Née en 1971 à Istanbul, Pınar Selek est une écrivaine et sociologue franco-turque, victime d’une persécution politico-judiciaire par le pouvoir turc, qui dure depuis 1998. Militante féministe et antimilitariste, très engagée pour la défense des artistes et des minorités persécutées, elle est l’autrice d’une dizaine de livres dont deux romans traduits en français, La Maison du Bosphore et Azucena. Son œuvre scientifique et littéraire est étroitement liée à sa défense des causes kurdes et arméniennes et porte les traces des persécutions qu’elle subit. Devenue un symbole de la défense des droits humains en général et de la liberté académique en particulier, elle bénéficie d’un large soutien international.

Pınar Selek a été arrêtée en 1998, torturée puis emprisonnée pendant plus de deux ans pour avoir refusé de livrer les noms des militants kurdes sur lesquels elle enquêtait dans le cadre de recherches en sociologie. Accusée indument d’une explosion mortelle au gaz sur le marché aux épices d'Istanbul - qualifiée d'attentat alors que des expertises ont démontré que l’explosion était accidentelle -, Pınar Selek a été acquittée quatre fois. En 2022, la Cour Suprême de Turquie annule le dernier acquittement et la sociologue fait alors l’objet d’une mesure de mandat d’arrêt international avec emprisonnement immédiat. Contrainte de quitter la Turquie en 2009, Pınar Selek est réfugiée en France depuis 2011 et naturalisée en 2017. L’Université de Strasbourg, dès 2013, lui accorde la protection académique.  Après avoir soutenu sa thèse dans cette université, elle a été faite Docteur honoris causa de l’École normale supérieure de Lyon. Elle est aujourd’hui maître de conférences associée à l’Université Nice-Côte-d’Azur.

Autrice de contes, de nouvelles, d’essais et de poèmes édités en Turquie, Pınar Selek publie en France son premier livre en 2012. Il s’agit d’une réflexion philosophique sur la condition de l’exil, préfacée par son Collectif de solidarité : Loin de chez moi…mais jusqu’où ?. La maison du Bosphore, paru en traduction en 2013, est un roman à caractère autobiographique. Il est l’histoire d’une ville, Istanbul, et la narration croisée du destin de quatre jeunes stambouliotes qui aspirent chacun·e à trouver un chemin de liberté dans une société encore marquée par le coup d’état de 1980 et par les années de répression politique. Pınar Selek fera paraître un second roman en 2022 : Azucena ou les fourmis Zinzine. Ce récit de solidarité et de résistance invente une poétique de la ville, celle de Nice, ville traversée par les migrations, ville travestie aussi, qui devient sous le plume de l’écrivaine une allégorie politique de la disparition des frontières.

Rédigé en 2014, Parce qu’ils sont arméniens est d’abord le récit des relations personnelles que la sociologue a entretenues avec ses amis arméniens, souvent très proches. Mais à travers cette narration, le livre est ensuite une réflexion critique sur l’effacement du génocide dans la société turque contemporaine. Son objet est enfin la condition des minorités dans les démocraties autoritaires, les processus complexes qui construisent leur « invisibilité » et plus généralement la part de responsabilité de tous les citoyens qui oublient, se taisent et contribuent ainsi aux mécanismes sociaux de l’oppression, de l’effacement ou de la négation.

Le chaudron militaire turc, Un exemple de production de la violence masculine, paru en 2023,est certainement le travail sociologique le plus marquant de Pınar Selek. Il porte le système militaire turc. Il s’agit d’une contribution majeure à une critique de la violence, et en particulier de ces trois violences structurellement liées que sont la violence sociale (violence de classe), la violence politique (la violence institutionnelle : l’armée, l’Etat, la nation, la religion) et la violence liée à l’identité sexuelle et au genre. Au cœur de la violence sociale, politique, institutionnelle, il y a, selon l’analyse de la sociologue, la violence masculine. Ce livre a eu un effet en retour très fort sur les mouvements féministes, anti-militaristes et pacifistes. C’est que l’œuvre de la chercheuse, comme celle de l’écrivaine, nourrissent les engagements et visent à changer la société.

Pascal Maillard - Configurations littéraires