergente, à la croisée des démarches médicales et des méthodes littéraires, qui fait elle-même l’objet d’interrogations croissantes de la part des médecins, des bibliothécaires et des enseignants-chercheurs en littérature, notamment au sein de l’institut thématique interdisciplinaire Lethica qui a mis en place la première formation universitaire de ce type en France, avec le parcours « Bibliothérapies » de son Diplôme Universitaire. Plusieurs membres de Lethica ont également contribué au volume collectif Fictions pansantes. Bibliothérapies d’hier, d’aujourd’hui et d’ailleurs, publié sous la direction de Victoire Feuillebois et Anthony Mangeon aux éditions Hermann (2023).

 

Anthony Mangeon

 

Bibliographie

Ella Berthoud et Susan Elderkin, Remèdes littéraires. Se soigner par les livres, traduit de l’anglais par Philippe Babo et Pascal Dupont, Paris, Librairie Générale Française, coll. Livre de poche, 2022 [2013, 2015 pour la traduction française].
Isabelle Blondiaux, La littérature peut-elle soigner ? La lecture et ses variations thérapeutiques, Paris, Honoré Champion, coll. Unichamp-Essentiel, 2018.
Pierre-André Bonnet, La Bibliothérapie en médecine générale, Montpellier, Sauramps Médical, coll. Médecine et humanisme, 2013.
Victoire Feuillebois, Anthony Mangeon (dir.), Fictions pansantes. Bibliothérapies d’hier, d’aujourd’hui et d’ailleurs, Paris, Hermann, coll. Fictions pensantes, 2023.
Héloïse Goy et Tatiana Lenté, Bibliothérapie. 500 livres qui réenchantent la vie, préface d’Alexandre Jardin, Paris, Hachette Livre, 2019.
Lucie Guillet, La Poéticothérapie. Guérir par la poésie, Paris, Jouve, 1946.
Marc-Alain Ouaknin, Bibliothérapie. Lire, c’est guérir, Paris, Seuil, 1994.