Valéria Milewski, Fanny Rink (dir.), Récits de soi face à la maladie grave

Limoges, Lambert-Lucas, 2014.

Les approches narratives en médecine se développent dans la pratique et se théorisent de plus en plus précisément, donnant lieu à des ouvrages qui à la fois font dialoguer des études de cas émanant d’initiatives propres à des services de soins palliatifs en cancérologie, et créent une assise théorique du prendre soin par l’approche narrative au sein même des services hospitaliers. Récits de soi face à la maladie grave rassemble des écrits issus d’une journée d’étude intitulée « Récits de vie, maladie grave, fin de vie » qui s’est tenue en décembre 2011 à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense dans le but de faire se rencontrer différentes pratiques empiriques et réflexions théoriques sur ces questions. L’ouvrage développe la notion de « clinique narrative », qui, « en contrepoint d’un objectif de connaissance scientifique, tente de promouvoir une intention éthique de la relation intersubjective étroitement articulée au champ d’action de la recherche biographique » (79). En ce sens, l’ouvrage se rapproche du champ de la médecine narrative qui se développe depuis une vingtaine d’années dans le monde anglo-saxon, dans le sillage des travaux de Rita Charon sur la question. Récits de soi face à la maladie grave se veut autant un lieu de rencontres interdisciplinaires de pratiques disparates pour les sortir de l’isolement épistémologique, qu’un matériel pédagogique à destination des praticiens et praticiennes du soin, afin de les encourager à questionner leurs pratiques.

Pour répondre à ce double objectif, l’ouvrage est décliné en trois parties, au sein desquelles les chapitres alternent entre études de cas empirique en clinique narrative et contributions plus théoriques. Les travaux de Paul Ricœur sont régulièrement convoqués, faisant du récit le concept central dans la thérapeutique proposée. Les différents chapitres évoquent une vaste panoplie de récits de soi, allant de l’écriture personnelle avec les outils traditionnels du carnet et du stylo à la tenue de blog, en passant par à la narration guidée par un professionnel de l’écriture et le témoignage oral recueilli puis transposé à l’écrit par un tiers. Les contributeurs et contributrices sont médecins, praticiens hospitaliers, psychologues et psychanalystes, spécialistes de sciences de l’éducation, de littérature ou de philosophie de la santé, conservateurs de bibliothèques, anthropologues, biographes. Cette vaste étendue disciplinaire souligne à quel point les différentes approches ont à apprendre les unes des autres, et le grand intérêt pour la réflexion éthique en médecine de travailler de concert avec les sciences humaines et sociales autour de la notion de récit. Les différentes études de cas présentées donnent à voir la variété des pratiques narratives en médecine, qui ouvrent pour le lecteur des fenêtres sur des services qui peuvent paraître relativement impressionnants et étrangers lorsqu’on n’y est pas directement confronté, apportant de la transparence afin de mener à bien la mission pédagogique de l’ouvrage.

June Misset