L'ITI Lethica propose un cycle de conférences coordonné par Matilde Manara (CL, UR 1337) dans le cadre de son postdoctorat : L'art du modèle : entre esthétique, éthique et épistémologie.
L’anthropomorphisme (respectivement le technomorphisme) est l’attribution de caractéristiques humaines (respectivement technologiques) à des entités telles que des animaux, des plantes, des objets, des phénomènes…
Comme l'écrivait au 18e siècle le philosophe italien Vico, l'humain, quand il comprend les choses, déploie son esprit et se saisit d'elles, mais quand il ne les comprend pas, il fait les choses à partir de lui-même, et en se transformant en elles, il devient ces choses. Autrement dit, ces choses deviennent humaines alors qu'elles ne le sont pas, ou deviennent des objets techniques qu'elles ne sont pas non plus.
Les plantes sont des organismes vivants qui ne ressemblent pas aux humains, et qui d'un point de vue évolutif sont loin des animaux (vertébrés, mammifères) que sont les humains. Malgré leur forte présence dans les milieux, elles sont victimes de la plant blindness, ou cécité botanique - elles sont invisibles. Ainsi, mal vues et mal comprises, elles sont regardées à travers les miroirs déformants de l'anthropomorphisme ou du technomorphisme qui en donnent des images éventuellement fausses.
Nous examinerons quelques-unes de ces images, concernant le fonctionnement supposé des plantes et la façon de les représenter, en nous centrant sur les bénéfices que les humains peuvent en tirer, oubliant qu'elles sont vivantes, leur statut d'individu remis en question. Enfin, nous envisagerons des façons alternatives de les considérer, à travers des autrices et des auteurs qui ont réfléchi d'une autre façon aux relations que nous pouvons tisser avec elles.
Cet exposé fait écho à plusieurs questionnements de Lethica : concernant les révolutions morales, la question de savoir comment altérer notre rapport prédateur aux autres espèces vivantes et à notre environnement, question illustrée notamment par l’élevage industriel à l'origine « d'existence[s] éphémère[s] et ignoble[s] » pour les espèces vivantes qui le subissent. La question de la « gouvernance par les nombres » se pose lorsqu’on parle de transparence et secret : elle vise à quantifier et à révéler des faits objectifs, alors même qu’elle contribue à la construction du consentement et à une évaluation fictive de la réalité, selon ce que nous qualifions de quantophrénie, tendance à ne prendre en considération que ce qui est quantifiable. Et pour reprendre Foucault, qui pourrait parler ici des plantes : « non pas à faire voir l'invisible, mais à faire voir combien invisible est l’invisibilité du visible ».
Sophie Gerber est chercheuse en génétique des plantes et en philosophie du végétal (Inrae, UMR Biogeco, Université de Bordeaux)